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07/03/2023 | FRANCE | N°21NT03292

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 07 mars 2023, 21NT03292


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... H... épouse D... et M. F... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision A... laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant Bilel D....

A... un jugement n° 2103017 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté

la demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête enregistrée le 24 novembre...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme G... H... épouse D... et M. F... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision A... laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant Bilel D....

A... un jugement n° 2103017 du 27 septembre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

A... une requête enregistrée le 24 novembre 2021, Mme G... H... épouse D... et M. F... D..., représentés A... Me Sabatier, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 27 septembre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision A... laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Tunis (Tunisie) refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant Bilel D... ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans un délai d'un mois à compter de la notification de la décision à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 200 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ainsi que celles du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

A... un mémoire en défense enregistré le 27 décembre 2021, le ministre de l'Europe et des affaires étrangères conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés A... les requérants ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention de La Haye du 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. E...,

- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. A... un jugement du 25 juin 2020, le tribunal cantonal de Tunis (Tunisie) a prononcé l'adoption plénière, A... Mme G... H... épouse D... et M. F... D..., ressortissants français, de l'enfant Bilel D..., ressortissant tunisien né le 16 janvier 2019. Le 11 septembre 2020, M. et Mme D... ont sollicité, pour cet enfant, la délivrance d'un visa de long séjour en qualité d'enfant de ressortissants français. A... une décision du 13 octobre 2020, l'autorité consulaire française à Tunis a refusé de délivrer ce visa. Le recours formé à l'encontre de cette décision a été implicitement rejeté A... la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme H... épouse D... et M. D... relèvent appel du jugement du 27 septembre 2021 A... lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de la décision de la commission de recours.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des écritures du ministre de l'Europe et des affaires étrangères présentées en première instance, que pour rejeter la demande de visa de long séjour formulée pour l'enfant Bilel D..., la commission de recours s'est fondée sur le motif tiré de ce que le jugement d'adoption était contraire aux principes éthiques fondamentaux résultant des articles 7 et 21 de la convention internationale des droits de l'enfant et de l'article 4 de la convention de La Haye de 1993, en ce qu'il décide de confier l'enfant aux D... en méconnaissance du principe de subsidiarité, en l'absence de déclaration d'adoptabilité de l'enfant, et en l'absence de consentement libre et éclairé de la mère biologique.

3. Aux termes de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ". Aux termes de l'article 7, paragraphe 1, de la même convention : " L'enfant est enregistré aussitôt sa naissance et a dès celle-ci le droit à un nom, le droit d'acquérir une nationalité et, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents et d'être élevé A... eux. " Aux termes de l'article 21 de la même convention : " Les États parties qui admettent et/ou autorisent l'adoption s'assurent que l'intérêt supérieur de l'enfant est la considération primordiale en la matière et : / a - veillent à ce que l'adoption d'un enfant ne soit autorisée que A... les autorités compétentes, qui vérifient, conformément à la loi et aux procédures applicables et sur la base de tous les renseignements fiables relatifs au cas considéré, que l'adoption peut avoir lieu eu égard à la situation de l'enfant A... rapport à ses père et mère, parents et représentants légaux et que, le cas échéant, les personnes intéressées ont donné leur consentement à l'adoption en connaissance de cause, après s'être entourées des avis nécessaires ; / b - reconnaissent que l'adoption à l'étranger peut être envisagée comme un autre moyen d'assurer les soins nécessaires à l'enfant, si celui-ci ne peut, dans son pays d'origine, être placé dans une famille nourricière ou adoptive ou être convenablement élevé ; / c - veillent, en cas d'adoption à l'étranger, à ce que l'enfant ait le bénéfice de garanties et de normes équivalant à celles existant en cas d'adoption nationale ; / d - prennent toutes les mesures appropriées pour veiller à ce que, en cas d'adoption à l'étranger, le placement de l'enfant ne se traduise pas A... un profit matériel indu pour les personnes qui en sont responsables ; / e - poursuivent les objectifs du présent article en concluant des arrangements ou des accords bilatéraux ou multilatéraux, selon les cas, et s'efforcent dans ce cadre de veiller à ce que les placements d'enfants à l'étranger soient effectués A... des autorités ou des organes compétent ". Aux termes de l'article 4 de la convention de La Haye : " Les adoptions visées A... la Convention ne peuvent avoir lieu que si les autorités compétentes de l'État d'origine : / a) ont établi que l'enfant est adoptable (...) ".

4. D'une part, l'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. L'adoptant, bénéficiaire d'un jugement d'adoption, est seul investi à l'égard de l'adopté de tous les droits d'autorité parentale. Dès lors, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France ou un visa de court séjour d'établissement en qualité de membre de la famille d'un ressortissant de l'Union européenne est sollicité en vue de permettre à l'adopté de rejoindre sa famille d'adoption, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche, et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement de l'adoptant, contraires à son intérêt.

5. D'autre part, si les jugements rendus A... un tribunal étranger relativement à l'état et à la capacité des personnes produisent, sauf dans la mesure où ils impliquent des actes d'exécution matérielle sur des biens ou de coercition sur des personnes, leurs effets en France indépendamment de toute déclaration d'exequatur, il appartient à l'autorité administrative, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, de ne pas fonder sa décision sur des éléments issus d'un jugement étranger qui révélerait l'existence d'une fraude ou d'une situation contraire à la conception française de l'ordre public international.

6. En premier lieu, si le non-respect du principe de subsidiarité, qui est énoncé au b de l'article 21 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant et relève de la conception française de l'ordre public international, peut en principe légalement justifier une décision de refus de visa d'un enfant étranger adopté A... des ressortissants français, ce principe n'exclut pas qu'une adoption internationale soit conforme à l'intérêt supérieur de l'enfant, alors même qu'une famille appropriée serait susceptible de l'accueillir dans son pays d'origine, lorsque l'adoption est demandée A... des parents de l'enfant. Or, en l'espèce, il est constant que le jeune C... D... est la petite nièce de M. D.... Dès lors, c'est A... une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur le non-respect du principe de subsidiarité.

7. En deuxième lieu, la conception française de l'ordre public international suppose que le consentement à l'adoption d'un enfant soit donné A... son représentant légal. Il ressort des pièces du dossier que Mme B..., mère biologique de l'enfant et nièce du requérant, a attesté, A... lettre du 18 novembre 2019, renoncer à son fils aux fins qu'il soit adopté A... son grand-oncle maternel et l'épouse de ce dernier. Il ressort en outre des mentions du jugement du 25 juin 2020 du tribunal cantonal de Tunis que la mère biologique de l'enfant a comparu devant ce tribunal et donné expressément son consentement à l'adoption de son fils A... les époux D..., après que le juge tunisien a recouru au mécanisme de " l'enquête sociale " permettant d'examiner " le côté social et psychologique de toutes les parties ". Il est constant que le père biologique de l'enfant ne l'a pas reconnu. Dès lors, c'est A... une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fondé sa décision sur l'absence de déclaration d'adoptabilité de l'enfant.

8. En troisième lieu, la circonstance que l'adoption du jeune C... D... résulte d'une démarche entreprise individuellement A... les époux D..., domiciliés en France, et sans consultation de la mission pour l'adoption internationale du ministère de l'Europe et des affaires étrangères ni de l'opérateur tunisien doté de la compétence en matière d'adoption, ne révèle pas une situation contraire à la conception française de l'ordre public international, notamment s'agissant d'une adoption intrafamiliale, et alors que la Tunisie n'a pas ratifié la convention signée à La Haye le 29 mai 1993 relative à la protection des enfants et à la coopération en matière d'adoption internationale, laquelle n'était pas applicable à la démarche d'adoption des époux D....

9. Il résulte de tout ce qui précède, et alors que le ministre n'établit ni même n'allègue que les conditions d'accueil de l'enfant en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement des adoptants, contraires à son intérêt, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête, que les requérants sont fondés à soutenir que c'est à tort que, A... le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

10. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré à l'enfant Bilel D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer un tel visa à l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin de prononcer une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. et Mme D... d'une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 27 septembre 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite A... laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour l'enfant Bilel D... est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à l'enfant Bilel D... un visa d'entrée et de long séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... H... épouse D..., à M. F... D..., au ministre de l'Europe et des affaires étrangères et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 10 février 2023, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public A... mise à disposition au greffe, le 7 mars 2023.

Le rapporteur,

A. E...Le président,

J. FRANCFORT

La greffière,

H. EL HAMIANI

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT03292


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03292
Date de la décision : 07/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : SELARL BS2A BESCOU et SABATIER

Origine de la décision
Date de l'import : 17/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-03-07;21nt03292 ?
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