Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 12 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de naturalisation.
Par un jugement n° 1811225 du 29 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 26 novembre 2021, Mme C... B..., représentée par Me Rouillé-Mirza, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 29 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 12 mars 2018 par laquelle le ministre de l'intérieur a rejeté sa demande de naturalisation ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de lui accorder la nationalité française dans le délai de quinze jours à compter de la notification de la décision à intervenir sous astreinte de 100 euros par jour de retard et, subsidiairement, de procéder à un nouvel examen de sa situation dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Elle soutient que :
- la décision est entachée d'erreur d'appréciation s'agissant de son identité ;
- elle méconnaît les dispositions des articles 21-17 et 21-24 du code civil, dès lors qu'elle a fixé sa résidence habituelle en France depuis plus de cinq années et qu'elle justifie d'une parfaite intégration à la communauté française.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 décembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.
Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 25 février 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique .
Considérant ce qui suit :
1. Mme C... B..., ressortissante arménienne née en 1988, a présenté auprès du préfet d'Indre-et-Loire une demande de naturalisation, qui a été ajournée à deux ans par une décision du 5 septembre 2017. Par une décision du 12 mars 2018, le ministre de l'intérieur a rejeté le recours formé par Mme B... contre cette décision et, au terme d'un réexamen de sa situation, a rejeté sa demande de naturalisation. Par un jugement du 29 octobre 2021 dont Mme B... relève appel, le tribunal administratif de Nantes a rejeté son recours formé contre cette décision de rejet.
2. Pour refuser la demande de naturalisation présentée par Mme B... le ministre de l'intérieur s'est fondé sur le fait qu'en raison de discordances relatives à sa date de naissance, telle qu'elle est mentionnée sur les différents actes de naissance produits à l'appui de sa demande, son identité ne pouvait être établie avec certitude.
3. Aux termes de l'article 21-15 du code civil : " (...) l'acquisition de la nationalité française par décision de l'autorité publique résulte d'une naturalisation accordée par décret à la demande de l'étranger. ". Aux termes de l'article 48 du décret du 30 décembre 1993 susvisé : " (...) Si le ministre chargé des naturalisations estime qu'il n'y a pas lieu d'accorder la naturalisation ou la réintégration dans la nationalité sollicitée, il prononce le rejet de la demande. (...) ". En application de ces dispositions, il appartient au ministre de l'intérieur de porter une appréciation sur l'intérêt d'accorder la naturalisation à l'étranger qui la sollicite. Dans le cadre de cet examen d'opportunité, il peut légalement prendre en compte les incertitudes pouvant exister sur l'état civil exact du postulant.
4. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil (...) ". Aux termes de l'article 47 alors en vigueur du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
5. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de sa demande de naturalisation Mme B... a produit deux traductions de son acte de naissance arménien qui divergent sur son année de naissance, puisque l'une mentionne le 3 juillet 1988 (3/7/1988) et l'autre le 7 mars 1988 (7/3/1988), ce qui peut s'expliquer par une permutation des chiffres des jours et mois lors de la traduction. Elle a également communiqué les actes de naissance français de ses trois enfants, qui pour l'un mentionne qu'elle est née le 3 juillet 1988 et les deux autres le 3 juin 1987. Cependant par des ordonnances du 4 juillet 2019 du tribunal de grande instance de Tours ces deux derniers actes d'état-civil ont été rectifiés afin d'y mentionner la naissance de Mme B... le 3 juillet 1988. Ces décisions sont intervenues au vu de la copie de l'acte de naissance de cette dernière, délivrée par les autorités arméniennes, revêtu d'une apostille, qui est produit à la présente instance avec sa traduction, de même qu'est produit le passeport arménien de la requérante avec d'autres pièces - contrats de travail, attestation de vente immobilière, titres de séjour, qui font toutes apparaître le 3 juillet 1988 comme date de naissance de l'intéressée. Dans les circonstances de l'espèce, les éléments contradictoires pris en compte par le préfet n'étant pas suffisants pour établir que l'identité de Mme B... ne pourrait être établie avec certitude, la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.
6. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du ministre de l'intérieur du 12 mars 2018 rejetant sa demande de naturalisation.
Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :
7. Le présent arrêt implique seulement, compte tenu de ses motifs, que le ministre se prononce à nouveau sur la demande présentée par la requérante. Il y a lieu, dès lors, d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de procéder au réexamen de la demande de naturalisation de Mme B... dans un délai de cinq mois, sans qu'il soit nécessaire de prononcer une astreinte.
Sur les frais d'instance :
8. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 000 euros à Me Rouillé-Mirza dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement n° 1811225 du 29 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 12 mars 2018 du ministre de l'intérieur rejetant la demande de naturalisation de Mme B... sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de réexaminer, dans le délai de cinq mois à compter de la notification du présent arrêt, la demande de naturalisation présentée par Mme B....
Article 3 : L'Etat versera à Me Rouillé-Mirza une somme de 1 000 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 17 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 avril 2023.
Le rapporteur,
C. A...
Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03326