Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... D... et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 20 février 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté leur recours contre la décision du 22 octobre 2018 du consul général de France à Abidjan (Côte d'Ivoire) refusant de délivrer à M. C... D... un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de descendant à charge de ressortissant français.
Par un jugement n° 2007900 du 8 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 31 décembre 2021, M. A... D... et M. C... D..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 8 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 22 octobre 2018 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... D... un visa d'entrée et de long séjour en France en qualité de descendant à charge de ressortissant français dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, passé ce délai, de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa demande de visa dans le délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, passé ce délai, de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 800 euros, à verser à Me Pollono, au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- la décision de la commission de recours est insuffisamment motivée ;
- elle n'a pas été prise à l'issue d'un examen sérieux de la situation de l'intéressé ;
- elle méconnaît l'article 47 du code civil ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 3 mars 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
M. C... D... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 2 mars 2022.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me Pavy, substituant Me Pollono, représentant MM. D....
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D..., ressortissant ivoirien né en 1991, a sollicité, le 15 octobre 2018, auprès du consul général de France à Abidjan (Côte d'Ivoire) la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France en se prévalant de la qualité de descendant à charge de M. A... D..., ressortissant ivoirien naturalisé français. Par une décision du 22 octobre 2018, le consul général de France a refusé de lui délivrer le visa sollicité. M. C... D... a alors saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 20 février 2019, la commission de recours a confirmé le refus de visa. MM. Mory D... et Mohamed D... relèvent appel du jugement du 8 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, recodifié à l'article L. 811-2 du même code : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
3. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité et du lien de filiation dont il se prévaut, M. C... D... a produit à l'appui de sa demande de visa la copie intégrale d'un acte de naissance enregistré dans les registres du centre d'état civil de la commune d'Agboville sous le numéro " 02694 ", et selon lequel il est né le 17 novembre 1991 à la maternité d'Agboville et a pour père, M. A... D..., né le 13 mars 1962 à Agboville, et pour mère, Mme E..., née le 1er janvier 1969 à Agboville. Si la commission de recours a relevé que cet acte de naissance avait été dressé le 26 décembre 1991, soit au-delà du délai de quinze jours prévu pour les déclarations de naissance par la loi ivoirienne, cette seule circonstance ne suffisait pas, par elle-même, à le priver de toute force probante. En outre, et en tout état de cause, M. C... D... a produit, devant le tribunal administratif, une décision de rectification administrative rendue le 4 août 2020 par le substitut du Procureur près le tribunal de première instance d'Abidjan ordonnant qu'il soit mentionné, en marge de cet acte de naissance, qu'il avait été dressé, non pas le 26 décembre 1991, mais le 26 novembre 1991, soit dans le délai de quinze jours suivant la naissance de l'intéressé. La circonstance, également relevée par la commission de recours, que cet acte de naissance comporte une autre mention marginale, indiquant, en application d'une ordonnance de rectification administrative rendue le 19 juillet 2018 par le même parquet, que M. A... D... est né le 13 mars 1962, et non, comme indiqué initialement, le 13 mars 1969, n'est pas davantage susceptible, par elle-même, de remettre en cause la force probante de l'acte de naissance. Dès lors, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'acte de naissance de M. C... D... était dépourvu de valeur probante et ne permettait pas, dès lors, d'établir son identité ainsi que le lien de filiation l'unissant à M. A... D....
4. En second lieu, lorsqu'elles sont saisies d'une demande tendant à la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France par un ressortissant étranger faisant état de sa qualité d'enfant à charge de ressortissant français, les autorités consulaires peuvent légalement fonder leur décision de refus sur la circonstance que le demandeur ne saurait être regardé comme étant à la charge de son ascendant dès lors qu'il dispose de ressources propres, que son ascendant de nationalité française ne pourvoit pas régulièrement à ses besoins ou qu'il ne justifie pas des ressources nécessaires pour le faire.
5. Il ressort des pièces du dossier que, depuis le départ en 2014 de sa mère et de ses cinq frères et sœurs pour la France, en vue d'y rejoindre M. A... D... dans le cadre de la procédure de " regroupement familial " de réfugié statutaire, M. C... D... est hébergé gracieusement par un proche de la famille dans son pays d'origine et qu'il subvient à ses besoins grâce aux sommes d'argent que lui transfère régulièrement son père. Il ressort également des pièces du dossier que ce dernier occupe en France, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, un emploi d'agent de sécurité, au titre duquel il a perçu, en 2018, un revenu de 22 523 euros. Il justifie, par ailleurs, par la production d'un contrat de bail, vivre avec sa concubine et quatre de leurs enfants dans un appartement de type quatre, d'une surface habitable de quatre-vingt-douze mètres carrés, en région parisienne. M. C... D..., doit, dès lors, être regardé comme étant à la charge de M. A... D.... Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ne pouvait pas légalement refuser de délivrer à l'intéressé le visa sollicité pour le motif tiré du caractère insuffisant des moyens de son père.
6. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. A... D... et M. C... D... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 20 février 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
7. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance du visa sollicité à M. C... D.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.
Sur les frais liés à l'instance :
8. M. C... D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate, Me Pollono, peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono d'une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 8 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 20 février 2019 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à M. C... D... un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... D..., M. C... D..., à Me Pollono et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Le Brun, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 31 mars 2023.
Le rapporteur,
Y. B...
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03728