Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée unipersonnelle (SASU) Alliance Océane a demandé au tribunal administratif de Caen de prononcer la réduction, en droits et intérêts de retard, d'une part, des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties auxquelles elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 dans les rôles de la commune de Carentan-les-Marais et, d'autre part, de la cotisation foncière des entreprises à laquelle elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2017 dans les rôles de la même commune.
Par un jugement nos 1902434 et 1902439 du 26 mai 2021, le tribunal administratif de Caen a réduit les bases de taxe foncière sur les propriétés bâties de l'établissement situé à Carentan-les-Marais au titre des années 2016 et 2017 d'un montant de 474 163,18 euros, a déchargé la SASU Alliance Océane des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2016 et 2017 et de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2017 dans les rôles de la commune de Carentan-les-Marais correspondant à cette réduction des bases d'imposition et a rejeté le surplus de ses demandes.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés les 13 juillet et 7 décembre 2021 et
19 décembre 2022, la SASU Alliance Océane, représentée par Me Dionisi, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande s'agissant de la cotisation foncière des entreprises ;
2°) de prononcer la décharge sollicitée ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les installations électriques relèvent de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévue par les dispositions du 11° de l'article 1382 du code général des impôts ;
- les panneaux d'isolation thermique sont des biens mobiliers et, à titre subsidiaire, relèvent de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévue par les dispositions du 11° de l'article 1382 du code général des impôts ;
- les installations frigorifiques relèvent de l'exonération de la taxe foncière sur les propriétés bâties prévue par les dispositions du 11° de l'article 1382 du code général des impôts ;
- diverses factures d'honoraires sont directement rattachées à des équipements exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties ;
- les travaux mentionnés dans la pièce 14 sont des travaux d'entretien et de réparation et doivent, à ce titre, être exclus de la base d'imposition ; elle se prévaut de l'instruction administrative portant la référence BOI-IF-TFB-20-20-10-20 point 230.
Par des mémoires en défense, enregistrés les 26 octobre 2021 et 28 février 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la SASU Alliance Océane ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Picquet,
- et les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.
Considérant ce qui suit :
1. La SASU (société par actions simplifiée unipersonnelle) Alliance Océane a une activité de préparation de plats et produits à base de poissons. Elle a fait l'objet d'une vérification de comptabilité de son établissement situé à Carentan-les-Marais et a reçu un courrier de modification des bases servant au calcul de la taxe foncière au titre des années 2016 et 2017 et de la cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2017, donnant lieu à un rehaussement de ces taxes au titre de ces années. Elle a formé des réclamations contentieuses contre les cotisations supplémentaires mises à sa charge par lesquelles elle a demandé la réduction de la base imposable retenue à hauteur de 3 040 979 euros (avant abattement de 50 %), correspondant en réalité à une demande de réduction de ses cotisations supplémentaires mais également primitives de taxe foncière sur les propriétés bâties et de cotisation foncière sur les entreprises. Ses réclamations ont été rejetées le 26 août 2019. La SASU Alliance Océane a demandé au tribunal administratif de Caen, d'une part, de prononcer la réduction des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties et des intérêts de retard auxquels elle a été assujettie au titre des années 2016 et 2017 dans les rôles de la commune de Carentan-les-Marais et, d'autre part, de prononcer la réduction de la cotisation foncière des entreprises et des intérêts de retard auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2017 dans les rôles de la même commune. Par un jugement n°s 1902434 et 1902439 du 26 mai 2021, le tribunal a réduit les bases de taxe foncière sur les propriétés bâties de l'établissement situé à Carentan-les-Marais de la SASU Alliance Océane au titre des années 2016 et 2017 d'un montant de 474 163,18 euros, a déchargé la SASU Alliance Océane des cotisations de taxe foncière sur les propriétés bâties au titre des années 2016 et 2017 et de cotisation foncière des entreprises au titre des années 2014 à 2017 dans les rôles de la commune de Carentan-les-Marais correspondant à cette réduction des bases d'imposition et a rejeté le surplus de ses demandes. La SASU Alliance Océane fait appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande s'agissant de la cotisation foncière des entreprises.
Sur l'application de la loi fiscale :
2. D'une part, l'article 1380 du code général des impôts dispose que : " La taxe foncière est établie annuellement sur les propriétés bâties sises en France à l'exception de celles qui en sont expressément exonérées par les dispositions du présent code ". Selon l'article 1381 du même code : " Sont également soumis à la taxe foncière sur les propriétés bâties : / 1° Les installations destinées à abriter des personnes ou des biens ou à stocker des produits ainsi que les ouvrages en maçonnerie présentant le caractère de véritables constructions tels que, notamment, les cheminées d'usine, les réfrigérants atmosphériques, les formes de radoub, les ouvrages servant de support aux moyens matériels d'exploitation ; / 2° Les ouvrages d'art et les voies de communication (...) ". Selon l'article 1382 du même code: " Sont exonérés de la taxe foncière sur les propriétés bâties : / (...) / 11° Les outillages et autres installations et moyens matériels d'exploitation des établissements industriels à l'exclusion de ceux visés aux 1° et 2° de l'article 1381 ". Aux termes du premier alinéa de l'article 1495 de ce code : " Chaque propriété ou fraction de propriété est appréciée d'après sa consistance, son affectation, sa situation et son état, à la date de l'évaluation ". Aux termes du II de l'article 324 B de l'annexe III au même code : " Pour l'appréciation de la consistance il est tenu compte de tous les travaux équipements ou éléments d'équipement existant au jour de l'évaluation ".
3. Pour apprécier, en application de l'article 1495 du code général des impôts et de l'article 324 B de son annexe III, la consistance des propriétés qui entrent, en vertu de ses articles 1380 et 1381, dans le champ de la taxe foncière sur les propriétés bâties, il est tenu compte non seulement de tous les éléments d'assiette mentionnés par ces deux derniers articles mais également des biens faisant corps avec eux. Sont toutefois exonérés de cette taxe, en application du 11° de l'article 1382 du même code, ceux de ces biens qui font partie des outillages, autres installations et moyens matériels d'exploitation d'un établissement industriel, c'est-à-dire ceux de ces biens qui relèvent d'un établissement qualifié d'industriel au sens de l'article 1499, qui sont spécifiquement adaptés aux activités susceptibles d'être exercées dans un tel établissement et qui ne sont pas au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381.
4. D'autre part, aux termes de l'article 1467 du code général des impôts, dans sa rédaction applicable aux impositions en litige : " La cotisation foncière des entreprises a pour base la valeur locative des biens passibles d'une taxe foncière situés en France, à l'exclusion des biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu des 11° et 12° de l'article 1382, dont le redevable a disposé pour les besoins de son activité professionnelle pendant la période de référence définie aux articles 1467 A et 1478, à l'exception de ceux qui ont été détruits ou cédés au cours de la même période (...) ".
5. Il résulte des dispositions citées au point précédent que les biens exonérés de taxe foncière sur les propriétés bâties en vertu du 11° de l'article 1382 du code général des impôts ne sont pas compris dans les bases de la cotisation foncière des entreprises.
6. En premier lieu, s'agissant des immobilisations relatives aux installations électriques, dont le prix de revient est de 1 252 092 euros, la requérante demande, sur la base d'un audit énergétique, que 51,9% de ces immobilisations soient exclues de la base imposable, soit 649 836 euros, dès lors qu'elle soutient qu'il s'agit de biens d'équipement spécialisés. Elle indique que, s'agissant d'une usine de préparation de plats et produits à base de poissons, la moindre panne pourrait entraîner des conséquences désastreuses en termes sanitaires et qu'elle est donc soumise à des normes particulièrement contraignantes s'agissant de son installation électrique. Elle a produit un rapport sur la répartition de la consommation d'électricité dans l'usine indiquant qu'une partie des installations électriques se rattachait à son activité industrielle à hauteur de 51,9%. Elle a également communiqué un tableau faisant état d'une consommation d'électricité d'un niveau élevé, soit 11,2 millions de kWh. Enfin, elle produit une attestation sur l'honneur de la directrice de l'usine exploitée par la SASU Alliance Océane mentionnant que ces immobilisations seraient spécifiques à une activité industrielle. Dès lors, il y a lieu d'exclure de la base imposable les immobilisations correspondantes, soit 649 836 euros.
7. En deuxième lieu, s'agissant des immobilisations relatives aux panneaux d'isolation thermique, si la SASU Alliance Océane soutient qu'elles ont un caractère mobilier, elle n'apporte aucun élément probant à l'appui de ses allégations, se bornant à citer de la jurisprudence concernant des panneaux isothermes mais dont il n'est pas établi que les caractéristiques seraient identiques. Cependant, la société requérante indique que ces panneaux d'isolation thermique lui permettent, conformément aux règles d'hygiène et de sécurité du secteur de l'agro-alimentaire, de respecter scrupuleusement la température appropriée à chaque étape du processus de fabrication des produits (conditionnement, réfrigération...). En outre, elle produit une attestation sur l'honneur de la directrice de l'usine exploitée par la SASU Alliance Océane mentionnant que ces immobilisations seraient spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel et un tableau établissant qu'au vu de leurs libellés, 91,24% des immobilisations en cause portent sur des panneaux isothermes. Dès lors, il y a lieu d'exclure de la base imposable les immobilisations correspondantes à hauteur de 91,24% du montant demandé, soit 1 017 360 euros.
8. En troisième lieu, concernant les immobilisations relatives aux équipements frigorifiques, l'activité de la société requérante étant la préparation de plats à base de poissons, outre l'attestation de la directrice de l'usine, les libellés en cause indiquent clairement que ces immobilisations sont spécifiquement adaptées aux activités susceptibles d'être exercées dans un établissement industriel et il ne résulte pas de l'instruction que ces équipements seraient au nombre des éléments mentionnés aux 1° et 2° de l'article 1381 du code général des impôts. Dès lors, il y a lieu de les exclure de la base imposable, soit un montant de 293 701 euros.
9. En quatrième lieu, concernant les factures d'honoraires de maîtrise d'œuvre que la SASU Alliance Océane avait immobilisées, pour un montant total de 590 344 euros, elle fait valoir qu'ils correspondaient à trois importantes périodes de travaux dans l'usine liés à des biens d'équipement spécialisés tels que visés au 11° de l'article 1382 du code général des impôts, avec l'application à d'un pourcentage du coût des travaux pour déterminer l'assiette des honoraires. Toutefois, pour les travaux effectués en 1994, la société requérante n'a produit qu'une facture globale d'honoraires et un tableau récapitulatif, ce qui n'est pas suffisamment probant. Concernant les travaux effectués en 1998 et en 2001, les factures produites sont suffisamment détaillées. En revanche, pour les travaux effectués en 2008, les honoraires liés au lot " porte coupe-feu " de 1 555 euros ne portent ni sur les installations électriques, ni sur les panneaux d'isolation thermique ou les équipements frigorifiques et ne peuvent donc pas être distraits de la base imposable. Il y a également lieu de ne pas exclure de la base imposable, pour les mêmes motifs, s'agissant des travaux effectués en 2001, les honoraires liés au lot " climatisation ", d'un montant de 1 324 euros. Ainsi, il y a lieu d'exclure de la base imposable uniquement un montant de 33 344 euros pour les honoraires liés aux travaux effectués en 1998 et un montant de 13 442 euros pour les honoraires liés aux travaux effectués en 2001, soit un montant total de 46 786 euros.
10. En cinquième et dernier lieu, s'agissant des travaux qualifiés par la société requérante d'entretien et de réparation, aux termes de l'article 1517 du code général des impôts : " I. - 1. Il est procédé, annuellement, à la constatation des constructions nouvelles et des changements de consistance ou d'affectation des propriétés bâties et non bâties. Il en va de même pour les changements de caractéristiques physiques ou d'environnement. (...) ". Les seuls libellés des immobilisations en cause n'établissent pas que ces travaux n'auraient pas modifié les caractéristiques physiques de l'établissement ou qu'ils n'auraient entraîné aucune amélioration. Par suite, la requérante n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère non imposable de ces éléments.
Sur l'interprétation administrative de la loi fiscale :
11. Aux termes de l'article L. 80 A du livre des procédures fiscales : " Il ne sera procédé à aucun rehaussement d'impositions antérieures si la cause du rehaussement poursuivi par l'administration est un différend sur l'interprétation par le redevable de bonne foi du texte fiscal et s'il est démontré que l'interprétation sur laquelle est fondée la première décision a été, à l'époque, formellement admise par l'administration. Lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l'interprétation que l'administration avait fait connaître par ses instructions ou circulaires publiées et qu'elle n'avait pas rapportée à la date des opérations en cause, elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente. (...) ". Le paragraphe 230 de l'instruction fiscale publiée sous la référence BOI-IF-TFB-20-20-10-20 prévoit que : " Les changements de caractéristiques physiques ne sont pris en compte que lorsqu'ils ont une incidence sur le prix de revient comptable des immobilisations, c'est-à-dire, en fait, lorsqu'ils revêtent le caractère de grosses réparations amortissables ou d'installations ou d'agencements nouveaux. / Il est cependant admis que le complément de valeur locative résultant des changements du premier type (grosses réparations) ne soit pas calculé sur la base de la valeur d'immobilisation ajoutée au bilan à l'issue des travaux mais sur une base inférieure tenant compte du fait que ces derniers ne créent pas une immobilisation nouvelle mais confortent seulement une immobilisation ancienne. Ainsi, si les travaux de réparation considérés n'apportent aucune amélioration à l'établissement, il n'y a pas lieu de calculer de complément de valeur locative. ".
12. Comme il a été indiqué au point 10, la société requérante n'établit pas que les travaux en cause n'apportaient aucune amélioration à l'établissement. Ainsi, elle n'est pas fondée à se prévaloir du paragraphe 230 de l'instruction fiscale cité au point 11.
13. Il résulte de tout ce qui précède que la SASU Alliance Océane est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté le surplus de sa demande à hauteur de 2 007 683 euros.
Sur les frais liés au litige :
14. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au profit de la SASU Alliance Océane sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : Sont exclus des bases de la cotisation foncière des entreprises à laquelle est assujettie la SASU Alliance Océane au titre des années 2014 à 2017 s'agissant de l'établissement situé à Carentan-les-Marais les immobilisations relatives aux installations électriques à hauteur de 51,9%, soit 649 836 euros, celles relatives aux équipements frigorifiques, soit 293 701 euros, celles relatives aux panneaux d'isolation thermique, soit 1 017 360 euros, et les honoraires de maîtrise d'œuvre liés à ces immobilisations et engagés dans le cadre des travaux effectués en 1998 et en 2001, soit 46 786 euros, correspondant à un montant total de 2 007 683 euros.
Article 2 : La SASU Alliance Océane est déchargée des montants de cotisation foncière des entreprises auxquels elle a été assujettie au titre des années 2014 à 2017 dans les rôles de la commune de Carentan-les-Marais correspondant à la réduction des bases d'imposition résultant de l'article 1er.
Article 3 : Le jugement nos 1902434 et 1902439 du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Caen est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à la SASU Alliance Océane la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de la SASU Alliance Océane est rejeté.
Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la société par actions simplifiée unipersonnelle Alliance Océane et au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
Délibéré après l'audience du 11 mai 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Geffray, président,
- M. Penhoat, premier conseiller,
- Mme Picquet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 26 mai 2023.
La rapporteure
P. Picquet
Le président
J-E. GeffrayLa greffière
S. Pierodé
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01887
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