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14/04/2023 | FRANCE | N°21NT02080

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 14 avril 2023, 21NT02080


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... P... I... et Mme L... C... épouse I... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 21 septembre 2020 des autorités consulaires françaises à Libreville (Gabon) refusant de délivrer aux enfants G... N... K... et O... J... un visa de long séjour sollicité dans le cadre d'une adoption internationale.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... P... I... et Mme L... C... épouse I... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 décembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre les décisions du 21 septembre 2020 des autorités consulaires françaises à Libreville (Gabon) refusant de délivrer aux enfants G... N... K... et O... J... un visa de long séjour sollicité dans le cadre d'une adoption internationale.

Par un jugement n° 2101125 du 12 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 9 décembre 2020 de la commission de recours.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 26 juillet 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Nantes et de rejeter la demande présentée par M. A... P... I... et de Mme L... C... épouse I... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'est pas entachée d'illégalité ; les adoptions des jeunes H... et G..., intervenues sans que l'adoptant ne sollicite un agrément ni ne se rapproche de la Mission de l'adoption internationale, constituent une situation contraire à la conception française de l'ordre public international en ce que les principes de subsidiarité et de primauté de l'adoption nationale n'ont pas été respectés, alors même que le Gabon n'a pas ratifié la convention de La Haye de 1993 ; les jugements d'adoption, qui n'ont fait l'objet d'aucune demande d'exequatur, présentent des anomalies faisant naitre des doutes quant à leur authenticité ;

- il est sollicité la substitution d'un motif tenant à ce que les conditions d'accueil des enfants en France sont contraires à leur intérêt ;

- la décision de refus contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 17 septembre 2021, M. A... P... I... et Mme L... C... épouse I..., représentés par Me Benhamida, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros à verser à leur conseil sur le fondement des articles 37 de la loi du 10 juillet 1990 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- le signataire de la requête d'appel ne justifie pas d'une délégation de signature ;

- les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.

M. A... P... I... a été maintenu de plein droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55 %) par une décision du 7 octobre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme M... ;

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par des jugements du 16 janvier 2020 et du 3 mars 2020, les tribunaux de première instance de Port-Gentil et de Libreville (Gabon) ont prononcé l'adoption simple, respectivement, de l'enfant G... N... K..., née le 19 juin 2007, par M. I..., ressortissant français, et celle de l'enfant H... Joséphine Gadina J..., née le 27 janvier 2011, par M. I... et Mme C... épouse I.... Par des décisions du 21 septembre 2020, les autorités consulaires françaises à Libreville (Gabon) ont rejeté les demandes de visa de long séjour présentées par les jeunes G... N... K... et O... J.... Par une décision du 9 décembre 2020, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ces décisions consulaires. Par un jugement du 12 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. I... et de Mme C... épouse I..., la décision du 9 décembre 2020. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête d'appel :

2. Par une décision du 21 décembre 2020, régulièrement publiée le 24 décembre 2020 au Journal officiel de la République française, Mme E... F..., nommée par un décret du 9 décembre 2020 dans les fonctions de directrice de l'immigration au sein de la direction générale des étrangers en France à l'administration centrale du ministère de l'intérieur, a donné délégation M. B... D..., agent contractuel, adjoint au chef du bureau du contentieux à la sous-direction des visas, à l'effet de signer au nom du ministre de l'intérieur tous actes, arrêtés et décisions, à l'exclusion des décrets, relevant de ses attributions au sein de la sous-direction des visas et précisé que sa délégation de signature porte en particulier sur les mémoires en défense et les décisions de refus de visas d'entrée en France. Par suite, la fin de non-recevoir tirée de ce que la requête serait irrecevable en raison de ce que M. B... D... n'était pas compétent pour la signer doit être écartée.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, de la même convention : " L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé par eux. " Aux termes de l'article 21 de la même convention : " Les États parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière et : / a - veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que par les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant par rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ; / b - reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ; / c - veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ; / d - prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas par un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ; / e - poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués par des autorités ou des organes compétent ".

4. D'une part, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Il résulte des dispositions de l'article 365 du code civil que l'adoptant, bénéficiaire d'un jugement d'adoption, est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre sa famille d'adoption, ce visa ne peut, en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient contraires à son intérêt.

5. D'autre part, les jugements rendus par un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes. Il incombe à l'autorité administrative de tenir compte de tels jugements, dans l'exercice de ses prérogatives, tant qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une déclaration d'inopposabilité. Compétemment saisi d'un litige posant des questions relatives à l'état et la capacité des personnes, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'opposabilité en France d'un jugement rendu en cette matière par un tribunal étranger. Si elles s'y croient fondées, les parties peuvent saisir le juge judiciaire qui est seul compétent pour se prononcer sur l'effet de plein droit de tels jugements. Il appartient toutefois à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.

6. Il ressort des termes de la décision contestée que, pour rejeter les demandes de visas de long séjour présentées par les jeunes G... N... K... et O... J..., la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés de ce que, d'une part, les jugements d'adoption simple, rendus à l'étranger, ont été obtenus hors de la procédure nationale d'agrément, sans intervention de la Mission d'adoption internationale et sans agrément préalable du conseil départemental, d'autre part, l'opposabilité en France de tels jugements n'a pas été vérifiée. La commission de recours en a déduit qu'il existe un risque de détournement de la procédure requise en matière d'adoption.

7. En premier lieu, si le ministre de l'intérieur soutient que M. et Mme I... n'ont pas sollicité, préalablement à leur démarche d'adoption individuelle conduite auprès des autorités gabonaises, un agrément auprès du service d'aide sociale à l'enfance de leur département, en méconnaissance des dispositions des articles 353-1 du code civil et L. 225-17 du code de l'action sociale et des familles qui subordonnent l'adoption d'un enfant étranger à un agrément, ces dispositions ne consacrent pas un principe essentiel du droit français. De même, la consultation de la Mission d'adoption internationale ne peut être regardée par elle-même comme se rattachant à un tel principe. Il s'ensuit que le défaut d'agrément pour adopter et de consultation de la Mission pour l'adoption internationale ne portent pas atteinte à la conception française de l'ordre public international français.

8. En deuxième lieu, le ministre se borne à soutenir que les adoptions en cause sont intervenues en méconnaissance des principes de subsidiarité de l'adoption internationale et de primauté de l'adoption nationale, énoncés au b de l'article 21 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant. Ces seules allégations, qui ne sont assorties d'aucune précision, ne suffisent toutefois pas à établir que l'intérêt supérieur des enfants G... N... K... et O... J... aurait, contrairement à ce qu'ont jugé, les 16 janvier 2020 et du 3 mars 2020, les tribunaux de première instance de Port-Gentil et de Libreville, été méconnu.

9. En troisième lieu, le ministre ne saurait utilement faire valoir que l'opposabilité des jugements rendus par les deux juridictions gabonaises n'a pas été vérifiée alors qu'ainsi qu'il a été rappelé au point 5 ci-dessus, il n'appartient pas au juge administratif de se prononcer sur l'opposabilité en France d'un jugement rendu en cette matière par un tribunal étranger.

10. Toutefois, l'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

11. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre de l'intérieur invoque, dans sa requête d'appel communiquée à M. I... et à Mme C... épouse I..., un autre motif tiré ce que les conditions d'accueil des deux enfants en France ne sont pas conformes à leur intérêt.

12. Il ressort des pièces du dossier que M. I... est retraité de la fonction publique territoriale et que le couple justifiait, à la date de la décision contestée, d'un revenu fiscal de référence de 16 213 euros, soit 1 350 euros par mois. Alors même que M. I... et Mme C... épouse I... sont propriétaires de leur maison d'habitation, ce revenu ne peut être regardé comme suffisant pour permettre l'accueil et la prise en charge des deux enfants adoptées, au sein d'une famille déjà composée de trois personnes dont un jeune enfant issu d'une précédente union de Mme C... épouse I.... En outre, le ministre soutient que le logement des intéressés n'est pas adapté à l'accueil de deux personnes supplémentaires en ce qu'il ne compte que deux chambres. Si M. I... et Mme C... épouse I... font valoir que leur logement disposerait de plusieurs pièces aménageables permettant d'accueillir les deux enfants adoptées, ils n'assortissent leurs allégations d'aucune précision sur ce point. Il s'ensuit que les conditions d'accueil en France des deux enfants ne peuvent être regardées comme conformes à leur intérêt.

13. Il résulte de l'instruction que la commission de recours aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Dans ces conditions, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre, qui ne prive M. I... et Mme C... épouse I... d'aucune garantie, doit être accueillie.

14. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 9 décembre 2020.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, le versement, par application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à l'avocat de M. I... et de Mme C... épouse I... de la somme demandée au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 12 juillet 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée devant le tribunal administratif de Nantes par M. I... et Mme C... épouse I... ainsi que leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à M. A... I... et Mme L... C... épouse I....

Délibéré après l'audience du 28 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, président de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 14 avril 2023.

La rapporteure,

I. M...La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02080


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02080
Date de la décision : 14/04/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : BENHAMIDA

Origine de la décision
Date de l'import : 23/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-04-14;21nt02080 ?
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