Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2020 par lequel la préfète de l'Orne a déclaré cessibles quatre parcelles leur appartenant à Argentan, l'arrêté du 25 avril 2018 par lequel a été déclarée d'utilité publique la création d'un cheminement piétonnier " Au fil de l'Orne " et l'arrêté du 3 décembre 2018 par lequel la préfète a autorisé les agents de la commune d'Argentan et des géomètres-experts dûment mandatés à pénétrer sur leur propriété afin de procéder aux opérations nécessaires à l'expropriation et, d'autre part, de condamner la commune d'Argentan à les indemniser à hauteur de la somme de 244 200 euros des préjudices liés à l'atteinte à leur droit de propriété.
Par un jugement n° 2000430 du 1er février 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté la demande de M. et Mme B....
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 23 mars et 28 novembre 2022, M. et Mme B..., représentés par Me Agostini, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement n° 2000430 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Caen ;
2°) d'annuler l'arrêté du 3 janvier 2020 par lequel la préfète de l'Orne a déclaré cessibles les parcelles cadastrées AB n°s 8, 9, 10 et 11 à Argentan ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- il n'est pas justifié que la minute du jugement est signée ;
- les premiers juges ont omis de se prononcer sur les moyens tirés de l'absence d'étude d'impact et d'évaluation environnementale, en méconnaissance du code de l'environnement et de l'absence d'utilité publique au regard des impacts environnementaux du projet ;
- la réforme de la procédure d'évaluation environnementale et la disparition de la notion de " programme de travaux " par l'ordonnance n° 2016-1058 du 3 août 2016 et son décret d'application n° 2016-1110 du 11 août 2016 et l'approbation du plan local d'urbanisme intercommunal (PLUi) du Pays d'Argentan par délibération du 16 novembre 2015 imposaient l'organisation d'une nouvelle enquête publique ;
- la moitié du lit de la rivière, attachée de plein droit à la propriété de la rive, aurait dû être déclarée cessible, en application de l'article L. 132-1 du code de l'expropriation, et prise en compte dans l'arrêté de cessibilité ou l'acte d'arpentage en application de l'article 7 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière ;
- l'arrêté du 25 avril 2018 portant déclaration d'utilité publique (DUP), dont l'illégalité peut être invoquée par voie d'exception, est illégal car une évaluation environnementale aurait dû être réalisée en application de l'article L. 122-1 du code de l'environnement et non pas une enquête publique régie par le code de l'expropriation ;
- le projet aurait dû être soumis à une évaluation au cas par cas, en application du 3 de l'article 4 de la directive du 13 décembre 2011 relative à l'évaluation des incidences de certains projets publics et privés sur l'environnement ;
- en méconnaissance de l'article L. 122-2 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique et des articles L. 122-1 paragraphe IV et R. 122-14 du code de l'environnement, l'arrêté portant DUP ne fait pas mention de mesures destinées à éviter, réduire ou, à défaut compenser les effets négatifs notables du projet sur l'environnement ou la santé humaines, ni en conséquence leurs modalités de suivi et est donc illégal en ce qu'il ne permet pas d'assurer le respect du principe de prévention mentionné à l'article L. 110-1 du code de l'environnement ;
- l'enquête publique préalable à la déclaration d'utilité publique est irrégulière car le public n'a pas été suffisamment informé conformément au I de l'article L. 123-10 du code de l'environnement et au III de l'article R. 123-11 du même code alors que l'avis d'ouverture d'enquête publique n'a pas fait l'objet d'un affichage sur le lieu du projet et qu'il ne fait pas mention " de l'existence d'une évaluation environnementale, d'une étude d'impact ou, à défaut, d'un dossier comprenant les informations environnementales se rapportant à l'objet de l'enquête, et du lieu où ces documents peuvent être consultés " ;
- il n'est pas établi que l'avis d'enquête au public était conforme à l'arrêté du 24 avril 2012 fixant les caractéristiques et dimensions de l'affichage de l'avis d'enquête publique mentionné à l'article R. 123-11 du code de l'environnement ;
- la durée de l'enquête publique n'a pas été assez longue au regard des dispositions de l'article L. 123-19 du code de l'environnement ;
- le dossier d'enquête publique n'était pas conforme à l'article R. 123-8 du code de l'environnement faute d'évoquer l'étude d'impact et son résumé non technique ou, le cas échéant, la décision d'examen au cas par cas, ainsi que l'avis de l'autorité environnementale et si une concertation préalable a été organisée et, le cas échéant, son bilan, ni à l'article R. 112-6 du code de l'expropriation faute pour la notice explicative de justifier le parti pris d'un tracé en rive gauche ;
- le dossier d'enquête publique ne contient pas la présentation sommaire des raisons pour lesquelles le projet n'aurait pas d'incidence sur le site Natura 2000 concerné, prévue à l'article R. 414-23 du code de l'environnement ;
- les impacts du projet sur l'environnement, sur la filière équine locale, sur le droit de propriété de M. B... et sur l'activité d'élevage de Mme B... sont tels qu'ils font obstacle à son utilité publique ;
- il y a une différence de 2 140 m² entre la superficie indiquée dans le dossier d'enquête parcellaire et le document d'arpentage annexé à l'arrêté de cessibilité, surface supplémentaire dont l'utilité n'est pas justifiée et qui aurait dû entraîner une nouvelle enquête ;
- le dossier d'enquête publique est incomplet au regard des dispositions de l'article R. 112-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique dès lors que le périmètre de la déclaration d'utilité publique n'intègre pas la moitié du lit du cours d'eau.
Par deux mémoires en défense, enregistrés le 1er août et 9 décembre 2022, la commune d'Argentan, représentée par Me Bosquet, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. et Mme B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que les moyens de légalité externe soulevés par voie d'exception sont irrecevables et inopérants et, en tout état de cause infondés et que les autres moyens des requérants ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de
l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'absence de décision préalable à la demande de versement de la somme de 244 200 euros (R. 421-1 du code de justice administrative).
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. Derlange, président assesseur,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,
- et les observations de Me Le Goas, pour M. et Mme B....
Considérant ce qui suit :
1. M. B... est propriétaire des parcelles cadastrées AB n°s 8, 9, 10 et 11 à Argentan (Orne). Mme B... exploite un élevage d'équidés, notamment sur ces parcelles. Afin de créer un cheminement destiné à la circulation piétonne et cycliste, dans le cadre d'un programme pluri-annuel dénommé " Au fil de l'Orne ", par une délibération du 28 septembre 2015, le conseil municipal d'Argentan a décidé d'exproprier une partie de ces parcelles. Les enquêtes préalables à la déclaration d'utilité publique et parcellaire se sont tenues du 7 au 21 décembre 2015. Le commissaire enquêteur a rendu un avis défavorable sur le projet. Par un arrêté du 21 décembre 2016, le préfet de l'Orne a refusé de déclarer d'utilité publique le projet. D..., sur recours de la commune, le tribunal administratif de Caen, par un jugement n° 1700314 du 21 février 2018, a annulé cette décision et prescrit au préfet de réexaminer la demande de déclaration d'utilité publique dans un délai de trois mois. Par un arrêté du 25 avril 2018, la préfète de l'Orne a déclaré le projet d'utilité publique. Par un arrêté du 3 janvier 2020, elle a déclaré cessible les parties des parcelles litigieuses concernées par le projet. M. et Mme B... ont demandé l'annulation de ces arrêtés devant le tribunal administratif de Caen, ainsi que de l'arrêté du 3 décembre 2018 par lequel la préfète de l'Orne a autorisé les agents de la commune d'Argentan et des géomètres-experts dûment mandatés à pénétrer sur leur propriété afin de procéder aux opérations nécessaires à l'expropriation, et la condamnation de la commune à leur verser une indemnité de 244 200 euros. Par un jugement du 1er février 2022, le tribunal a rejeté leur demande. M. et Mme B... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté leurs conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de cessibilité du 3 janvier 2020.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué en tant qu'il a statué sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de cessibilité du 3 janvier 2020 :
2. Aux termes de l'article L. 132-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique : " L'autorité compétente déclare cessibles les parcelles ou les droits réels immobiliers dont l'expropriation est nécessaire à la réalisation de l'opération d'utilité publique. Elle en établit la liste, si celle-ci ne résulte pas de la déclaration d'utilité publique. ".
3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté préfectoral du 17 novembre 2015 prescrivant l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique et l'enquête parcellaire, le dossier soumis au public et la déclaration d'utilité publique du 25 avril 2018 font tous état d'une surface totale à exproprier de 5 314 m², prise sur les parcelles cadastrées AB n°s 8, 9, 10 et 11, pour réaliser le projet d'aménagement du cheminement piétonnier envisagé d'une longueur de 895 m et d'une largeur de 6 m. D..., l'état parcellaire annexé à l'arrêté de cessibilité du 3 janvier 2020, permettant en application de l'article 2 de l'arrêté de définir la surface expropriée et issu d'un procès-verbal de délimitation établi par un géomètre-expert le 11 décembre 2019, mentionne comme devant être cédées à la commune d'Argentan des superficies prises dans les parcelles susmentionnées et représentant un total de 7 454 m² en comptant la surface de 4m² inchangée de la parcelle AB n° 9, soit 40% de plus que celle envisagée dans le cadre de la procédure de déclaration d'utilité publique, d'ailleurs rappelée dans les visas mêmes de l'arrêté de cessibilité. Ni la commune d'Argentan, ni le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires ne font état d'explications probantes permettant de justifier une telle divergence, alors que le dossier d'enquête publique précise que " Les caractéristiques du projet ont été optimisées pour avoir une incidence minimale sur les propriétés privées attenantes " et présente de manière très précise le projet comme constitué de 2 m de cheminement stabilisé et de 4 m d'accotements herbés. Cette divergence entre les superficies initialement visées et celles réellement déclarées cessibles est, dans les circonstances de l'espèce, de nature à avoir induit le public et les intéressés en erreur quant à l'étendue des parcelles nécessaires à la réalisation du projet comme à la nature et aux conséquences de l'opération envisagée. Par suite, M. et Mme B... sont fondés, pour ce seul motif à demander l'annulation de l'arrêté de cessibilité du 3 janvier 2020.
4. Il résulte de ce qui précède que, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme B... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté leur demande d'annulation de l'arrêté du 3 janvier 2020 par lequel la préfète de l'Orne a déclaré cessibles les parties susmentionnées de leur propriété.
Sur les frais liés au litige :
5. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, à ce que M. et Mme B..., qui ne sont pas, dans la présente instance, la partie perdante, versent à la commune d'Argentan la somme que celle-ci réclame au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
6. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme B... de la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 2000430 du 1er février 2022 du tribunal administratif de Caen est annulé en tant qu'il a rejeté la demande des époux B... tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Orne du 3 janvier 2020 prononçant la cessibilité.
Article 2 : L'arrêté du 3 janvier 2020 par lequel la préfète de l'Orne a déclaré cessibles les parcelles cadastrées AB n°s 8, 9, 10 et 11 appartenant à M. B... à Argentan est annulé.
Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. et Mme B... est rejeté.
Article 4 : Les conclusions de la commune d'Argentan présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : L'Etat versera à M. et Mme B... une somme globale de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Mme C... B..., à la commune d'Argentan et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.
Délibéré après l'audience du 30 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 juin 2023.
Le rapporteur,
S. DERLANGE
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de l'Orne en ce qui les concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00902