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02/06/2023 | FRANCE | N°22NT00952

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 02 juin 2023, 22NT00952


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... C..., Mme B... C..., Mme F... H... et Mme A... H... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser une somme totale de 20 000 euros chacun en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi consécutif au décès de leur sœur, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, outre les frais d'obsèques dont ils se sont acquittés, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable indemnitaire ou, à déf

aut, de la date d'enregistrement de leur requête, et la capitalisation des intérê...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... C..., Mme B... C..., Mme F... H... et Mme A... H... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser une somme totale de 20 000 euros chacun en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi consécutif au décès de leur sœur, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, outre les frais d'obsèques dont ils se sont acquittés, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable indemnitaire ou, à défaut, de la date d'enregistrement de leur requête, et la capitalisation des intérêts.

M. I... E... et Mme G... C... ont demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à leur verser une somme totale de 30 000 euros chacun en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi consécutif au décès de leur fille, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, outre les frais d'obsèques dont ils se sont acquittés, assortie des intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable indemnitaire ou, à défaut, de la date d'enregistrement de leur requête, et la capitalisation des intérêts.

M. K..., agissant en qualité de représentant légal de la fille mineure de Mme D... C..., a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner l'Etat à lui verser une somme totale de 30 000 euros en réparation du préjudice moral que l'enfant a subi consécutif au décès de sa mère, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, assortie des intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable indemnitaire ou, à défaut, de la date d'enregistrement de la requête, et la capitalisation des intérêts.

Par un jugement nos 1901975, 1901976, 1901977, 1901978, 1901979, 1901980 et 1901981 du 28 janvier 2022, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 28 mars 2022, messieurs I... C..., J... E..., K..., et mesdames G... C..., B... C..., A... H..., F... H..., représentés par Me Deleurme-Tannoury, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 28 janvier 2022 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de condamner l'Etat à verser à M. I... C..., Mme B... C..., Mme F... H... et Mme A... H... une somme totale de 20 000 euros chacun en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi consécutif au décès de leur sœur, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, à verser à M. I... E... et Mme G... C... une somme totale de 30 000 euros chacun en réparation du préjudice moral qu'ils ont subi consécutif au décès de leur fille, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, à verser à M. K..., agissant en qualité de représentant légal de la fille mineure de Mme D... C..., une somme totale de 30 000 euros en réparation du préjudice moral que l'enfant a subi consécutif au décès de sa mère, Mme D... C..., au cours de sa détention au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, outre les frais d'obsèques dont ils se sont acquittés, soit la somme de 5 112,40 euros, avec les intérêts au taux légal à compter de leur demande préalable indemnitaire ou, à défaut, de la date d'enregistrement de leur demande, et la capitalisation des intérêts.

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le jugement attaqué est insuffisamment motivé ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée pour défaut de surveillance de Mme D... C... ; cette dernière souffrait de graves troubles psychiatriques et avait manifesté des intentions suicidaires connues de l'administration pénitentiaire ; elle aurait dû bénéficier d'un régime de surveillance et de protection adapté à son état de santé ; l'administration pénitentiaire ne justifie pas l'absence de contrôle de la cellule de Mme D... C... entre 20h37 et 5h37 le 30 novembre 2014 en méconnaissance des articles D. 271 et D. 272 du code de procédure pénale ; elle a méconnu le règlement intérieur de l'établissement, qui lui-même méconnaît le modèle type de règlement annexé à l'article R. 57-6-18 du code de procédure pénale ;

- le défaut de surveillance est à l'origine directe et certaine du suicide de Mme D... C... ;

- M. I... C..., Mme B... C..., Mme F... H... et Mme A... H... sont fondés à solliciter la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 20 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, M. I... E... et Mme G... C... sont fondés à solliciter la condamnation de l'Etat à leur verser une somme de 30 000 euros chacun au titre de leur préjudice moral, enfin, M. K..., agissant en qualité de représentant légal de la fille mineure de Mme D... C..., est fondé à solliciter la condamnation de l'Etat à lui verser une somme de 30 000 euros au titre d'un préjudice moral ; ils sont également fondés à demander le remboursement des frais d'obsèques, soit la somme de 5 112,40 euros.

Par une ordonnance du 23 août 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 6 septembre 2022.

Un mémoire présenté pour le garde des sceaux, ministre de la justice, a été enregistré le 11 mai 2023, soit après clôture de l'instruction.

M. I... C... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 juillet 2022.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- la loi n°91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public ;

- et les observations de Me Deleurme-Tannoury, représentant messieurs I... C..., J... E..., K..., et mesdames G... C..., B... C..., A... H... et F... H....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... C..., née le 31 août 1981, a été incarcérée le 28 mai 2014 au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes pour y exécuter une peine de dix-huit mois d'emprisonnement prononcée par le tribunal correctionnel de Saint-Malo pour des faits de vol avec violences. Le 1er décembre 2014 à 5h37, elle a été découverte pendue dans sa cellule au moyen d'une ceinture de peignoir. Son décès a été constaté officiellement par le médecin légiste à 7h45. Ses parents, M. J... E... et Mme G... C..., ainsi que ses frères et sœurs, M. I... C..., Mmes B... C..., F... H..., A... H..., et M. K..., agissant en tant que représentant légal de Mme L... C..., fille mineure de la défunte, ont demandé au tribunal administratif de Rennes la condamnation de l'Etat à leur verser la somme globale de 150 000 euros en réparation du préjudice moral qu'ils estiment avoir subi à la suite du suicide de Mme D... C... ainsi que le remboursement des frais d'obsèques. Par un jugement du 28 janvier 2022, dont ils relèvent appel, le tribunal administratif a rejeté leurs demandes.

2. D'une part, la responsabilité de l'État en cas de préjudice matériel ou moral résultant du suicide d'un détenu peut être recherchée pour faute des services pénitentiaires en raison notamment d'un défaut de surveillance ou de vigilance. Une telle faute ne peut toutefois être retenue qu'à la condition qu'il résulte de l'instruction que l'administration n'a pas pris, compte tenu des informations dont elle disposait, en particulier sur les antécédents de l'intéressé, son comportement et son état de santé, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part pour prévenir le suicide.

3. D'autre part, l'article D. 271 du code de procédure pénale dans sa version alors en vigueur disposait que : " La présence de chaque détenu doit être contrôlée au moment du lever et du coucher, ainsi que deux fois par jour au moins, à des heures variables ". L'article D. 272 du même code précisait que " des rondes sont faites après le coucher et au cours de la nuit, suivant un horaire fixé et quotidiennement modifié par le chef de détention, sous l'autorité du chef d'établissement ".

4. En premier lieu, il résulte de l'instruction que Mme D... C... souffrait d'une psychose schizophrénique chronique dysthymique entraînant des troubles du comportement, notamment des pulsions agressives, des manifestations psychopathiques, de l'intolérance à la frustration, ainsi que des troubles de l'identité et du schéma corporel. Ces troubles ont débuté dès 1999 et elle a été hospitalisée à plusieurs reprises du fait de cette pathologie psychiatrique, en dernier lieu le 10 mai 2014 au pôle de psychiatrie adulte du centre hospitalier de Saint-Malo. Incarcérée au centre pénitentiaire de Rennes le 28 mai 2014 notamment pour des faits de violence avec usage ou menace d'une arme suivie d'incapacité n'excédant pas huit jours, elle a été signalée lors de son écrou initial pour " une dangerosité pour autrui ", pour ses troubles schizo-maniaques nécessitant un traitement médicamenteux, ainsi que pour des addictions. Il résulte ainsi de l'instruction que l'intéressée a été inscrite de son arrivée jusqu'au 12 septembre 2014 sur la liste des détenues sensibles du centre pénitentiaire uniquement en raison de sa pathologie et bénéficiait d'un traitement et d'un suivi par le service médico-psychologique régional en milieu pénitentiaire.

5. Il résulte également de l'instruction que les troubles du comportement de Mme D... C... se traduisaient par de la violence, de l'agressivité et de la provocation à l'égard des tiers, tant envers le personnel pénitentiaire que ses codétenues. Elle a d'ailleurs fait l'objet de quatre procédures disciplinaires entre mai 2014 et octobre 2014, notamment pour des faits de violences physiques à l'encontre d'une personne détenue. S'il résulte de l'instruction que Mme D... C... éprouvait des difficultés dans le cadre de sa détention, que sa demande de placement sous surveillance électronique avait été rejetée par le juge d'application des peines le 6 novembre 2014 et qu'elle avait fait l'objet de retraits de crédits de réduction de peine les 2 septembre et 4 novembre 2014, la conseillère pénitentiaire d'insertion et de probation, qui l'a rencontrée le 27 novembre 2014, a également relevé qu'elle se montrait cependant " pleine de vie avec beaucoup d'envies et de rêves ". En outre, la surveillante qui a découvert le corps de la défunte le 1er décembre 2014 a déclaré aux services de police de Rennes, le jour suivant, qu'il n'y a eu aucun signe antérieur à ce geste suicidaire et que, lors de son dernier passage le 30 novembre 2014 à 20h37, la détenue était assise sur son lit un livre posé sur les genoux. Le relevé des observations des surveillantes du centre pénitentiaire concernant l'intéressée pour la période de mai à novembre 2014 ne fait d'ailleurs état d'aucune circonstance laissant penser que le risque de passage à un geste suicidaire était probable pendant la période de détention. Si la sœur de Mme D... C... a affirmé le contraire le 2 décembre 2014 dans un procès-verbal de police en déclarant que la défunte a mentionné lors d'une conversation téléphonique en octobre 2014 qu'elle allait mettre fin à ses jours et que leur mère aurait prévenu les surveillantes de cet état de fait lors de ses rencontres au parloir, il ne résulte cependant pas de l'instruction que la famille aurait effectivement alerté l'administration pénitentiaire avant le passage à l'acte. En outre, l'attestation non datée d'une codétenue faisant état de ce que la défunte lui aurait fait part à plusieurs reprises de ses envies suicidaires ainsi qu'au " surveillant gradé " apparait fort peu circonstanciée et ne peut suffire à attester d'un tel risque.

6. Il suit de là que l'administration a bien pris, compte tenu des informations dont elle disposait qui n'incluaient pas un risque de passage à l'acte imminent, les mesures que l'on pouvait raisonnablement attendre de sa part, compte tenu de l'absence de signes, propos ou comportements précurseurs d'une crise suicidaire relevés par le personnel médical ou le personnel pénitentiaire, dans les heures ou les jours qui ont précédé directement son suicide. Dans ces conditions, les requérants ne sont par suite pas davantage fondés à soutenir que l'administration aurait commis une faute en laissant dans la cellule de Mme D... C... son peignoir, dont elle a utilisé la ceinture pour mettre fin à ses jours.

7. En second lieu, il résulte de l'instruction qu'entre la soirée du 30 novembre 2014 et le matin du 1er décembre 2014, la surveillante a effectué sa ronde au niveau de la cellule de Mme D... C... à 20 heures 37 et 5 heures 37, dans le respect des dispositions citées au point 4, qui n'impliquent pas une surveillance constante. Elle a découvert le corps de la victime lors de cette dernière ronde et a immédiatement alerté sa hiérarchie. Dans la mesure où, ainsi qu'il a été dit précédemment, Mme D... C... ne présentait pas de risque suicidaire particulier, la circonstance selon laquelle aucune ronde n'aurait été effectuée entre 20 heures 37 et 5 heures 37 n'est pas de nature à caractériser une faute de l'administration pénitentiaire.

8. Il résulte de tout ce qui précède que l'administration pénitentiaire n'a pas commis de négligences fautives en organisant la surveillance de Mme D... C..., en l'absence d'éléments laissant présager un passage à l'acte imminent ou de consignes de vigilance de la part des professionnels de santé. Les requérants ne sont dès lors pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, qui est suffisamment motivé, le tribunal administratif de Rennes a rejeté leurs demandes. Leurs conclusions tendant à l'application des dispositions au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. I... C..., M. J... E..., M. K..., Mme G... C..., Mme B... C..., MmeYaël H... et Mme F... H... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à I... C..., J... E..., K..., G... C..., B... C..., A... H..., F... H... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 16 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 juin 2023.

La rapporteure,

L. CHOLLET

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00952
Date de la décision : 02/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : DELEURME-TANNOURY

Origine de la décision
Date de l'import : 11/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-06-02;22nt00952 ?
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