Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 avril 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra Leone refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant D... E... en qualité de membre de famille de réfugiée.
Par un jugement n° 2111081 du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours, et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à l'enfant D... E... dans un délai de deux mois suivant la notification de son jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 13 mai 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 14 mars 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme C... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- l'identité et les liens familiaux du demandeur de visa ne sont établis ni par les actes d'état civil produits ni par des éléments de possession d'état ; les jugements produits sont dépourvus de force probante dès lors qu'ils sont contraires à la conception française de l'ordre public international en l'absence de motivation en droit et en fait ;
- la décision contestée peut être également fondée sur le motif tiré de ce que la demande de visa ne comporte ni jugement de délégation de l'autorité parentale à l'égard du père de l'enfant, au bénéfice exclusif de Mme C..., ni autorisation de sortie du territoire ;
- les autres moyens soulevés à l'appui de la demande de première instance ne sont pas fondés.
Par un mémoire en défense, enregistré le 26 juillet 2022, Mme B... C..., représentée par Me Pronost, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 800 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;
- la demande de substitution de motif présentée par le ministre ne pourra être accueillie.
Mme C... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 mai 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Une note en délibéré, présentée par le ministre de l'intérieur et des outre-mer, a été enregistrée le 22 juin 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme B... C..., ressortissante guinéenne née le 17 janvier 1993, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 28 décembre 2016. Sa fille alléguée, D... E..., née le 16 janvier 2010, a présenté une demande de visa auprès de l'ambassade de France en Guinée et en Sierra Leone au titre de la réunification familiale. Cette autorité a refusé de délivrer le visa sollicité le 11 février 2021. Par une décision du 28 avril 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision de l'autorité consulaire. Par un jugement du 14 mars 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de cent euros par jour de retard. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale (...) 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721- 3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne bénéficiaire de la protection subsidiaire ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Par ailleurs, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux, ou révélerait une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.
5. Il ressort des pièces du dossier que, pour refuser les visas sollicités, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité de la demanderesse de visa, et partant le lien familial à l'égard de Mme C..., n'étaient pas établis.
6. A l'appui de la demande de visa présentées pour D... E..., ont été initialement produits, pour établir son identité et le lien familial avec Mme C..., un jugement supplétif n° 5243 du tribunal de première instance de Kaloum du 21 mai 2019, l'acte de naissance n° 3432 dressé le 31 mai 2019, en transcription de ce jugement par l'officier d'état civil de la commune de Kaloum, ainsi qu'un passeport. Ces documents, qui comportent les mentions essentielles et suffisantes pour déterminer l'identité des personnes qui y figurent, font état de la naissance de D... E... le 16 janvier 2010, de l'union de Mme B... C... et de M. F... E.... Les seules circonstances que les documents produits auraient été établis tardivement, plusieurs années après l'événement qu'ils relatent, et que le passeport de D... E... aurait été délivré sur présentation d'un acte de naissance antérieur pris en transcription d'un jugement supplétif n°3840 rendu le 3 mai 2018 par le tribunal de première instance de Kaloum, tenant également lieu d'acte de naissance de l'enfant, ne suffisent pas à démontrer que les actes de naissance seraient inauthentiques ou que les jugements présenteraient un caractère frauduleux, notamment en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre les documents. En tout état de cause, Mme C... produit, pour la première fois en appel, deux jugements n°s 036 et 40 des 15 et 16 février 2022, rendus par le tribunal de première instance de Kaloum, portant respectivement rectification du jugement n°3840 afin que le décès du père de D... y soit mentionné et annulation du jugement supplétif n°5243 afin conserver un seul jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance dans l'ordonnancement juridique. Contrairement à ce que soutient le ministre, les jugements produits ne peuvent être regardés, en l'espèce, comme révélant une situation contraire à la conception française de l'ordre public international en raison du seul caractère succinct de leur motivation. Par ailleurs, les énonciations contenues dans les actes d'état civil produits sont conformes aux différentes déclarations faites par Mme C... devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA).
7. Il résulte de ce qui précède que c'est par une inexacte application des dispositions citées au point 2 du présent arrêt que la commission a rejeté la demande de visa litigieuse au motif que l'identité de l'intéressée et son lien familial avec Mme C... n'étaient pas établis.
8. Toutefois, l'administration peut, notamment en première instance, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
9. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur fait valoir, dans son mémoire en défense de première instance communiqué aux consorts A..., ainsi que dans sa requête d'appel, que la demande de visa ne comporte pas de jugement de délégation de l'autorité parentale, au bénéfice exclusif de sa mère, non plus qu'une autorisation de sortie du territoire signée par l'autre parent.
10. Aux termes de l'article L. 411-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 434-3 du même code : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 de ce code alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises à l'article L. 434-4 même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
11. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des déclarations de Mme C... auprès de l'OFPRA, d'un jugement n°13/JP/F/2021 du 26 juillet 2021 du tribunal de première instance de Dubréka et d'un acte pris en transcription de ce jugement dressé le 30 juillet 2021 par l'officier d'état civil de la commune de Fria, que M. F... E..., père de la jeune D..., est décédé le 28 avril 2011 à l'hôpital Rusal, à Fria. Dans ces circonstances, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 28 avril 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant D... E... en qualité de membre de famille de réfugiée et a enjoint au ministre de délivrer le visa de long séjour sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de son jugement.
Sur les frais liés au litige :
13. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Pronost dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Pronost une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2023.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT01493