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10/03/2023 | FRANCE | N°22NT01069

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 10 mars 2023, 22NT01069


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 21 février 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a retiré son agrément d'assistante maternelle ainsi que la décision du 11 juillet 2019 rejetant son recours gracieux, d'autre part, de condamner le département de la Loire-Atlantique à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi à raison du retrait de son agrément.

Par un jugement

n° 1908566 du 11 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé les dé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes, d'une part, d'annuler la décision du 21 février 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a retiré son agrément d'assistante maternelle ainsi que la décision du 11 juillet 2019 rejetant son recours gracieux, d'autre part, de condamner le département de la Loire-Atlantique à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice subi à raison du retrait de son agrément.

Par un jugement n° 1908566 du 11 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique du 21 février 2019 et du 11 juillet 2019 (article 1er), a condamné le département de la Loire-Atlantique à verser à Mme A... une somme de 2 000 euros en réparation du préjudice subi (article 2), a enjoint au président du conseil départemental de la Loire-Atlantique de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 3), a mis à la charge du département de la Loire-Atlantique une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 4) et a rejeté le surplus des conclusions de la requête (article 5).

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 8 avril 2022, le département de la Loire-Atlantique, représenté par Me Plateaux, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 1er à 4 de ce jugement du 11 février 2022 ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes tendant à l'annulation de la décision du 21 février 2019 par laquelle le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique lui a retiré son agrément d'assistante maternelle et de la décision du 11 juillet 2019 rejetant son recours gracieux ;

3°) de mettre à la charge de Mme A... une somme de 2 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est entaché d'une contradiction de motifs qui est de nature à révéler une insuffisance de motivation ;

- les premiers juges se sont mépris sur la portée de ses écritures en estimant que le département demandait une substitution de motifs pour maintenir le retrait de l'agrément ;

- le département de la Loire-Atlantique n'a pas entaché sa décision d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de fait ; les éléments fournis par l'unité d'accueil des enfants en danger du centre hospitalier universitaire de Nantes constatent la matérialité et la gravité de la blessure de l'enfant ; le seul fait de la constatation d'une blessure grave au sens de l'article R. 421-10 du code de l'action sociale et des familles suffit à matérialiser le défaut de posture professionnelle ; Mme A... a également méconnu son obligation d'information ; le positionnement inadapté de Mme A... face aux blessures ne permet pas de s'assurer de la sécurité physique et affective des enfants qui lui sont confiés ; l'attitude inappropriée de Mme A... résulte d'éléments factuels au-delà de l'incident du 13 novembre 2018 et méconnait les dispositions de l'article R. 421-3 du code de l'action sociale et des familles ;

- les autres moyens soulevés par Mme A... devant les premiers juges, à savoir l'incompétence de l'auteur de l'acte, son insuffisante motivation, et l'existence d'un vice de procédure, manquent en fait ;

- les conclusions à fin d'indemnisation doivent être rejetées par voie de conséquence mais aussi pour défaut de réclamation indemnitaire préalable.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 décembre 2022, Mme A..., représentée par Me Parent, conclut :

1°) au rejet de la requête ;

2°) par la voie de l'appel incident, à ce que l'injonction prononcée en première instance soit assortie d'une astreinte de 80 euros par jour de retard à compter de la notification de l'arrêt à intervenir et à ce que le département de la Loire-Atlantique soit condamné à lui verser une somme de 25 000 euros en réparation du préjudice qu'elle a subi du fait du retrait de son agrément ;

3°) à ce que soit mis à la charge du département de la Loire-Atlantique une somme de

2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens invoqués par le département de la Loire-Atlantique ne sont pas fondés ;

- les décisions contestées sont entachées d'une incompétence de son auteur ;

- la décision du 21 février 2019 est entachée d'une insuffisance de motivation ;

- elle justifie d'un préjudice financier de perte de salaires à hauteur de 20 220 euros.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Chollet, rapporteure,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Plateaux, représentant le département de la Loire-Atlantique, et de Me Cantarovich, substituant Me Parent, représentant Mme A....

Considérant ce qui suit :

1. Mme A... a bénéficié, à compter de 1994, d'un agrément en qualité d'assistante maternelle délivré par le département de la Loire-Atlantique, lequel a été renouvelé en dernier lieu le 2 janvier 2016 pour une période de cinq ans afin de lui permettre d'accueillir simultanément deux enfants de 0 à 10 ans et un enfant de 2 à 10 ans. Le 13 novembre 2018, après une journée d'accueil au domicile, une mère a relevé des lésions sur le visage de son enfant âgé de 34 mois. Par décision du 27 novembre 2018, le président du conseil départemental a suspendu l'agrément de Mme A... pour une durée de quatre mois. Après réunion de la commission consultative paritaire départementale le 5 février 2019, cette même autorité a, par une décision du 21 février 2019, retiré l'agrément de Mme A... puis, par une décision du 11 juillet 2019 rejeté son recours gracieux. Par un jugement du 11 février 2022, dont le département de la Loire-Atlantique relève appel en ses articles 1er à 4, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions des 21 février et 11 juillet 2019 du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique (article 1er), a condamné le département à verser à Mme A... la somme de 2 000 euros en réparation de son préjudice moral (article 2), a enjoint au président du conseil départemental de procéder au réexamen de la situation de Mme A... dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement (article 3) et a mis à la charge du département la somme de 1 200 euros au titre des frais d'instance (article 4).

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le motif d'annulation retenu par le tribunal administratif :

2. Aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'action sociale et des familles, dans sa rédaction applicable à la date des décisions contestées : " L'agrément nécessaire pour exercer la profession d'assistant maternel ou d'assistant familial est délivré par le président du conseil départemental du département où le demandeur réside. / (...) / L'agrément est accordé (...) si les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des mineurs et majeurs de moins de vingt et un ans accueillis, en tenant compte des aptitudes éducatives de la personne (...) / (...) ". Aux termes de l'article L. 421-6 du même code : " (...) / Si les conditions de l'agrément cessent d'être remplies, le président du conseil départemental peut, après avis d'une commission consultative paritaire départementale, modifier le contenu de l'agrément ou procéder à son retrait. En cas d'urgence, le président du conseil départemental peut suspendre l'agrément. Tant que l'agrément reste suspendu, aucun enfant ne peut être confié. / (...) ".

3. Il résulte de ces dispositions qu'il incombe au président du conseil départemental de s'assurer que les conditions d'accueil garantissent la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis et de procéder au retrait de l'agrément si ces conditions ne sont plus remplies. A cette fin, dans l'hypothèse où il est informé de suspicions de comportements susceptibles de compromettre la santé, la sécurité ou l'épanouissement d'un enfant de la part du bénéficiaire de l'agrément ou de son entourage, il lui appartient de tenir compte de tous les éléments portés à la connaissance des services compétents du département ou recueillis par eux et de déterminer si ces éléments sont suffisamment établis pour lui permettre raisonnablement de penser que l'enfant est victime des comportements en cause ou risque de l'être.

4. Pour annuler les décisions du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique pour erreur d'appréciation, le tribunal administratif a relevé que l'attitude de Mme A... envers les services du département et les parents de l'enfant ne saurait par elle-même constituer une posture professionnelle inadaptée ainsi que l'absence de preuve du caractère médicalement grave des conséquences de la chute de l'enfant et de faute professionnelle de la part de Mme A....

5. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que la pédiatre de l'unité d'accueil des enfants en danger du centre hospitalier universitaire de Nantes a conclu, le 20 novembre 2018, après avoir examiné l'enfant, que ce dernier " présentait des ecchymoses périorbitaires gauches avec hémorragie sous-conjonctivale de l'œil gauche, associées à des ecchymoses de l'oreille gauche récentes, qui ne sont pas compatibles avec les explications qu'auraient fournies l'assistante maternelle et qui font suspecter des traumatismes infligés par un adulte ". Mme A... a cependant, tant devant la commission consultative paritaire départementale (CCPD) le 5 février 2019 que devant les parents, banalisé les blessures infligées à l'enfant en affirmant que sa chute n'aurait entrainé " qu'une simple éraflure sans aucune gravité " tout en reconnaissant que l'enfant " avait beaucoup pleuré ", qu'elle craignait des signes de vomissements ou de vertiges et qu'elle a été particulièrement vigilante après ladite chute. Elle n'a de plus fait état d'aucun signalement auprès du conseil départemental à ce sujet et a omis d'appeler les parents de l'enfant après l'accident, en méconnaissance de l'article R. 421-40 du code de l'action sociale et des familles. Par ailleurs, il ressort de l'ensemble de ses entretiens avec les professionnels du service de la PMI que Mme A... n'a fait preuve d'aucune empathie envers l'enfant quant à son état de santé et à l'importance des lésions et a rompu le contrat de garde avec les parents de l'enfant dès le lendemain des faits en invoquant un lien de confiance rompu, sans prendre en considération leur ressenti. Au surplus, il est constant que Mme A... a débuté l'accueil de trois enfants simultanément sans période d'adaptation en septembre 2018, ce qui confirme son absence de posture professionnelle et l'absence de prise en compte de la sécurité psychique des enfants et de leurs besoins particuliers. Il résulte de ce qui précède que les conditions d'accueil pratiquées par Mme A... ne garantissaient pas la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis. Dans ces conditions, en l'absence d'explications suffisantes compte tenu de la nature des faits en cause, alors même que Mme A... produit des attestations de parents employeurs se disant satisfaits de ses services et que l'enquête pénale a été classée sans suite, le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique pouvait, pour ces motifs, sans commettre d'erreur d'appréciation, prononcer le retrait de l'agrément d'assistante maternelle de l'intéressée.

6. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur l'erreur d'appréciation pour annuler la décision du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique du 21 février 2019 portant retrait de l'agrément d'assistante maternelle de Mme A... et la décision du 11 juillet rejetant son recours gracieux. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par Mme A... à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation présentées devant le tribunal administratif de Nantes.

En ce qui concerne les autres moyens invoqués par Mme A... :

7. En premier lieu, aux termes de l'article L. 3131-1 du code général des collectivités territoriales : " Les actes pris par les autorités départementales sont exécutoires de plein droit dès qu'il a été procédé à leur publication ou affichage ou à leur notification aux intéressés ainsi qu'à leur transmission au représentant de l'Etat dans le département. Pour les décisions individuelles, cette transmission intervient dans un délai de quinze jours à compter de leur signature. (...) ". Il ressort des pièces du dossier que Mme Fabienne Padovani, vice-présidente familles et protection de l'enfant, signataire de la décision contestée du 21 février 2019, disposait d'une délégation de signature accordée par le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique par arrêté du 17 avril 2015 transmis en préfecture et affiché par le département le même jour. Par ailleurs, M. D... F..., adjoint au directeur enfance familles, signataire de la décision contestée du 11 juillet 2019, disposait d'une délégation de signature accordée par le président du conseil départemental de la Loire-Atlantique, en cas d'absence ou d'empêchement concomitant de M. E..., directeur général des services, et de M. B..., directeur général solidarité, par arrêté du 12 avril 2016, régulièrement publié au recueil des actes administratif du département de la Loire-Atlantique du 29 avril 2016.

8. En deuxième lieu, la décision de retrait d'agrément du 21 février 2019 vise les dispositions du code de l'action sociale et des familles, notamment ses articles L. 421-3, L. 421-6 et R. 421-5, et indique les raisons pour lesquelles la vice-présidente familles et protection de l'enfance n'est plus en mesure de garantir que Mme A... a les capacités à assurer des conditions d'accueil garantissant la sécurité, la santé et l'épanouissement des enfants accueillis dans un cadre professionnel à son domicile. Dans ces conditions, la décision en litige est suffisamment motivée en fait et en droit.

9. En troisième lieu, il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte-tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 6, les décisions contestées seraient entachées d'une erreur de fait.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le département de la Loire-Atlantique est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du président du conseil départemental de la Loire-Atlantique du 21 février 2019 portant retrait de l'agrément d'assistante maternelle de Mme A... et la décision implicite rejetant son recours gracieux. Les conclusions à fin d'injonction et d'astreinte de Mme A... ainsi que ses conclusions à fin d'indemnisation, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur leur recevabilité, doivent, par voie de conséquence, être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par Mme A.... Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit à la demande du département de la Loire-Atlantique tendant, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à la condamnation de Mme A... à lui verser la somme qu'il demande au titre des frais de l'instance.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 1er à 4 du jugement du 11 février 2022 du tribunal administratif de Nantes sont annulés.

Article 2 : La demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Nantes et ses conclusions devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions du département de la Loire-Atlantique tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au département de la Loire-Atlantique et à Mme C... A....

Délibéré après l'audience du 14 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 mars 2023.

La rapporteure,

L. Chollet

Le président,

L. Lainé Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet de la Loire-Atlantique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01069


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01069
Date de la décision : 10/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SELARL PUBLI-JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-10;22nt01069 ?
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