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05/05/2023 | FRANCE | N°22NT03480

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 05 mai 2023, 22NT03480


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le préfet de la Mayenne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré.

Par un jugement n° 2206714 du 30 septembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour

:

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2022 Mme F... E..., représentée par Me Béarna...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 par lequel le préfet de la Mayenne lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être reconduite d'office lorsque le délai sera expiré.

Par un jugement n° 2206714 du 30 septembre 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 9 novembre 2022 Mme F... E..., représentée par Me Béarnais, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 12 mai 2022 du préfet de la Mayenne ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le magistrat désigné a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ; le jugement attaqué est insuffisamment motivé ; le jugement attaqué est donc irrégulier ;

- l'arrêté contesté a été pris par une autorité incompétente ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est insuffisamment motivée, a été prise sans un examen particulier de sa situation personnelle et méconnait le droit d'être entendu, qui est garanti par la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense enregistré le 8 mars 2023, le préfet de la Mayenne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme F... E... ne sont pas fondés.

Mme F... E... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 18 octobre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. La demande d'asile de Mme F... E..., ressortissante de la République démocratique du Congo, née le 12 septembre 1992, ayant été rejetée par une décision du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 20 septembre 2021 puis par une décision de la Cour nationale du droit d'asile du 1er mars 2022, le préfet de la Mayenne, par un arrêté du 12 mai 2022, a obligé l'intéressée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours en application des dispositions du 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et a fixé le pays de destination. Mme F... E... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler cet arrêté. Par un jugement du 30 septembre 2022, dont Mme F... E... relève appel, le magistrat désigné par le président du tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que, comme le soutient à juste titre Mme F... E..., le magistrat désigné a omis de se prononcer sur le moyen soulevé en première instance et tiré de ce que la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant. Ce moyen n'était pas inopérant. Par suite, Mme F... E... est fondée à soutenir que le jugement en tant qu'il a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de cette décision est irrégulier et, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen relatif à l'insuffisante motivation du jugement, à en demander l'annulation.

3. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur les conclusions présentées par Mme F... E... devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, et de statuer, par la voie de l'effet dévolutif, sur les conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.

Sur la légalité de l'arrêté contesté :

4. En premier lieu, par un arrêté du 3 mai 2022 régulièrement publié au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Mayenne a donné délégation à M. A... D..., directeur de la citoyenneté, signataire de l'arrêté litigieux, à l'effet de signer, notamment, les décisions portant obligation de quitter le territoire français. Dès lors, le moyen tiré de l'incompétence de ce signataire doit être écarté.

5. En deuxième lieu, la décision portant obligation de quitter le territoire français, qui vise les articles 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les textes dont il est fait application et en particulier le 4° de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et l'article L. 541-2 du même code, précise que la requérante ne dispose plus du droit de se maintenir en France après le rejet de sa demande d'asile. La circonstance que l'arrêté n'indique pas sur laquelle des hypothèses listées aux a) à d) du 1° de l'article L. 541-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile il se fonde, alors même qu'il y est précisé que la demande d'asile de l'intéressée a fait l'objet d'un rejet, n'est pas de nature à rendre insuffisante la motivation de la décision.

6. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier et notamment de la motivation de la décision portant obligation de quitter le territoire français que le préfet de la Mayenne n'a pas procédé à un examen particulier de la situation personnelle de Mme F... E....

7. En quatrième lieu, lorsqu'il oblige un étranger à quitter le territoire français sur le fondement des dispositions du 4° du I de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet doit appliquer les principes généraux du droit de l'Union européenne, dont celui du droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle défavorable ne soit prise à son encontre, tel qu'il est énoncé notamment au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. Ce droit n'implique pas systématiquement l'obligation pour l'administration d'organiser, de sa propre initiative, un entretien avec l'intéressé, ni même d'inviter ce dernier à produire ses observations, mais suppose seulement que, informé de ce qu'une décision lui faisant grief est susceptible d'être prise à son encontre, il soit en mesure de présenter spontanément des observations écrites ou de demander un entretien pour faire valoir ses observations orales. Lorsqu'il demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, y compris au titre de l'asile, l'étranger, du fait même de l'accomplissement de cette démarche qui vise à ce qu'il soit autorisé à se maintenir en France et ne puisse donc pas faire l'objet d'une mesure d'éloignement forcé, ne saurait ignorer qu'en cas de refus il sera en revanche susceptible de faire l'objet d'une telle décision. En principe, il se trouve ainsi en mesure de présenter à l'administration, à tout moment de la procédure, des observations et éléments de nature à faire obstacle à l'édiction d'une mesure d'éloignement. Enfin, une atteinte au droit d'être entendu n'est susceptible d'entraîner l'annulation de la décision faisant grief que si la procédure administrative aurait pu, en fonction des circonstances de fait et de droit spécifiques de l'espèce, aboutir à un résultat différent du fait des observations et éléments que l'étranger a été privé de faire valoir.

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que Mme F... E... aurait demandé un entretien avec les services préfectoraux ni qu'elle aurait été empêchée de s'exprimer avant que ne soit prise la décision l'obligeant à quitter le territoire français. L'intéressée n'allègue pas qu'elle aurait tenté en vain de porter à la connaissance de l'administration des éléments pertinents relatifs à sa situation, antérieurement à cette mesure d'éloignement. Dans ces conditions, le moyen tiré de ce que Mme F... E... a été privée du droit d'être entendue, résultant du principe général du droit de l'Union européenne tel qu'il est notamment exprimé au 2 de l'article 41 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, doit être écarté.

9. En cinquième lieu, aux termes de l'article L. 542-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Les dispositions du présent article s'appliquent sous réserve du respect des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951, et de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. ". Aux termes de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951 : " 1. Aucun des Etats Contractants n'expulsera ou ne refoulera, de quelque manière que ce soit, un réfugié sur les frontières des territoires où sa vie ou sa liberté serait menacée en raison de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un certain groupe social ou de ses opinions politiques. / (...) ". La qualité de réfugié ne lui ayant pas été reconnue, Mme F... E... n'est pas fondée à invoquer la méconnaissance des stipulations de l'article 33 de la convention de Genève du 28 juillet 1951.

10. En sixième lieu, le séjour de Mme F... E..., qui est entrée en France le 11 septembre 2020, soit depuis à peine dix-huit mois ans à la date de l'arrêté contesté, est récent. L'intéressée n'a pas d'autres attaches familiales en France que ses trois enfants, nés en 2015, 2018 et 2021. Elle prétend avoir établi un réseau amical mais elle ne le démontre pas. Dans ces conditions d'entrée et de séjour, la décision portant obligation de quitter le territoire français n'a pas porté au droit au respect de la vie privée et familiale de l'intéressée une atteinte disproportionnée au regard des buts qu'elle a poursuivis, en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

11. Enfin, rien ne fait obstacle à ce que les enfants de G... F... E..., eu égard notamment à leur jeune âge, suivent leur mère dans son pays d'origine et y poursuivent une existence et une scolarité normales ainsi que, pour l'un des enfants, un suivi psychologique. Par suite, la décision portant obligation de quitter le territoire français ne méconnaît pas les stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

12. La requérante ne soulève devant la cour aucun moyen spécifique à l'appui de ses conclusions dirigées contre la décision fixant le pays de destination.

13. Il résulte de ce qui précède que Mme F... E... n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision portant obligation de quitter le territoire français, ni à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions à fin d'annulation de la décision fixant le pays de destination. Par voie de conséquence, ses conclusions relatives aux frais liés au litige doivent être rejetées.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2206714 du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2022 en tant qu'il a rejeté les conclusions de Mme F... E... dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français est annulé.

Article 2 : Les conclusions de Mme F... E... présentées devant le tribunal administratif de Nantes et dirigées contre la décision portant obligation de quitter le territoire français, ainsi que les conclusions présentées par elle devant la cour, sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Un copie en sera transmise au préfet de la Mayenne.

Délibéré après l'audience du 13 avril 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Penhoat, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.

Le rapporteur

J.E. C...La présidente

I. Perrot

La greffière

A. Marchais

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N°22NT0348002


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT03480
Date de la décision : 05/05/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : BEARNAIS

Origine de la décision
Date de l'import : 14/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-05-05;22nt03480 ?
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