Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société TDF a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 19 février 2021 par lequel le maire de Lingèvres s'est opposé à la déclaration préalable qu'elle a déposée en vue de l'installation d'une antenne relais de téléphonie mobile sur la parcelle cadastrée section C no 57, ainsi que la décision du 23 avril 2021 rejetant son recours gracieux contre cet arrêté.
Par un jugement no 2101364 du 29 juillet 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 septembre 2022 et 16 janvier 2023, la société TDF, représentée par Me Bon-Julien, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler l'arrêté du 19 février 2021 par lequel le maire de Lingèvres s'est opposé à sa déclaration préalable ainsi que la décision du 23 avril 2021 rejetant son recours gracieux contre cet arrêté ;
3°) d'enjoindre à la commune de Lingèvres de délivrer à la société TDF un arrêté de non-opposition à la déclaration préalable, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;
4°) de mettre à la charge de la commune de Lingèvres une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- l'arrêté contesté méconnaît les dispositions de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme et de l'article L. 332-8 du même code ;
- le projet ne méconnaît ni les articles N2 et N3 du règlement du plan local d'urbanisme ni l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
Par un mémoire en défense, enregistré le 16 décembre 2022, la commune de Lingèvres, représentée par Me Soublin, conclut au rejet de la requête et à ce qu'il soit mis à la charge de la société TDF une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle soutient que :
- les moyens soulevés par la société TDF ne sont pas fondés ;
- au motif figurant dans l'arrêté contesté doivent, le cas échéant, être substitués les motifs tirés, d'une part, de la méconnaissance de l'article N2 du règlement du plan local d'urbanisme et, d'autre part, de la méconnaissance de l'article N3 du même règlement et de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme.
Par une ordonnance du 6 février 2023, l'instruction a été close le même jour.
La commune de Lingèvres a présenté, le 8 février 2023, soit postérieurement à la clôture de l'instruction, un nouveau mémoire en défense, qui n'a pas été communiqué.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'urbanisme ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. A...,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- les observations de Me Bon-Julien, représentant la société TDF, et les observations de Me Daumont, substituant Me Soublin, représentant la commune de Lingèvres.
Considérant ce qui suit :
1. Le 26 janvier 2021, la société TDF a déposé un dossier de déclaration préalable de travaux en vue de la réalisation d'un pylône d'antenne relais de téléphonie mobile, d'une dalle technique en béton au sol, de baies techniques et d'une clôture, sur un terrain situé à Lingèvres au lieu-dit " Clos Birou ", sur la parcelle cadastrée section C no 57. Par un arrêté du 19 février 2021, le maire de Lingèvres s'est opposé à cette déclaration de travaux. La société TDF a formé un recours gracieux par courrier du 9 mars 2021, qui a été rejeté par une décision du maire du 23 avril 2021. La société TDF relève appel du jugement du 29 juillet 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 19 février 2021 et de la décision du 23 avril 2021 du maire de Lingèvres.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme : " Lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. / Lorsqu'un projet fait l'objet d'une déclaration préalable, l'autorité compétente doit s'opposer à sa réalisation lorsque les conditions mentionnées au premier alinéa ne sont pas réunies. / (...) ".
3. Ces dispositions poursuivent notamment le but d'intérêt général d'éviter à la collectivité publique ou au concessionnaire d'être contraints, par le seul effet d'une initiative privée, de réaliser des travaux d'extension ou de renforcement des réseaux publics, sans prise en compte des perspectives d'urbanisation et de développement de la collectivité, et de garantir leur cohérence et leur bon fonctionnement. Un permis de construire doit être refusé lorsque, d'une part, des travaux d'extension ou de renforcement de la capacité des réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou d'électricité sont nécessaires à la desserte de la construction projetée et que, d'autre part, l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés, après avoir, le cas échéant, accompli les diligences appropriées pour recueillir les informations nécessaires à son appréciation.
4. L'autorité compétente peut refuser de délivrer le permis de construire sollicité ou s'opposer à une déclaration préalable pour un projet qui exige une modification de la consistance d'un réseau public qui, compte tenu de ses perspectives d'urbanisation et de développement, ne correspond pas aux besoins de la collectivité ou lorsque des travaux de modification du réseau ont été réalisés sans son accord.
5. Il ressort des pièces du dossier que la desserte de l'installation litigieuse requiert la réalisation d'une extension du réseau de distribution d'électricité d'une longueur de 300 mètres sur le domaine public. Le syndicat départemental d'énergies du Calvados, autorité compétente en matière de réseau de distribution d'électricité, a émis le 10 février 2021 un avis sur le projet de la société TDF indiquant que le réseau public d'électricité, présent à 300 mètres de la parcelle d'assiette du projet, dispose d'une capacité suffisante pour assurer le raccordement projeté. Il ressort en outre de cet avis que les travaux d'extension du réseau peuvent être réalisés sans obstacle technique, sous réserve de leur financement soit par le pétitionnaire, en application des dispositions de l'article L. 332-8 du code de l'urbanisme, soit par la commune. Ainsi, en s'opposant à la déclaration préalable déposée par la société TDF au motif que " l'autorité compétente n'était pas en mesure d'indiquer dans quel délai ces travaux doivent être exécutés ", alors que le syndicat départemental d'énergies du Calvados n'avait pas émis de remarques particulières quant au délai d'exécution des travaux de raccordement et qu'aucune diligence appropriée n'avait été entreprise par le maire de Lingèvres pour obtenir davantage d'informations sur ce délai, le maire a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme. Au demeurant, si la commune de Lingèvres soutient qu'elle " pouvait valablement opposer son absence de volonté de prendre en charge le financement des travaux d'extension ", c'est-à-dire la part des frais de raccordement restant à sa charge en vertu de l'article L. 342-11 du code de l'énergie, un tel motif, lié aux conditions financières dans lesquelles ce raccordement sera assuré, est étranger à l'objet de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme et n'est, en tout état de cause, pas justifié par les besoins de la collectivité appréciés au regard de ses perspectives d'urbanisation et de développement. Ce motif n'aurait donc pu légalement justifier la décision contestée.
6. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
7. La commune de Lingèvres fait valoir que la décision contestée est légalement justifiée par deux autres motifs tirés, d'une part, de la méconnaissance de l'article N2 du règlement du plan local d'urbanisme de Lingèvres et, d'autre part, de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme et de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme.
8. En premier lieu, si l'article N2 du plan local d'urbanisme de Lingèvres dispose que les occupations du sol telles que les équipements publics ou d'intérêt général ne sont admises que sous réserve " que la capacité des réseaux et voies existants le permette ", ces dispositions ne peuvent légalement faire échec aux dispositions précitées de l'article L. 111-11 du code de l'urbanisme. Or, ainsi qu'il a été dit au point 8, la décision contestée méconnaît les dispositions de cet article L. 111-11.
9. En second lieu, aux termes de l'article R. 111-2 du code de l'urbanisme : " Le projet peut être refusé ou n'être accepté que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales s'il est de nature à porter atteinte à la salubrité ou à la sécurité publique du fait de sa situation, de ses caractéristiques, de son importance ou de son implantation à proximité d'autres installations. " Aux termes de l'article N3 du règlement du plan local d'urbanisme de Lingèvres, relatif aux conditions de desserte et d'accès : " I. - Accès : Pour être constructible, un terrain doit avoir accès à une voie publique ou privée, (...), ce passage aura une largeur minimale de 3 m. / Les dispositions des accès doit assurer la sécurité des usagers et leurs abords doivent être dégagés de façon à assurer la visibilité et la sécurité lors des manœuvres d'entrée et de sortie de la parcelle. (...) / II. - Voirie : / - les constructions et installations doivent être desservies par des voies dont les caractéristiques correspondent à leur destination / - les voies doivent avoir des caractéristiques adaptées à l'approche et à l'accès des véhicules de lutte contre l'incendie et d'enlèvement des ordures ménagères. (...) ".
10. Il ressort des pièces du dossier que le terrain d'assiette du projet est desservi par une voie communale. La commune n'apporte aucun élément de nature à démontrer que les caractéristiques de cette voie ne permettraient pas son utilisation par les véhicules de lutte contre l'incendie. Quant à l'accès à la parcelle depuis cette voie communale, il sera assuré par une zone d'accès empierrée et compactée d'une douzaine de mètres de largeur, qui permettra l'accès à l'antenne relais tant par les véhicules de maintenance de celle-ci que par les véhicules de lutte contre l'incendie.
11. Dès lors, aucun des motifs cités au point 7 n'est de nature à fonder légalement la décision contestée de sorte que la demande substitution de motifs sollicitée par la commune de Lingèvres ne peut être accueillie.
12. Il résulte de tout ce qui précède que la société TDF est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de l'arrêté du 19 février 2021 par lequel le maire de Lingèvres s'est opposé à sa déclaration préalable, ainsi que de la décision du 23 avril 2021 rejetant son recours gracieux contre cet arrêté.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
13. Le présent arrêt implique seulement, eu égard au motif qui le fonde lié au fait que le maire de Lingèvres n'a pas accompli les diligences appropriées pour recueillir auprès du syndicat départemental d'énergies du Calvados l'information relative au délai d'exécution des travaux d'extension du réseau de distribution d'électricité, que le maire de Lingèvres réexamine la déclaration préalable de la société TDF, après avoir accompli ces diligences. Par suite, il y a lieu d'enjoindre à cette autorité de réexaminer, en respectant l'autorité de la chose jugée par le présent arrêt, la déclaration préalable déposée par la société TDF dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Sur les frais liés au litige :
14. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de la société TDF, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la commune de Lingèvres demande au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige soumis au juge.
15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de Lingèvres la somme de 1 500 euros à verser à la société TDF au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Caen du 29 juillet 2022, l'arrêté du 19 février 2021 du maire de Lingèvres et la décision du 23 avril 2021 rejetant le recours gracieux contre cet arrêté sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au maire de Lingèvres de réexaminer la déclaration préalable déposée par la société TDF dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : La commune de Lingèvres versera à la société TDF une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Les conclusions présentées par la commune de Lingèvres au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société TDF et à la commune de Lingèvres.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2023.
Le rapporteur,
F.-X. A...La présidente,
C. Buffet
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT03163