Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. D... A... et Mme C... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de délivrer à leur fils allégué, D... A..., un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugiés.
Par un jugement n° 2100844 du 12 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 12 avril 2022, M. D... A... et Mme C... B..., représentés par Me Navy, demandent à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 12 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 23 novembre 2020 du ministre de l'intérieur ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à l'enfant D... A... le visa sollicité, dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 155 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ; l'identité et le lien de filiation des demandeurs sont établis par les actes d'état civil produits et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 10 mai 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient qu'aucun des moyens soulevés par les requérants n'est fondé.
M. A... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 14 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. Frank a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 12 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. D... A... et Mme C... B... tendant à l'annulation de la décision du 23 novembre 2020 par laquelle le ministre de l'intérieur a refusé de délivrer à leur fils allégué, D... A..., un visa de long séjour en qualité de membre de famille de réfugiés. M. A... et Mme B... relèvent appel de ce jugement.
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, et dont les dispositions ont été reprises aux articles L. 561-2 à L. 561-5 du même code : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de la demande d'asile ; /2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue. ; / (...) II.- (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. (...) ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.
3. L'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. En l'espèce, il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter la demande de visa présentée pour l'enfant D... A..., le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le motif tiré de ce que l'identité du demandeur de visa, et partant, le lien familial avec M. A... et Mme B..., n'étaient pas établis.
6. Pour justifier de l'identité de l'enfant et de son lien de filiation avec M. A... et Mme B..., ont été produits un jugement supplétif d'acte de naissance n°30902 du 14 décembre 2016 du tribunal de première instance de Conakry II, la copie d'un acte de naissance n°6728 dressé le 20 décembre 2016 par l'officier d'état civil de la commune de Ratoma, pris en transcription de ce jugement, ainsi qu'un passeport. Toutefois, l'âge ou la date de naissance, ainsi que le lieu de naissance des parents ne figurent ni dans le jugement supplétif, ni dans l'acte de naissance prétendument pris en transcription de ce jugement, lesquels ne comportent pas, dès lors, les mentions essentielles et suffisantes pour déterminer l'identité des personnes qui y figurent. En outre, il ressort de la note du ministre guinéen de l'administration du territoire et de la décentralisation du 19 mai 2014 que, dans le cadre de la mise en œuvre des passeports biométriques, un numéro d'identification national unique a été élaboré, lequel est composé de quinze chiffres, dont les 11ème, 12ème, et 13ème chiffres doivent correspondre à ceux portés sur l'acte de naissance présenté à l'appui de la demande du document de voyage. Cette note précise que " ce numéro d'identification unique est conçu en fonction des actes de naissance fournis par les demandeurs du passeport biométrique qui est le document de voyage par excellence en Guinée. Ces actes doivent être authentifiés par la Division des affaires administratives et juridiques de la Direction Nationale de l'Etat Civil, responsable de la gestion de ce numéro auprès de la police de l'air et des frontières au Ministère de la Sécurité et de la Protection Civile " et que " le numéro de l'extrait de naissance doit être conforme à celui du numéro d'identification unique, élément clé du passeport c'est à dire le onzième, le douzième et le treizième chiffre ". En l'espèce, le passeport de l'enfant D... A..., qui dispose déjà d'un numéro d'identification unique, a été délivré au cours de l'année 2018. Sur ce document, sont portés aux 11ème, 12ème et 13ème chiffres, les chiffres " 132 ", ce qui ne correspond pas aux numéros de l'extraits d'acte de naissance produit. Il suit de là que le passeport a été délivré au vu d'actes d'état civil autres que ceux présentés à l'appui de la demande de visa de long séjour. Par ailleurs, les photographies, les attestations de tiers, un certificat de scolarité, les relevés d'échanges par messagerie électronique, un transfert d'argents réalisé au cours du mois de janvier 2021 et la fiche familiale de de référence de Mme B..., ne suffisent pas à établir l'existence d'un lien de filiation par la possession d'état. Dans ces conditions, et eu égard, notamment, aux nombreuses anomalies et par suite à l'absence de caractère probant des actes d'état civil produits, le ministre de l'intérieur a pu, sans faire une inexacte application des dispositions précitées, rejeter la demande de visa litigieuse au motif que l'identité et le lien de filiation de l'enfant D... A... n'étaient pas établis.
7. En second lieu, le lien familial n'étant pas établi, ainsi qu'il vient d'être dit, les moyens tirés de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, ne peuvent qu'être écartés.
8. Il résulte de ce qui précède que M. A... et Mme B... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. D... A... et Mme C... B... est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... A..., Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 26 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 13 juin 2023.
Le rapporteur,
A. FRANKLe président,
J. FRANCFORT
La greffière,
H. EL HAMIANI
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT01111