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07/07/2023 | FRANCE | N°21NT03721

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 07 juillet 2023, 21NT03721


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure, la jeune C... E..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 juillet 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du consul général de France à Bamako du 24 avril 2019, rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour la jeune C... E... en qualité de membre d

e famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Par un jugement no 201...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de sa fille mineure, la jeune C... E..., a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 31 juillet 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du consul général de France à Bamako du 24 avril 2019, rejetant la demande de visa de long séjour présentée pour la jeune C... E... en qualité de membre de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire.

Par un jugement no 2013095 du 15 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 31 décembre 2021, Mme B... A..., représentée par Me Régent, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire délivrer le visa sollicité ou, à défaut, de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au profit de Me Régent en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est entachée d'erreur d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mars 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Par une décision du 21 février 2022, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nantes a accordé à Mme A... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Bréchot a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante ivoirienne née le 14 septembre 1986, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire. Le 10 septembre 2018, la jeune C... E..., sa fille mineure alléguée née le 19 avril 2008, a sollicité un visa de long séjour en qualité de membre de famille de bénéficiaire de la protection subsidiaire auprès du consul général de France à Bamako (Mali). Par une décision du 24 avril 2019, cette autorité a rejeté sa demande. Par une décision du 31 juillet 2019, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Mme A... relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande d'annulation de cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des termes de la décision contestée que, pour refuser de délivrer à Mme A... le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que les documents d'état-civil produits étant dépourvus de valeur probante et en l'absence d'éléments de possession d'état, l'identité de la demanderesse de visa et son lien familial à l'égard de Mme A... ne sont pas établis, et, d'autre part, de ce que la demande de réunification familiale n'a pas été formée dans des délais raisonnables.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, devenu l'article L. 434-3 : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors en vigueur, devenu l'article L. 434-4 : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. "

5. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, recodifié à l'article L. 811-2 : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

7. Pour établir l'identité de la jeune C... E... et son lien de filiation avec elle, Mme B... A... a produit, à l'appui de la demande de visa, deux passeports maliens délivrés le 9 janvier 2017 et le 19 septembre 2018, mentionnant respectivement comme date de naissance de l'enfant le 18 et le 19 avril 2008 à Bamako (Mali), ainsi que la copie littérale et le volet no 3 (remis au déclarant) d'un acte de naissance no 213RG5 des registres de l'année 2008 du centre secondaire de Sebenikoro de la commune IV de Bamako (Mali), dressé le 25 avril 2008 sur déclaration du père, faisant état d'une naissance de l'enfant à la maternité de Djicoroni Para à Bamako le 19 avril 2008. Elle a également produit un acte de reconnaissance malien du 20 juin 2018, signé par le père de l'enfant, par lequel a été reçu la reconnaissance par Mme B... A... et M. H... de ce que la jeune C... E... est née le 19 avril 2008 à la maternité de Djikoroni Para à Bamako. Ont été enfin produits, à l'appui de la demande de visa, un jugement du 29 septembre 2016 du tribunal de grande instance de la commune IV de Bamako, rendu sur requête de Mme B... A..., et un jugement du même tribunal du 20 février 2019, rendu sur requête de M. H..., qui attribuent à la seule mère de l'enfant délégation de l'autorité parentale et précisent que la jeune C... est " née le 19 avril 2008 à Bamako ". Devant la cour, la requérante produit également un jugement supplétif d'acte de naissance rendu sous le no 39 le 20 avril 2021 par le tribunal de première instance de Bouaké en Côte d'Ivoire, sur requête de Mme B... A..., déclarant que la jeune C... est née le 19 avril 2008 à Tiébissou, en Côte d'Ivoire, ainsi que l'acte de naissance no 993/R20 du 2 juin 2021 extrait des registres des actes de l'état civil pour l'année 2021 de la commune de Tiébissou, en transcription de ce jugement. La requérante explique que la jeune C... a une double nationalité, malienne par son père et ivoirienne par sa mère, que le couple s'est séparé avant que l'enfant ne soit née et qu'elle est restée en Côte d'Ivoire jusqu'en 2009 tandis que M. E... était déjà retourné au Mali lors de la naissance de C.... Elle ajoute que " des démarches ont été effectuées aux fins de l'établissement de l'état civil de C... tant au Mali par son père, qu'en Côte d'Ivoire par sa mère ". S'il existe ainsi une incertitude sur le lieu, et même le pays, de naissance de l'enfant, qui dispose de plusieurs documents d'état civil contradictoires établis par les autorités maliennes et ivoiriennes, il ressort toutefois des pièces du dossier que l'ensemble des documents d'état civil déjà cités concorde quant à la filiation de la jeune C... avec M. E... et Mme A.... Cette dernière justifie en outre, par la production de mandats d'argent adressés respectivement à sa sœur, Mme B... D..., à qui l'enfant a d'abord été confiée au Mali après le départ de Mme A... pour la France en 2009, et à son autre sœur Mme F... D..., à qui l'enfant a été confiée en Côte d'Ivoire à partir de 2019, avoir pris en charge l'entretien de sa fille. Enfin, il ressort notamment des jugements de délégation d'autorité parentale du 29 septembre 2016 et du 20 février 2019 du tribunal de grande instance de la commune IV de Bamako et des certificats de scolarité de l'enfant établis en 2016 et 2018, que la jeune C... est considérée comme la fille de Mme G... par les autorités maliennes et par les tiers. Ainsi, dans les circonstances particulières de l'espèce, alors même que ni le jugement supplétif d'acte de naissance rendu le 20 avril 2021 par le tribunal de première instance de Bouaké en Côte d'Ivoire, ni les documents d'état civil maliens ne permettent à eux seuls d'établir l'identité de l'enfant et sa filiation avec Mme A..., cette identité et ce lien de filiation doivent être regardés comme établis par la possession d'état. Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que l'identité de la jeune C... et, partant, son lien familial avec Mme B... A..., n'étaient pas établis.

8. En second lieu, le second motif de refus opposé, tiré de ce que la demande de réunification familiale n'a pas été formée dans des délais raisonnables, n'est pas au nombre de ceux susceptibles de fonder légalement la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme A... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

10. Le présent arrêt implique, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur et des outre-mer fasse droit à la demande de visa. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer le visa d'entrée et de long séjour sollicité par la jeune C... E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme A... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Régent de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 15 juin 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 31 juillet 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de faire délivrer à la jeune C... E... un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'État versera à Me Régent une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 4 : Le surplus des conclusions de Mme A... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 20 juin 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 juillet 2023.

Le rapporteur,

F.-X. BréchotLa présidente,

C. Buffet

La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT03721


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03721
Date de la décision : 07/07/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : REGENT

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-07-07;21nt03721 ?
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