La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

26/05/2023 | FRANCE | N°21NT03506

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 26 mai 2023, 21NT03506


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Breizh Buzz a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été réclamées au titre des années 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1904553 du 13 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 décembre 2021, 16 novembre et 30 décembre 2022,ce dernier n'ayant pas été communiqué, la

SAS Breizh Buzz, représentée par Me Bondiguel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SAS Breizh Buzz a demandé au tribunal administratif de Rennes de prononcer la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur les sociétés qui lui ont été réclamées au titre des années 2013 et 2014.

Par un jugement n° 1904553 du 13 octobre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 décembre 2021, 16 novembre et 30 décembre 2022,ce dernier n'ayant pas été communiqué, la SAS Breizh Buzz, représentée par Me Bondiguel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de prononcer la décharge sollicitée ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le jugement est irrégulier dès lors que les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle justifie de sa démarche de recherche-développement durant les années 2013 et 2014 et est donc fondée à demander la décharge de l'intégralité des rappels ;

- la prise de position de l'administration sur le statut de jeune entreprise innovante lui est opposable en matière de crédit d'impôt recherche ;

- elle entend se prévaloir du paragraphe 390 du BOFIP BOI-SJ-RES-10-20-20-40 ainsi que la réponse ministérielle au sénateur Michel Canevet (JO Sénat 7 janvier 2021 p. 32) ;

- en remettant en cause de manière rétroactive une décision acquise, l'administration a méconnu les droits garantis par de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que le principe de confiance légitime.

Par des mémoires en défense enregistrés les 9 juin et 15 décembre 2022 de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et son premier protocole additionnel ;

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Penhoat,

- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

- et les observations de Me Bondiguel, pour la SAS Breizh Buzz.

Considérant ce qui suit :

1. La SAS Breizh Buzz, qui a une activité de prestataire de services internet, a fait l'objet, au cours de l'année 2016, d'une vérification de comptabilité au titre de la période correspondant aux années 2013 à 2015. A l'issue de ce contrôle, l'administration lui a adressé, le 13 décembre 2016, une proposition de rectification l'informant notamment de la remise en cause des crédits d'impôt pour dépenses de recherche obtenus au titre des années 2013 et 2014. Par un jugement du 13 octobre 2021, dont la société relève appel, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande tendant à la décharge des rappels d'impôt sur les sociétés mis à sa charge en conséquence de cette remise en cause.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ". Les premiers juges n'ont pas répondu au moyen tiré de la méconnaissance de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dès lors, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué en tant qu'il est entaché d'un défaut de réponse à un moyen doit être accueilli.

3. Il résulte de ce qui précède que le jugement attaqué doit être annulé. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la SAS Breizh Buzz devant le tribunal administratif de Rennes.

Sur le bien-fondé des impositions supplémentaires :

En ce qui concerne l'application de la loi fiscale :

4. Aux termes de l'article 244 quater B du code général des impôts : " I. Les entreprises industrielles et commerciales (...) peuvent bénéficier d'un crédit d'impôt au titre des dépenses de recherche qu'elles exposent au cours de l'année (...) ". Aux termes de l'article 49 septies F de l'annexe III à ce code : " Pour l'application des dispositions de l'article 244 quater B du code général des impôts, sont considérées comme opérations de recherche scientifique ou technique : / (...) c. Les activités ayant le caractère d'opérations de développement expérimental effectuées, au moyen de prototypes ou d'installations pilotes, dans le but de réunir toutes les informations nécessaires pour fournir les éléments techniques des décisions, en vue de la production de nouveaux matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services ou en vue de leur amélioration substantielle. Par amélioration substantielle, on entend les modifications qui ne découlent pas d'une simple utilisation de l'état des techniques existantes et qui présentent un caractère de nouveauté. ". Ne peuvent être prises en compte pour le bénéfice du crédit d'impôt recherche que les dépenses exposées pour le développement ou l'amélioration substantielle de matériaux, dispositifs, produits, procédés, systèmes, services, dont la conception ne pouvait être envisagée, eu égard à l'état des connaissances techniques à l'époque considérée, par un professionnel averti, par simple développement ou adaptation de ces techniques.

5. Sous réserve des cas où la loi attribue la charge de la preuve au contribuable, il appartient au juge de l'impôt, au vu de l'instruction et compte tenu, le cas échéant, de l'abstention d'une des parties à produire les éléments qu'elle est seule en mesure d'apporter et qui ne sauraient être réclamés qu'à elle-même, d'apprécier si les opérations réalisées par le contribuable entrent dans le champ d'application du crédit d'impôt recherche eu égard aux conditions dans lesquelles sont effectuées ces opérations, et, notamment, d'examiner si les opérations de développement expérimental en cause présentent un caractère de nouveauté au sens de l'article 49 septies F de l'annexe III au code général des impôts.

6. Il résulte de l'instruction que la SAS Breizh Buzz a déposé pour les années 2013 et 2014 au titre d'un crédit d'impôt recherche un dossier visant au développement d'une " plateforme web collaborative et sociale à grande échelle permettant notamment l'édition simultanée entre plusieurs utilisateurs et par webcams interposées ". L'administration a estimé que le développement de cette plate-forme, mise en ligne d'abord sous la forme d'un logiciel de prototypage baptisé Breizhworld en 2012 puis sous le nom A... B... en 2013 et Cloozi en 2014, ne présentait pas un caractère nouveau et innovant dès lors qu'il s'est appuyé sur des travaux et des techniques accessibles. Il n'est pas contesté par la SAS Breizh Buzz qu'elle a utilisé pour le développement de cette plate-forme des outils et des technologies informatiques existants tels que Symfony, Wordpress, Etherpad lite et Opentok. Ni les dossiers techniques produits, au demeurant peu commentés, ni l'affirmation selon laquelle la plate-forme intégrait un algorithme visant à modifier sensiblement le référencement généré par Google ne permettent d'établir que les travaux menés ont dépassé des connaissances déjà acquises. La circonstance que la direction régionale à la recherche et à la technologie ait, dans le cadre de la demande de rescrit présenté par la SAS Breizh Buzz sur le fondement des dispositions du 4° de l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, formulé un avis favorable à l'obtention du statut de jeune entreprise innovante (JEI) n'est pas suffisante, pour les motifs qui viennent d'être indiqués, pour établir qu'elle remplissait les critères d'éligibilité prévus à l'article 244 quater B précité du code général des impôts à raison des travaux réalisés au cours des années en litige alors que l'expert avait au demeurant relevé un point de vigilance tenant à ce que les opérations liées à des métiers de développeur ne sont pas éligibles au crédit d'impôt recherche. Il en est de même de la circonstance que le comité consultatif du crédit d'impôt recherche a considéré dans un avis du 18 octobre 2018, par ailleurs peu argumenté, que la réalité des dépenses engagées par la société en 2015 au titre du crédit d'impôt recherche pour le développement de la plate-forme est établie alors que l'année 2015 n'est pas en litige. Dans ces conditions, c'est à juste titre que l'administration a estimé, afin de refuser le bénéfice du crédit d'impôt, que les dépenses afférentes au projet en litige ne constituaient pas des dépenses de recherche au sens des dispositions ci-dessus reproduites.

En ce qui concerne l'existence d'une prise de position formelle de l'administration

7. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. / (...) ". Aux termes de l'article L. 80 B du même livre : " La garantie prévue au premier alinéa de l'article L. 80 A est applicable : / (...) ; / 4° Lorsque l'administration n'a pas répondu de manière motivée dans un délai de trois mois à un contribuable de bonne foi qui a demandé, à partir d'une présentation écrite précise et complète de la situation de fait, si son entreprise constitue une jeune entreprise innovante au sens de l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts. (...) ".

8. La SAS Breizh Buzz se prévaut, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 80 A et L. 80 B du livre des procédures fiscales de l'avis favorable émis le 7 juillet 2014 par la direction départementale des finances publiques du Finistère par laquelle l'administration fiscale lui a indiqué qu'elle pouvait prétendre aux avantages fiscaux et sociaux attachés au statut de jeune entreprise innovante prévu par l'article 44 sexies-0 A du code général des impôts. Toutefois, l'avis de l'administration fiscale n'a eu ni pour objet ni pour effet de prendre formellement position sur l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des travaux réalisés et des dépenses engagées au titre des années 2013 et 2014. Dans ces conditions, la SAS Breizh Buzz ne peut se prévaloir d'une prise de position formelle.

9. Par ailleurs, à supposer que la société requérante ait entendu se prévaloir sur le fondement de l'article L. 80 A des énonciations du paragraphe n° 390 de l'instruction référencée BOI-SJ-RES-10-20-20-40 ou de la réponse ministérielle au sénateur Michel Canevet (JO Sénat 7 janvier 2021 p. 32), ces documents, qui commentent l'article L. 80 B du livre des procédures fiscales, ne comportent pas en tout état de cause d'interprétation de la loi fiscale différente de celle dont il est fait application dans le présent arrêt.

10. Ainsi qu'il a été dit au point 8, l'avis de l'administration fiscale émis le 7 juillet 2014 qui ne constitue pas une prise de position formelle de l'administration quant à la situation de l'éligibilité au crédit d'impôt recherche des travaux réalisés et des dépenses engagées par la SAS Breizh Buzz au titre des années 2013 et 2014, n'a pu faire naître l'espérance légitime que le crédit d'impôt recherche dont elle a bénéficié au titre des exercices 2013 et 2014 ne serait pas remis en cause. Aussi la société requérante n'est pas fondée à soutenir qu'en procédant à la reprise de ce crédit d'impôt, l'administration aurait méconnu les stipulations de l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Enfin, le principe de confiance légitime, fait partie des principes généraux du droit de l'Union européenne, et ne trouve à s'appliquer dans l'ordre juridique national que dans le cas où la situation juridique soumise au juge administratif national est régie par le droit de l'Union européenne. Par suite, dès lors que le crédit d'impôt pour dépenses de recherche n'est régi que par des dispositions de droit interne, la SAS Breizh Buzz ne peut utilement invoquer la méconnaissance de ce principe.

12. Il résulte de ce qui précède que la SAS Breizh Buzz n'est pas fondée à solliciter la décharge des impositions en litige. Par voie de conséquence, ses conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1904553 du 13 octobre 2021 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la SAS Breizh Buzz devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la SAS Breizh Buzz et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.

Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Geffray, président,

- M. Penhoat, premier conseiller,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2023.

Le rapporteur

A. PenhoatLe président

J.-E. Geffray

La greffière

S. Pierodé

La République mande et ordonne au ministre de ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

No 21NT035062


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03506
Date de la décision : 26/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GEFFRAY
Rapporteur ?: M. Anthony PENHOAT
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : SCP BONDIGUEL et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 04/06/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-05-26;21nt03506 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award