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31/03/2023 | FRANCE | N°20NT02645

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 31 mars 2023, 20NT02645


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août 2020, 20 novembre 2020, 18 décembre 2020 et deux mémoires récapitulatifs, produits en application du deuxième alinéa de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 22 janvier 2021 et 19 février 2021 et un mémoire, enregistré le 9 mars 2023 non communiqué, Mme G... M..., M. et Mme K..., M. P... D..., Mme C... E... et M. I... H..., Mme O... N..., Mme F... B..., Mme L... M..., l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Coutermer ", l'association " Bel

le Normandie environnement ", l'association " La Demeure historique ...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 21 août 2020, 20 novembre 2020, 18 décembre 2020 et deux mémoires récapitulatifs, produits en application du deuxième alinéa de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 22 janvier 2021 et 19 février 2021 et un mémoire, enregistré le 9 mars 2023 non communiqué, Mme G... M..., M. et Mme K..., M. P... D..., Mme C... E... et M. I... H..., Mme O... N..., Mme F... B..., Mme L... M..., l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Coutermer ", l'association " Belle Normandie environnement ", l'association " La Demeure historique " et l'association " Les Vieilles maisons françaises ", représentés par Me Monamy, demandent à la cour :

1°) d'annuler la décision du 4 février 2020 par laquelle le préfet de l'Orne a délivré à la société Initiatives et Energies Locales Exploitation 69 une autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Trémont ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat et de la société Initiatives et Energies Locales Exploitation 69 le versement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient, en tant que personnes physiques, d'un intérêt pour agir compte tenu de la proximité de leur domicile, de la prégnance visuelle du projet sur leur cadre de vie et des nuisances sonores qu'il génèrera ;

- les associations justifient compte tenu de leur objet statutaire et/ou de leur agrément délivré dans le cadre de l'article L. 141-1 du code de l'environnement, d'un intérêt leur conférant qualité pour agir contre la décision attaquée ;

- il n'est pas justifié que le signataire de l'accord donné au projet par le ministre chargé de l'aviation civile en application de l'article R. 181-32 du code de l'environnement bénéficiait d'une délégation de signature régulière pour ce faire ;

- la décision attaquée méconnaît les dispositions du 3° de l'article R. 181-13 du code de l'environnement faute pour la pétitionnaire d'avoir joint au dossier de demande un document attestant qu'elle dispose de la maitrise foncière sur l'ensemble des parcelles concernées par le projet ; cette irrégularité a nui à l'information du public et a pu influer sur le sens de la décision prise par le préfet ;

- le dossier de demande était incomplet compte tenu du caractère irrégulier de certains des avis émis par les propriétaires et de l'absence de recueil de l'avis de l'ensemble des propriétaires concernés par le projet, en violation du 11° du I de l'article D. 181-15-2 d du code de l'environnement ; cette irrégularité a privé les propriétaires d'une garantie et a pu influencer sur le sens de la décision préfectorale ;

- l'étude acoustique jointe à la demande est très insuffisante en ce qu'elle a pris en compte, pour mesurer le bruit résiduel, le bruit généré par le parc déjà exploité sur site ;

- l'étude chiroptérologique est très insuffisante en l'absence de recherche de gîtes sur le terrain et compte tenu du nombre insuffisant d'écoutes actives, ce qui a nui à l'information du public et de l'administration ;

- l'avis de l'autorité environnementale a été émis par une personne incompétente, en l'absence de tout texte permettant de déléguer aux membres de la mission régionale d'autorité environnementale la compétence pour prendre les avis portant sur les projets soumis à étude d'impact relevant initialement du IV de l'article R. 122-6 du code de l'environnement ; cette irrégularité a eu une incidence sur le sens de la décision attaquée ;

- il n'est pas établi que l'avis de l'autorité environnementale a été émis en toute impartialité dès lors qu'il a été émis sur le fondement de l'article 15 du règlement intérieur du conseil général de l'environnement et du développement durable qui est illégal en ce qu'il prévoit que les projets d'avis et de décisions sont préparés par la DREAL sans réserver cette compétence au seul service mentionné à l'article R. 122-21 du code de l'environnement et qu'en tout état de cause, il n'est pas établi que le projet d'avis transmis à l'autorité environnementale ait été préparé par des agents relevant d'un service distinct de celui ayant instruit la demande d'autorisation ;

- la publicité de l'avis d'enquête publique est entachée d'irrégularités dès lors qu'il n'est pas établi que l'avis aurait été affiché sur le terrain et dans l'ensemble des communes du périmètre de l'enquête publique ni qu'il aurait été publié sur le site internet de la préfecture ; ces irrégularités ont privé le public d'une garantie d'information ;

- la consultation des conseils municipaux requise par l'article R. 181-38 du code de l'environnement est entachée d'irrégularités dès lors que le préfet n'a pas consulté les conseils communautaires des communautés de communes de la Vallée de la Haute Sarthe, des Sources de l'Orne et des Vallées d'Auge et du Merlerault et qu'il n'est pas établi que les élus des communes consultées se seraient vu transmettre avec la convocation une note explicative, requise par l'article L. 2121-12 du code général des collectivités territoriales ; ces irrégularités ont privé les élus d'une garantie d'information ;

- le rapport du commissaire enquêteur est très insuffisant et son avis n'a pas été émis en toute impartialité ;

- la présentation des capacités financières est insuffisante en ce qu'elle n'évoque pas la santé financière de la société mère ;

- en faisant application de l'article 3 de l'arrêté du 26 août 2011 qui est illégal en ce qu'il prévoit que la distance d'éloignement des éoliennes des habitations de 500 m, prévue par l'article L. 515-44 du code de l'environnement, est mesurée à partir de la base du mât de chaque aérogénérateur, le préfet a méconnu l'article L. 515-44 du code ;

- en faisant application des dispositions illégales de l'arrêté du 26 août 2011 en ce que les modes de calcul des garanties financières de démantèlement et de remise en état du site qu'elles prévoient conduisent à des montants de garanties très insuffisants, le préfet a méconnu l'article R. 515-101 du code de l'environnement ; à titre subsidiaire, le montant prévu de 50 000 euros par machine est insuffisant au regard de la puissance unitaire maximale des éoliennes en cause ;

- l'arrêté du 26 août 2011 est entaché d'incompétence en ce qu'il fixe les modalités de démantèlement des installations, le ministre n'étant compétent, aux termes de l'article R. 515-106 du code de l'environnement, que pour fixer des règles de remise en état du site ;

- le préfet était tenu de ne pas faire application de l'article 29 de l'arrêté du 26 août 2011 prévoyant illégalement de limiter le démantèlement des câbles dans un rayon de 10 m autour des aérogénérateurs ; les dispositions de l'article R. 515-106 du code de l'environnement ont été méconnues ;

- la décision attaquée méconnaît l'article R. 515-106 du code de l'environnement en ce qu'elle n'impose pas l'excavation de la totalité des fondations, sans exiger une étude justifiant de cette excavation partielle ;

- le projet attaqué est de nature à porter atteinte aux paysages et au patrimoine environnants, notamment à la cathédrale de Sées, en méconnaissance des articles L. 181-3 et L. 511-1 du code de l'environnement ;

- le projet attaqué est de nature à porter atteinte aux chiroptères de fait de sa localisation à proximité immédiate de boisements et dans un secteur bocager comprenant de nombreuses haies et arbres isolés, que les mesures de bridage prévues ne suffiront pas à contrecarrer ;

- le projet attaqué est de nature à porter atteinte à deux espèces de rapaces diurnes, le Busard Saint-Martin et le Milan royal, particulièrement sensibles aux éoliennes et dont l'état de conservation est alarmant ;

- le projet contesté étant de nature à détruire et à perturber intentionnellement des chiroptères, notamment les espèces les plus sensibles au risque de collision, ainsi qu'à détruire ou altérer leurs habitats, une dérogation " espèces protégées " aurait dû être sollicitée par le porteur du projet, sur le fondement de l'article L. 411-2 du code de l'environnement ; il en va de même s'agissant du Busard Saint-Martin et du Milan royal.

Par un mémoire en défense et des mémoires complémentaires, enregistrés les 19 novembre 2020, 18 décembre 2020 et 18 janvier 2021, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par des mémoires enregistrés les 20 novembre 2020, 18 décembre 2020, 15 janvier 2021 et deux mémoires récapitulatifs, produits en application du deuxième alinéa de l'article R. 611-8-1 du code de justice administrative, enregistrés les 25 janvier 2021 et 18 février 2021 et un mémoire, non communiqué, enregistré le 23 février 2021, la société Initiatives et Energies locales Exploitation 69, représentée par Me Gandet, conclut au rejet de la requête, à titre subsidiaire, à ce que la cour fasse application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement en vue de permettre la régularisation de vices éventuellement constatés et, en tout état de cause, à ce que la somme de 4 000 euros soit mise à la charge des requérants sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les personnes physiques comme les associations ne justifient d'aucun intérêt à agir ;

- les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.

Par un courrier du 9 mars 2023, les parties ont été invitées à produire des observations sur l'application par la cour de l'article L. 181-18 du code de l'environnement afin de permettre à la société IEL Exploitation 69 d'obtenir une autorisation modificative régularisant les vices tirés, en 1er lieu, de la méconnaissance des dispositions du 3° de l'article R. 181-13 du code de l'environnement en l'absence de justification, à la date de la décision attaquée, de la maitrise foncière des parcelles qui seront surplombées par les pales des éoliennes et sur lesquelles seront aménagés la plate-forme ainsi qu'un accès à l'E3, en deuxième lieu, de l'illégalité de l'avis émis par la mission régionale d'autorité environnementale en ce qu'il a été émis par un membre permanent de la mission régionale sur le fondement d'une délégation de compétence illégale, en l'absence de tout texte permettant à la mission régionale d'autorité environnementale de déléguer sa compétence collégiale pour l'émission des avis à émettre sur les études d'impacts présentées dans le cadre des demandes d'autorisation environnementale, en troisième lieu, de la méconnaissance des dispositions des articles 30 à 32 de l'arrêté ministériel du 26 août 2011 relatif aux installations de production d'électricité utilisant l'énergie mécanique du vent au sein d'une installation soumise à autorisation au titre de la rubrique 2980 de la législation des installations classées pour la protection de l'environnement, dans leur rédaction issue de l'arrêté du 22 juin 2020, dispositions relatives au calcul du montant des garanties financières à constituer et, en dernier lieu, de l'absence de la demande de dérogation prévue par les dispositions du 4° de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, s'agissant des chiroptères.

Par un mémoire, enregistré le 10 mars 2023, la société IEL Exploitation 69 a présenté des observations en réponse au courrier du 9 mars 2023 du greffe de la cour.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance n° 2017-80 du 26 janvier 2017 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Montes-Derouet,

- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,

- et les observations de Me Monamy représentant Mme M... et autres, et de Me Becue, substituant Me Gandet, représentant la société Initiatives et Energies locales (IEL) exploitation 69.

Une note en délibéré présentée par le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires a été enregistrée le 14 mars 2023.

Des notes en délibéré présentées pour la société IEL Exploitation 69 ont été enregistrées les 17 et 22 mars 2023.

Une note en délibéré présentée pour Mme M... et autres a été enregistrée le 20 mars 2023.

Considérant ce qui suit :

1. La société Initiatives et Energies Locales (IEL) Exploitation 69, filiale à 100 % du groupe IEL, créée en 2017 spécifiquement en vue de la construction et de l'exploitation du parc éolien, a déposé le 11 juillet 2018 une demande d'autorisation environnementale, complétée le 15 mars 2019, en vue d'exploiter un parc éolien constitué de trois aérogénérateurs, d'une hauteur maximale de 130 mètres en bout de pâle et d'une puissance unitaire maximale de 3,2 MW et d'un poste de livraison, sur le territoire de la commune de Trémont, dans l'Orne. Ce projet est prévu en extension du parc éolien dit " Trémont I " constitué de deux aérogénérateurs exploités depuis 2009 par la société Innovent. La préfète de l'Orne a délivré à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale sollicitée par un arrêté du 4 février 2020. Mme G... M..., M. et Mme K..., M. P... D..., Mme C... E..., M. I... H..., Mme O... N..., Mme F... B..., Mme L... M..., l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Coutermer ", l'association " Belle Normandie environnement ", l'association " La Demeure historique " et l'association " Les Vieilles maisons françaises " demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la requête :

2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 142-1 du code de l'environnement : " Toute association ayant pour objet la protection de la nature et de l'environnement peut engager des instances devant les juridictions administratives pour tout grief se rapportant à celle-ci. / Toute association de protection de l'environnement agréée au titre de l'article L. 141-1 (...) justifient d'un intérêt pour agir contre toute décision administrative ayant un rapport direct avec leur objet et leurs activités statutaires et produisant des effets dommageables pour l'environnement sur tout ou partie du territoire pour lequel elles bénéficient de l'agrément dès lors que cette décision est intervenue après la date de leur agrément. ".

3. L'association " La Demeure Historique " justifie bénéficier d'un agrément de protection de l'environnement dans le cadre national, délivré en application des dispositions mentionnées au point 2 par un arrêté du 11 avril 2016 de la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer. Il résulte de l'instruction qu'elle a pour objet, aux termes de l'article 4 de ses statuts, " la défense et la sauvegarde du patrimoine architectural, historique, artistique et naturel, ses abords et plus largement tout ce qui concerne la protection des perspectives et paysages ", objet qui se rattache à la protection de la nature et de l'environnement. L'arrêté préfectoral attaqué présente un rapport direct avec l'objet statutaire de l'association dès lors qu'il autorise l'exploitation d'un parc éolien composé de trois aérogénérateurs, d'une hauteur de 130 mètres en bout de pale, sur un site comptant déjà deux éoliennes en fonctionnement qui présente des co-visibilités avec la cathédrale de Sées, monument historique classé depuis 1875.

4. En deuxième lieu, l'intérêt pour agir des groupements et associations s'apprécie au regard de leur objet statutaire et de l'étendue géographique de leur action.

5. S'agissant de l'association " Les Vieilles maisons françaises ", elle ne justifie pas, ainsi que l'oppose la société IEL Exploitation 69, du renouvellement de l'agrément qui lui avait été délivré pour une période de cinq ans à compter du 14 août 2015, date de publication de l'arrêté du 20 juillet 2015 de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, lequel n'a été renouvelé qu'à compter du 19 novembre 2021. Par ailleurs, son objet statutaire est de " contribuer à la préservation et à la mise en valeur du patrimoine archéologique, architectural, historique et artistique, notamment des édifices et objets mobiliers, ainsi que de l'environnement, des espaces naturels et paysagers, qu'ils soient ou non protégés au titre des monuments historiques ou des sites en France ou d'inspiration française à l'étranger ". Dans ces conditions, l'association " Les vieilles maisons françaises ", qui présente un objet social large et un champ d'action national, ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour agir contre la décision attaquée qui n'a d'effets que dans une aire géographique limitée.

6. Il résulte de l'instruction que l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Courtomer ", dont le champ d'action géographique couvre notamment le territoire de la commune de Trémont, a pour objet statutaire " la protection de l'environnement, des paysages et du patrimoine culturel contre les atteintes et les nuisances qui pourraient leur être portées, notamment par l'implantation d'éoliennes et d'équipements qui leur sont liés ". Eu égard, d'une part, à son objet statutaire, à son champ d'intervention géographique et aux missions qu'elle s'est assignées, cette association justifie d'un intérêt à demander l'annulation de l'arrêté attaqué du 4 février 2020 portant autorisation d'exploiter un parc éolien constitué de trois aérogénérateurs, d'une hauteur maximale de 130 mètres en bout de pâle sur le territoire de la commune de Trémont. L'association " Belle Normandie Environnement " a, pour sa part, pour objet de " fédérer les associations et les individus qui défendent le droit de l'environnement en Normandie ", à savoir l'amélioration et la protection du cadre de vie, la prévention, la réduction et la suppression des nuisances de type industriel, la lutte contre le bruit, les nuisances visuelles, le respect de la sécurité physique et sanitaire des personnes, la protection de la nature, des sites, paysages et espaces naturels, de la faune et de la flore et du patrimoine normand. Cet objet statutaire est de nature à lui conférer un intérêt pour agir contre la décision attaquée eu égard aux risques que le projet éolien litigieux est susceptible de présenter aux intérêts qu'elle défend, notamment ceux attachés à la protection du patrimoine normand au nombre duquel figure la cathédrale de Sées.

7. En dernier lieu, en application des dispositions de l'article R. 514-3-1 du code de l'environnement, il appartient au juge administratif d'apprécier si les tiers qui contestent une décision prise au titre de la police des installations classées justifient d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour en demander l'annulation, compte tenu des inconvénients et dangers que présente pour eux l'installation en cause, appréciés notamment en fonction de la situation des intéressés et de la configuration des lieux.

8. M. H... et Mme E... ainsi que Mme N... résident à un peu plus de 500 mètres de l'éolienne la plus proche du parc éolien projeté et il résulte de l'instruction, notamment de l'étude paysagère, que le parc projeté viendra renforcer la présence visuelle, depuis leur lieu de résidence, du parc éolien existant. M. et Mme K..., M. D..., Mme L... M... et Mme B... justifient résider sur le territoire des communes de Trémont, Gâprée ou d'Aunou-sur-Orne, à une distance d'environ 1,6 à 1,75 kilomètre des éoliennes les plus proches du parc éolien autorisé. Ces requérants, qui justifient de la visibilité depuis leur résidence du parc éolien déjà existant, se prévalent d'un risque de nuisances sonores et d'un impact visuel accru compte tenu de la hauteur des éoliennes projetées, supérieure à celles des deux éoliennes déjà en service et de la topographie des lieux. Ils justifient de la sorte d'un intérêt suffisamment direct leur donnant qualité pour agir contre l'autorisation environnementale attaquée. En revanche, si Mme G... M... indique être nue-propriétaire d'une maison d'habitation sur le territoire de la commune de Gâprée à une distance de 1,5 kilomètre de l'éolienne la plus proche du parc projeté, elle ne justifie pas de la réalité des impacts visuels dont elle se prévaut, alors qu'il résulte de l'instruction que la maison se situe au sein du bourg.

9. Il résulte de tout ce qui précède que la requête n'est pas recevable en tant qu'elle émane de l'association " Les Vieilles maisons françaises " et de Mme G... M....

Sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 4 février 2020 :

10. Aux termes de l'article L. 181-3 du code de l'environnement : " I. - L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 (...) ". Aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre (...), les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique (...) ".

11. L'étude d'impact décrit le site retenu pour l'implantation du parc éolien litigieux comme s'inscrivant dans l'unité paysagère de la Plaine de Sées, paysage rural à vocation agricole, légèrement vallonné et offrant des vues lointaines, caractérisé par de nombreux champs et ponctués par des haies bocagères et des boisements. Elle indique également que cette unité paysagère est faiblement urbanisée, la grande culture et la prairie de pâture s'y partageant un territoire rural aux horizons assez ouverts que " dominent les emblématiques flèches " de la cathédrale de Sées, classée monument historique depuis 1875, située à environ 6 kilomètres du site du parc éolien. Il résulte à cet égard de l'instruction, notamment de l'intervention faite par la cheffe de l'unité départementale de l'architecture et du patrimoine, lors de la séance de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites au cours de laquelle elle a émis son avis sur le projet, que la cathédrale constitue un point de repère en ce qu'elle " ordonnance et hiérarchise le paysage " et que la cathédrale et le paysage " ne font qu'un du fait de l'imbrication complète entre l'impact paysager et l'impact patrimonial ". L'étude paysagère jointe au dossier de demande souligne elle-même la sensibilité " forte " que présente cet édifice du fait de la visibilité lointaine de ses flèches qui présentent une hauteur de 75 mètres et admet d'ailleurs que cet édifice " pourrait subir depuis certains points de vue, situés à l'ouest du site, la concurrence visuelle du parc éolien projeté ".

12. Il résulte également de l'instruction notamment du plan en coupe a-a' depuis le château de Cléray, à l'ouest, jusqu'à la commune de Moulins-la-marche, à l'est, joint à l'étude d'impact, qu'alors que la cathédrale de Sées se trouve dans une cuvette qui s'étire autour des sources de l'Orne et qu'elle domine de ses flèches, le groupe des trois éoliennes autorisées par la décision attaquée et des deux éoliennes existantes prend place sur le haut de la plaine de Sées, à l'interface avec le paysage vallonné du Haut Bassin de la Sarthe s'orientant vers l'est. Si la société pétitionnaire fait valoir, ainsi que cela est mentionné dans l'étude d'impact, que le projet est néanmoins situé suffisamment en retrait du monument pour ne pas générer une forte concurrence visuelle avec ce dernier, il résulte des nouveaux photomontages que la société pétitionnaire a réalisé, à la demande de l'administration en mars 2019 à partir d'une nouvelle carte de zones d'influences visuelles sur un secteur de 6 km² à l'ouest de la cathédrale de Sées, que ce positionnement des éoliennes en surplomb de la cathédrale de Sées est de nature à altérer le rôle prégnant de cet édifice dans ce paysage de la plaine de Sées. Ce phénomène de concurrence visuelle ressort également de certains des photomontages réalisés, à la demande des requérants, par un photographe professionnel, à partir de points de vue proches de ceux retenus par la société pétitionnaire, confortant ainsi l'avis émis par l'architecte des bâtiments de France le 30 août 2018, selon lequel " les machines proposées sont de hauteur nettement plus importante que les machines actuelles et cette différence, par effet de perspective, envoie visuellement au premier plan les nouvelles machines augmentant de ce fait leur importance perçue. Cet effet d'agrandissement est amplifié dans les points de vue où les machines sont, de plus, physiquement plus proches, ce qui est le cas dans les co-visibilités avec la cathédrale de Sées depuis l'Ouest et le Sud-Ouest ". Il en résulte, ainsi que l'a également relevé l'architecte des bâtiments de France dans son avis, une forte aggravation par rapport à la situation actuelle, " en raison de la plus grande proximité et de la taille plus importante que présentent les éoliennes autorisées par rapport au éoliennes existantes ".

13. Il résulte des développements qui précèdent que le parc éolien autorisé, qui a pour effet d'aggraver, de façon significative, le phénomène de concurrence visuelle entre la cathédrale de Sées et le parc existant, et de remettre en cause les cônes de vue sur ce monument historique classé ainsi que l'élément saillant que constitue, dans le paysage ouvert et dégagé de la plaine de Sées, l'ensemble formé par la silhouette et les flèches de la cathédrale, porte une atteinte excessive aux paysages et à la conservation des monuments et donc aux intérêts visés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Par suite, eu égard aux caractéristiques du projet, notamment à son implantation, le préfet de l'Orne a fait une inexacte application des dispositions précitées de ce code en délivrant l'autorisation environnementale attaquée.

Sur l'application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement :

14. Aux termes de l'article L. 181-18 du code de l'environnement : " I. - Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre une autorisation environnementale, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés : / 1° Qu'un vice n'affecte qu'une phase de l'instruction de la demande d'autorisation environnementale, ou une partie de cette autorisation, peut limiter à cette phase ou à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et demander à l'autorité administrative compétente de reprendre l'instruction à la phase ou sur la partie qui a été entachée d'irrégularité ; / 2° Qu'un vice entraînant l'illégalité de cet acte est susceptible d'être régularisé par une autorisation modificative peut, après avoir invité les parties à présenter leurs observations, surseoir à statuer jusqu'à l'expiration du délai qu'il fixe pour cette régularisation. Si une telle autorisation modificative est notifiée dans ce délai au juge, celui-ci statue après avoir invité les parties à présenter leurs observations. / II. - En cas d'annulation ou de sursis à statuer affectant une partie seulement de l'autorisation environnementale, le juge détermine s'il y a lieu de suspendre l'exécution des parties de l'autorisation non viciées ".

15. Le vice relevé au point 12, tiré de l'atteinte portée au patrimoine et aux paysages du secteur considéré, est lié à l'emplacement même retenu par la société IEL Exploitation 69 pour implanter son parc éolien. Il entache d'illégalité l'arrêté attaqué dans sa totalité et n'est pas susceptible, au vu de l'instruction, d'être régularisé par une autorisation modificative. Par suite, il n'y a pas lieu de faire application des dispositions de l'article L. 181-18 du code de l'environnement.

16. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. et Mme K..., M. D..., Mme E..., M. H..., Mme N..., Mme B..., Mme L... M..., l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Coutermer ", l'association " La Demeure historique " et l'association " Belle Normandie environnement " sont fondés à demander l'annulation de l'arrêté du 4 février 2020 par lequel le préfet de l'Orne a délivré à la société IEL Exploitation 69 une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Trémont.

Sur les frais liés au litige :

17. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu, d'une part, de mettre à la charge de la société IEL Exploitation 69, le versement d'une somme globale de 1 000 euros à M. et Mme K..., M. D..., Mme E..., M. H..., Mme N..., Mme B..., Mme L... M..., l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Coutermer ", l'association " Belle Normandie environnement " et l'association " La Demeure historique ", d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat, le versement d'une somme globale de 1 000 euros à ces mêmes requérants au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. En revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à la charge de ces requérants, qui ne sont pas la partie perdante dans la présente instance, le versement à la société IEL Exploitation 69 de la somme qu'elle demande au titre de ces dispositions.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 4 février 2020 par lequel le préfet de l'Orne a délivré à la société IEL Exploitation 69 une autorisation environnementale pour l'installation et l'exploitation de trois éoliennes et d'un poste de livraison sur le territoire de la commune de Trémont est annulé.

Article 2 : La société IEL Exploitation 69, d'une part, l'Etat, d'autre part, verseront, chacun, une somme globale de 1 000 euros à M. et Mme K..., M. D..., Mme E..., M. H..., Mme N..., Mme B..., Mme L... M..., l'association " Sauvegarde de l'environnement en pays de Coutermer ", l'association " Belle Normandie environnement " et l'association " La Demeure historique ", en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions de la requête en tant qu'elle émane de Mme G... M... et de l'association " Les Vieilles maisons françaises " sont rejetées.

Article 4 : Les conclusions de la société IEL Exploitation 69 tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... M..., représentant unique désignée par Me Monamy, mandataire, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la société Initiatives et Energies Locales Exploitation 69.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 14 mars 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Le Brun, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 31 mars 2023.

La rapporteure,

I. Montes-Derouet

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

Aline LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT02645


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT02645
Date de la décision : 31/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: Mme Isabelle MONTES-DEROUET
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : GREEN LAW AVOCAT

Origine de la décision
Date de l'import : 14/04/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-31;20nt02645 ?
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