Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
N... I... G... B... et M. F... G... O... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 novembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours contre la décision de l'autorité consulaire française en République démocratique du Congo refusant de délivrer des visas d'entrée et de long séjour à Nathan G... O..., D... G..., J... G... et Grace G... au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n°2100320 du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 6 septembre 2021 et 17 février 2022, N... I... G... B..., agissant en qualité de représentante légale des enfants mineurs D... G..., J... G... et A... G..., et M. F... G... O..., représentés par Me Coll, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 12 novembre 2020 de la commission de recours ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités dans un délai de 48 heures à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, au besoin sous astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que :
- la décision contestée n'est pas signée, en méconnaissance de l'article L. 212-1 du code des relations entre le public et l'administration ;
- la décision contestée est entachée d'un vice d'incompétence faute pour son signataire de justifier de sa nomination régulière en qualité de président de la commission de recours ;
- la décision contestée n'est motivée ni en fait ni en droit ;
- le lien de filiation est établi par les actes d'état civil produits qui sont authentiques et par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 19 octobre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code des relations entre le public et l'administration ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de N... M... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. N... G... B..., ressortissante congolaise née le 28 mai 1983, s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée par les autorités françaises en 2013. Ses quatre enfants allégués, à savoir Nathan G... O... né le 10 novembre 2002, D... G... né le 21 juin 2007, J... G... née le 10 mars 2009 et Grace G... né le 20 février 2011, ont sollicité le 28 novembre 2019 la délivrance de visas de long séjour au titre de la réunification familiale. Par une décision du 17 juillet 2020, l'ambassade de France à Kinshasa, en République démocratique du Congo, a refusé de faire droit à ces demandes. Par une décision du 12 novembre 2020, notifiée par un courrier du 13 novembre 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé par N... G... B... et M. F... G... O... contre la décision des autorités consulaires. Par un jugement du 6 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de N... G... B... et de M. F... G... O... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours. N... G... B... et M. F... G... O... relèvent appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " (...) Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ".
3. Aux termes de l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".
4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour rejeter les demandes de visa, la commission des recours s'est fondée sur les motifs que les actes d'état-civil, dressés en transcription du jugement supplétif, ne sont pas conformes à l'article 106 du code civil de la famille congolais, que la production de tels documents relève d'une intention frauduleuse et qu'il n'a pas été présenté de jugement de déchéance de l'autorité parentale du père des demandeurs de visas.
7. Pour justifier de leur identité et du lien de filiation revendiqué, les demandeurs de visas ont produit chacun une copie intégrale, certifiée conforme le 19 novembre 2019, des actes de naissance dressés sur la base d'un jugement supplétif rendu le 30 juillet 2019 par le tribunal pour enfants de K.../E... sur la requête de M. L..., se présentant comme le père et comme l'hébergeant des enfants, et expliquant sa demande de jugement supplétif par l'absence de déclaration, dans le délai légal, de la naissance des enfants auprès de l'état civil. Si le ministre fait valoir que cette justification révèle l'intention frauduleuse de N... G... B... dès lors que des jugements supplétifs avaient déjà été rendus par le tribunal pour enfants de K.../ H... en 2014 au motif identique de l'absence de déclaration de la naissance des quatre enfants dans le délai légal et que des actes de naissance avaient été dressés pour chacun d'eux en transcription de ces jugements, il ressort des pièces du dossier que ce même tribunal a prononcé, par un jugement rendu le 6 avril 2021, nullement contesté par le ministre, l'annulation des jugements supplétifs RC 499, RC 498, RC 497 et RC 496 ainsi que les actes de naissance n° 1616 Volume IV Folio n° CXVI/2014, n° 1617 Volume IV Folio n° CXVII/2014, n° 1618 Volume IV Folio n° CXVIII/2014 et n° 1619 Volume IV Folio n° CXIX/2014 du 30 avril 2014, au motif de la " multiplicité des actes de naissance des enfants précités en circulation " et a ordonné à l'officier de l'état-civil de la commune de N'Djili d'annuler ces actes de naissance dans le registre des naissances de la commune. Par ailleurs, la circonstance que le jugement supplétif du 30 juillet 2019 a été rendu par le tribunal pour enfants de K.../E... alors que les jugements supplétifs de 2014 avaient été prononcés par le tribunal de Kinshasa/H... ne suffit pas, à elle seule, à démontrer son caractère frauduleux. Dans ces conditions, l'identité des demandeurs de visas et leur lien de filiation à l'égard de N... G... B... doivent être regardés comme établis par le jugement supplétif du 30 juillet 2019. Il en résulte que le ministre ne saurait utilement invoquer les circonstances que les actes de naissance, établis en transcription de ce jugement supplétif, comportent des mentions supplémentaires à celles qui y sont énoncées.
8. Il résulte de ce qui précède qu'en considérant que l'identité et le lien de filiation de M. F... O... G... et des jeunes D..., J... et A... G... n'étaient pas établis à l'égard de N... G... B..., la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a procédé à une inexacte application des dispositions citées aux points 2 et 3.
9. En deuxième lieu, aux termes du II de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) ". L'article L. 411-2 de ce code, dans sa rédaction alors en vigueur dispose : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux ". L'article L. 411-3 du même code dans sa rédaction alors en vigueur prévoit : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France ".
10. Il ressort des pièces du dossier que la commission de recours s'est également fondée, pour prendre la décision contestée, sur le motif que N... G... B... ne justifiait pas de l'absence de déchéance de l'autorité parentale du père des enfants, M. L... C.... Si les requérants ont produit, en première instance, un jugement du tribunal pour enfants de K.../E... confiant à N... G... B... la garde des enfants D..., J... et A... G..., le père de ceux-ci ayant renoncé à exercer l'autorité parentale, ce jugement a été rendu le 11 décembre 2020, soit postérieurement à la décision contestée. Il s'ensuit, et alors qu'à la date de cette décision, le père des enfants mineurs demandeurs de visa, n'était ni décédé ni déchu de l'autorité parentale, que celle-ci n'avait pas encore été confiée à N... G... B... en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision en tant qu'elle concerne les enfants mineurs P... N... G... B..., à savoir D..., J... et Grace G..., si elle s'était fondée que sur ce seul motif. Toutefois, ce motif ne pouvait légalement fonder le refus de visa opposé par la commission à M. F... O... G..., celui-ci étant majeur à la date de cette décision et ne relevant donc plus de l'autorité parentale de M. L... C....
11. Il résulte du point 10 que la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France a procédé à une inexacte application des dispositions citées au point 9 en tant que cette décision concerne M. F... O... G....
12. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
13. Il ressort des pièces du dossier que N... G... B... a dû quitter, en 2012, son pays d'origine, la République démocratique du Congo et qu'elle s'est vu reconnaître la qualité de réfugiée en 2013. Il ressort également des pièces du dossier, notamment du rapport d'enquête sociale déposé le 9 novembre 2020 par un assistant social du tribunal pour enfants de K... E..., que le père des enfants de N... G... B..., M. L... C..., a sollicité leur placement auprès d'une famille d'accueil ou au sein d'un centre d'hébergement au motif qu'il n'était plus en capacité de les prendre en charge. En outre, cette demande a été accueillie au motif que le père des enfants " est sans soutien connu ", que dépourvu d'emploi et de revenus " il ne parvient pas à subvenir à leurs besoins sociaux de base " et que leur mère se trouve en France depuis des années. Il ressort également des termes de ce rapport que cette mesure de placement n'a été décidée qu'à titre provisoire, dans l'attente que leur mère puisse les accueillir dans le cadre de la réunification familiale. Enfin, il ne ressort pas des pièces du dossier que les enfants mineurs P... N... G... B... pourraient être pris en charge par d'autres membres de la famille. Dans ces conditions, et alors en outre que l'aîné de la fratrie, M. F... O... G... a vocation à rejoindre en France N... G... B..., que la décision du 12 novembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en tant que cette décision concerne les enfants D..., J... et A... G....
14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que N... G... B... et M. F... O... G... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur conclusions à fin d'injonction et d'astreinte :
15. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement que des visas d'entrée et de long séjour soient délivrés à M. F... O... G... ainsi qu'aux enfants D..., J... et A... G.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer ces visas dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
16. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à N... G... B... et à M. F... G... O... de la somme globale de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du 6 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.
Article 2 : La décision du 12 novembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté les demandes de visas d'entrée et de long séjour en France présentées pour M. F... G... O... et les jeunes D... G..., J... G... et A... G... est annulée.
Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. F... G... O... et aux jeunes D... G..., J... G... et A... G... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 4 : L'Etat versera à N... I... G... B... et à M. F... G... O... une somme globale de 1 200 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à N... I... G... B..., à M. F... G... O... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 11 avril 2023, à laquelle siégeaient :
- N... Buffet, présidente de chambre,
- N... Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 mai 2023.
La rapporteure,
I. M...La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT02513