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13/07/2023 | FRANCE | N°23NT00219

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 13 juillet 2023, 23NT00219


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 29 décembre 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités maltaises.

Par un jugement n° 2206573 du 16 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2023, M. A..., représenté par Me Buors, demande à la cour :

1°) d'annul

er le jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 décem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 29 décembre 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités maltaises.

Par un jugement n° 2206573 du 16 janvier 2023, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 février 2023, M. A..., représenté par Me Buors, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 janvier 2023 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 29 décembre 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités maltaises ;

3°) d'enjoindre au préfet d'Ille-et-Vilaine, à titre principal, de lui délivrer un titre de séjour et, à titre subsidiaire, de réexaminer sa situation après lui avoir délivré une attestation provisoire de séjour, le tout dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 300 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a insuffisamment motivé son jugement ;

- l'information prévue à l'article 4 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ne lui a pas été remise dans une langue qu'il comprend ;

- il n'a pas bénéficié d'un entretien individuel dans les conditions prévues à l'article 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le préfet d'Ille-et-Vilaine a méconnu les dispositions de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- l'arrêté contesté est insuffisamment motivé ;

- le préfet d'Ille-et-Vilaine a méconnu les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- il a méconnu l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 et commis une erreur manifeste d'appréciation au regard de son article 17.

Par un mémoire en défense, enregistré le 3 février 2023, le préfet d'Ille-et-Vilaine conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Derlange a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant libyen né le 8 février 2000, est entré en France le 16 juillet 2022 selon ses déclarations et a sollicité l'asile, le 9 août 2022. Par un arrêté du 29 décembre 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine a ordonné son transfert aux autorités maltaises. M. A... relève appel du jugement du 16 janvier 2023 par lequel la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

3. La magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes, qui n'était pas tenue de répondre à tous les arguments présentés par le requérant, a répondu avec la précision requise aux moyens soulevés pour M. A.... Dans ces conditions, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement attaqué doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

4. En premier lieu, l'arrêté du 29 décembre 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé le transfert aux autorités maltaises de M. A... comporte les éléments de droit et de fait qui le fondent, notamment au sujet de son état de santé et de sa situation familiale, en particulier s'agissant de la présence de son frère en France. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'arrêté contesté doit être écarté.

5. En deuxième lieu, le requérant se borne à reprendre en appel, sans apporter d'élément nouveau de fait ou de droit, les moyens invoqués en première instance tirés de ce que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait méconnu les dispositions des articles 4 et 5 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Il y a lieu d'écarter ces moyens par adoption des motifs retenus à bon droit par le premier juge respectivement aux points 8 et 10 du jugement attaqué.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article 26 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " Lorsque l'État membre requis accepte la prise en charge ou la reprise en charge d'un demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), l'État membre requérant notifie à la personne concernée la décision de le transférer vers l'État membre responsable et, le cas échéant, la décision de ne pas examiner sa demande de protection internationale. (...) / 2. La décision visée au paragraphe 1 contient des informations sur les voies de recours disponibles, y compris sur le droit de demander un effet suspensif, le cas échéant, et sur les délais applicables à l'exercice de ces voies de recours et à la mise œuvre du transfert et comporte, si nécessaire, des informations relatives au lieu et à la date auxquels la personne concernée doit se présenter si cette personne se rend par ses propres moyens dans l'État membre responsable. / Les États membres veillent à ce que des informations sur les personnes ou entités susceptibles de fournir une assistance juridique à la personne concernée soient communiquées à la personne concernée avec la décision visée au paragraphe 1, si ces informations ne lui ont pas encore été communiquées (...) ".

7. Si M. A... soutient que l'arrêté contesté ne comporte pas d'indication suffisante du délai dans lequel son transfert doit être mis en œuvre, cette décision mentionne, à son article 2, un tel délai de six mois suivant l'accord des autorités maltaises et le fait qu'il peut être porté à douze mois en cas d'emprisonnement et à dix-huit mois en cas de fuite en application du 2 de l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 26 précité du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être en tout état de cause écarté.

8. En quatrième lieu, aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " 1. Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

9. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

10. M. A... fait état de violences auxquelles seraient exposés les demandeurs d'asile à Malte, mais les documents qu'il produit à l'appui de ces affirmations ne permettent pas de tenir pour établi que sa propre demande d'asile serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par ces autorités dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que Malte est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Les autres éléments présentés n'établissent pas qu'il se trouvait à la date de l'arrêté contesté dans une situation de vulnérabilité exceptionnelle imposant d'instruire sa demande d'asile en France. En particulier, si M. A... établit avoir été opéré en Libye d'un décollement de rétine grave ayant conduit à la perte fonctionnelle de son œil gauche et à une hypertonie oculaire chronique, nécessitant un suivi ophtalmologique régulier, il ne ressort pas des pièces du dossier que son état de santé ferait obstacle à son transfert à Malte et, en cas de besoin, qu'il ne pourrait pas être pris en charge médicalement dans ce pays. En outre, il ne justifie pas du lien familial avec la personne qu'il présente comme son frère, qui ne porte pas le même patronyme et avec lequel, en tout état de cause, il n'établit ni la proximité, ni la nécessité de ne pas être séparé. Par ailleurs, alors que la décision de transfert litigieuse n'emporte pas éloignement vers la Libye, M. A... ne peut utilement soutenir que la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes aurait dû prendre en compte les risques auxquels il serait exposé dans ce pays. Par suite, les moyens tirés de ce que la décision litigieuse serait contraire aux articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013, à l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du règlement doivent être écartés.

11. En cinquième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

12. Eu égard à ce qui a été dit au point 10 au sujet du prétendu frère de M. A..., celui-ci n'est pas fondé à soutenir que le préfet d'Ille-et-Vilaine aurait porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée en prenant l'arrêté contesté. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, la magistrate désignée par le président du tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'annulation doivent être rejetées.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

14. Le présent arrêt, qui rejette la requête de M. A..., n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, les conclusions de l'intéressé aux fins d'injonction, sous astreinte, doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement de la somme que le conseil de M. A... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié M. B... A..., à Me Buors et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise, pour information, au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 27 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- M. Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 13 juillet 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23NT00219


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 23NT00219
Date de la décision : 13/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : FRANCK BUORS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-07-13;23nt00219 ?
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