Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... C... et Mme F... A... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 4 août 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision du 5 mai 2021 de l'autorité consulaire française à Alger (Algérie) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à Mme F... A... E..., en qualité membre de famille d'une personne réfugiée.
Par un jugement n° 2111086 du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 4 août 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans le délai de deux mois.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 11 mai 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 25 avril 2022 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par Mme D... C... et Mme F... A... E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
-Mme F... A... E..., fille de Mme D... C... qui s'est vu reconnaitre le statut de réfugié en France, ne peut bénéficier d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale sur le fondement de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dès lors qu'elle était âgée de plus de 18 ans à la date de sa demande visa et que son père n'est pas partie à la réunification familiale ;
- la décision de refus peut légalement être fondée sur un autre motif, tiré de l'absence de preuve d'un jugement de délégation de l'autorité parentale à l'égard de la demanderesse de visa, au bénéfice exclusif de la Mme C....
Par un mémoire en défense enregistrés le 27 juin 2022, Mme D... C... et Mme F... A... E..., représentées par Me Paquet, concluent au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elles soutiennent que les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés.
Mme C... a été maintenue de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 1er juin 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... C..., ressortissante algérienne née le 23 avril 1973, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 22 juillet 2019. Mme F... A... E..., sa fille, de nationalité burkinabé, née le 27 mars 2002, a présenté une demande de visa de long séjour au titre de la réunification familiale auprès des autorités consulaires françaises à Alger (Algérie). Ces autorités ont refusé de lui délivrer le visa sollicité par une décision du 5 mai 2021. Par une décision du 4 août 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Par un jugement du 25 avril 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision du 4 août 2021 et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme F... A... E... le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; 3° Par les enfants non mariés du couple, n'ayant pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire. (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. ". Aux termes de l'article R. 561-1 de ce code : " La demande de réunification familiale est initiée par la demande de visa des membres de la famille du réfugié ou du bénéficiaire de la protection subsidiaire mentionnée à l'article L. 561-5. (...) ".
3. Aux termes de l'article L. 561-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Les articles L. 434-1, L. 434-3 à L. 434-5 et le premier alinéa de l'article L. 434-9 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. ". Aux termes de l'article L. 434-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le regroupement familial peut également être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et pour ceux de son conjoint si, au jour de la demande : / 1° La filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ; / 2° Ou lorsque l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. " et aux termes de l'article L. 434-4 du même code : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ".
4. Il ressort des pièces du dossier que la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est motivée par la circonstance que la demanderesse de visa, Mme F... A... E..., enfant née d'une précédente union de sa mère, réfugiée en France, avec un ressortissant algérien qui n'a pas sollicité la réunification familiale, était âgée de plus de dix-huit ans à la date de dépôt de sa demande de visa et qu'en application de l'article L. 434-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile elle ne peut dès lors être admise à une réunification familiale.
5. Il résulte de la combinaison des dispositions précitées de l'article L. 561-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 434-3 et L. 434-4 du même code, auxquelles l'article L. 561-4 renvoie expressément, que le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaitre la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale, par ses enfants non mariés, même issus d'une précédente union, à la condition qu'ils n'aient pas dépassé leur dix-neuvième anniversaire à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite et que, s'agissant de ses enfants mineurs de dix-huit ans, soient remplies les conditions fixées par les articles L. 434-3 ou L. 434-4 de ce code.
6. Il ressort des pièces du dossier que la fille de Mme D... C..., à qui le statut de réfugié a été reconnu le 22 juillet 2019, est née le 29 mars 2002 d'une relation précédente avec un ressortissant étranger non partie à la demande de réunification familiale. Sa demande de visa au consulat français à Alger a été enregistrée, au plus tard, le 24 août 2020, alors qu'elle était âgée de dix-huit ans et deux mois. A cette date, Mme F... A... E... n'avait pas dépassé son dix-neuvième anniversaire. Dans ces conditions la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a entaché sa décision d'erreur de droit en refusant le visa de long séjour sollicité par Mme F... A... E... en qualité d'enfant d'une personne réfugiée au motif qu'elle était âgée de plus de dix-huit ans à la date de dépôt de sa demande de visa.
7. Toutefois, l'administration peut, notamment en première instance, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur a fait valoir, dans son mémoire en défense de première instance communiqué à Mme D... C... et à Mme F... A... E..., ainsi que dans sa requête d'appel, que la demande de visa ne comportait pas de jugement de délégation de l'autorité parentale à l'égard de Mme F... A... E..., au bénéfice exclusif de sa mère. Toutefois, et ainsi qu'il a été dit au point 6, Mme A... E... était âgée de plus de dix-huit ans à la date de la décision contestée. Dans ces circonstances, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer un visa de long séjour à Mme F... A... E... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Sur les frais liés au litige :
10. Mme D... C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros à Me Paquet dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à Me Paquet une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... C..., à Mme F... A... E..., et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 9 juin 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 juin 2023.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT01433