Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. C... E... et Mme A... B..., épouse E..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 30 septembre 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Skopje (République de Macédoine) refusant de délivrer à M. E... un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française.
Par un jugement no 2113862 du 7 juin 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à l'intéressé le visa sollicité.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 19 juillet 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. C... E... et Mme A... B... épouse E... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a considéré que le motif tiré de la menace à l'ordre public que représente la présence en France du demandeur de visa est entaché d'erreur d'appréciation ;
- la décision contestée ne méconnaît pas les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 27 décembre 2022, M. C... E... et Mme A... B... épouse E..., représentés par la SCP Clemang, concluent :
1°) au rejet de la requête ;
2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 1 440 euros au profit de Me Clemang en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Par une décision du 22 août 2022, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Nantes a constaté que M. C... E... conservait de plein droit le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E..., ressortissant kosovar né le 1er mai 1986, s'est marié à Dijon le 10 juillet 2017 avec Mme B..., ressortissante française. Il a sollicité la délivrance d'un visa de long séjour en qualité de conjoint d'une ressortissante française auprès de l'autorité consulaire française à Skopje, laquelle a rejeté sa demande par une décision du 17 juin 2021. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre ce refus consulaire par une décision du 30 septembre 2021. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer le visa sollicité.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes des dispositions de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de ressortissant français. Il ne peut être refusé qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. " Il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français, dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire, le visa nécessaire pour que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir que le mariage a été entaché d'une telle fraude, de nature à justifier légalement le refus de visa.
3. La décision contestée est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de l'existence d'un faisceau d'indices précis et concordants attestant du caractère complaisant du mariage, contracté à des fins étrangères à l'institution matrimoniale dans le seul but de faciliter l'établissement en France du demandeur, et, d'autre part, de la menace à l'ordre public que représente la présence en France de M. E....
4. En premier lieu, ainsi que l'admet d'ailleurs le ministre de l'intérieur, il ressort des pièces du dossier, notamment des justificatifs de visite de Mme B... durant l'incarcération de M. E... en France et en Suisse entre 2013 et 2016 et des nombreuses photographies du couple et de leurs proches prises en différents lieux entre 2017 et 2021, que le mariage M. E... et Mme B... n'est pas entaché de fraude.
5. En second lieu, si M. E... a été suspecté d'avoir commis des faits de vol sans violence en réunion à Dijon au mois de janvier 2010 et de vol par effraction au mois de janvier 2011 à Saint-Louis, il ne ressort pas des pièces du dossier que l'intéressé aurait été condamné ou même poursuivi pour ces faits. En revanche, il ressort des pièces du dossier que M. E... a fait l'objet le 6 février 2013 d'un mandat d'arrêt européen émis par les autorités suisses, qui a conduit à son incarcération à la maison d'arrêt de Dijon à compter du 26 février 2013 puis à sa remise à la Suisse le 30 août suivant, où il a été condamné le 22 septembre 2016 par le tribunal correctionnel du canton de Lucerne à une peine de quatre ans et dix mois d'emprisonnement pour " vol par métier et en bande ", " dommage à la propriété considérable commis à de réitérées reprises ", " dommage à la propriété et tentative de dommage à la propriété ", " violation de domicile commise à de réitérées reprises " et tentative de " violation de domicile ". Si ces faits sont d'une gravité certaine et ont été commis à plusieurs reprises, ils présentaient toutefois, à la date de la décision contestée, un caractère relativement ancien. Il ressort par ailleurs des pièces du dossier qu'aucune condamnation ne figure sur les bulletins nos 2 et 3 du casier judiciaire de M. E... en France, où il a vécu entre 2009 et 2013 puis entre 2017 et 2021, et qu'il n'a pas fait l'objet de poursuites pénales ou de condamnation au Kosovo. Dans ces conditions, alors même que l'intéressé a fait l'objet d'un signalement au sein du système d'information Schengen en raison d'une interdiction d'entrée, valable jusqu'en 2016, prononcée par les autorités suisses, et qu'il a séjourné irrégulièrement en France entre 2017 et 2021, c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que la menace à l'ordre public que représenterait sa présence en France justifiait le refus de visa qui lui a été opposé.
6. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités.
Sur les frais liés au litige :
7. M. E... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Clemang de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'État versera à Me Clemang une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et Mme A... B... épouse E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2023.
Le rapporteur,
F.-X. D...La présidente,
C. Buffet
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT02360