La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

10/02/2023 | FRANCE | N°22NT02530

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 10 février 2023, 22NT02530


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération des Entreprises de Boulangerie (FEB) a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 15 mai 2001 ordonnant dans ce département un jour par semaine de fermeture au public des établissements, parties d'établissements et dépôts, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectue la vente au détail ou la distribution de pain frais, emballé ou non.

Par un jugement n° 18035

14 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procéd...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Fédération des Entreprises de Boulangerie (FEB) a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 15 mai 2001 ordonnant dans ce département un jour par semaine de fermeture au public des établissements, parties d'établissements et dépôts, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectue la vente au détail ou la distribution de pain frais, emballé ou non.

Par un jugement n° 1803514 du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour avant cassation :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 5 août 2019, 27 février 2020 et 24 août 2020 la Fédération des Entreprises de Boulangerie, représentée par Me Flory, a demandé à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a rejeté sa demande d'abrogation de l'arrêté du 15 mai 2001 ordonnant dans ce département un jour par semaine de fermeture au public des établissements, parties d'établissements et dépôts, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectue la vente au détail ou la distribution de pain frais, emballé ou non ;

3°) d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire d'abroger l'arrêté préfectoral du 15 mai 2001, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement d'une somme de 4 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutenait que :

- l'arrêté du 15 mai 2001 méconnait les dispositions de l'article L. 3132-29 du code du travail, en ce que l'administration n'a pas produit les éléments statistiques probants sur lesquels elle s'est nécessairement fondée, au jour de l'arrêté, pour vérifier qu'existait bien une majorité indiscutable des professionnels concernés en faveur de cette mesure ; il s'agit d'une violation de l'exigence de l'égalité des armes et, en conséquence, du droit fondamental à un procès équitable au sens de l'article 6.1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- seule la fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie-pâtisserie du Maine-et-Loire a signé l'accord préalable à l'arrêté, à l'inverse des autres organisations consultées, et l'ensemble des professionnels concernés par la vente de pain n'ont pas été invités ni consultés ;

- lors de la demande d'abrogation, en 2018, l'accord préalable et la dernière vérification de majorité dataient de 2001, soit il y plus de dix-sept ans, l'arrêté préfectoral ne réunit donc plus les conditions de légalité au jour du refus d'abrogation, à défaut d'une majorité indiscutable de professionnels intéressés favorables à son maintien ;

- le projet de synthèse des résultats de la nouvelle consultation organisée par le préfet confirme qu'il n'existe aucune majorité indiscutable favorable au maintien de l'obligation de fermeture hebdomadaire.

Par un mémoire en défense enregistré le 17 janvier 2020 la ministre du travail s'en est remise à la sagesse de la cour.

Par des mémoires enregistrés le 31 janvier 2020 et le 27 juillet 2020 la Fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie pâtisserie de Maine-et-Loire, représentée par la SCP Sultan-Pedron-Lucas-De Logiviere, a conclu au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de la fédération des entreprises de boulangerie en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle a fait valoir :

- à titre principal, que la demande de première instance était irrecevable dès lors qu'en application du second alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail, seule une organisation représentative de la zone géographique concernée pouvait demander une abrogation ;

- à titre subsidiaire, qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par un arrêt n° 19NT03210 du 18 mai 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté la requête de la Fédération des entreprises de boulangerie.

Par une décision n° 454697 du 27 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 mai 2021 et renvoyé à la cour administrative d'appel de Nantes l'affaire, qui porte désormais le n° 22NT02530.

Procédure devant la cour après cassation :

Par un mémoire enregistré le 13 septembre 2022 la Fédération des entreprises de boulangerie maintient ses moyens et ses conclusions.

A la demande de la cour, le préfet de Maine-et-Loire a produit, le 20 décembre 2022, les courriers de convocation des professionnels datés du 6 mai 2019 et les parties ont été informées que l'instruction était rouverte uniquement sur ces pièces.

La Fédération des entreprises de boulangerie a produit des observations sur ces pièces par un mémoire enregistré le 23 décembre 2022.

Elle soutient que :

- il est impossible de s'assurer que l'ensemble des professionnels concernés a effectivement été consulté et que les établissements in fine consultés ont effectivement été destinataires du courrier de consultation ;

- le courrier produit, destiné aux établissements " non adhérents " d'une organisation syndicale ne précise aucunement les conséquences d'une absence de réponse.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public.

- et les observations de Me Zeisser, représentant La Fédération des entreprises de boulangerie.

Considérant ce qui suit :

1. A la suite de la conclusion, le 14 mai 2001, d'un accord entre des organisations patronales et salariales de Maine-et-Loire concernées par la fabrication, la vente et la distribution de pain et de viennoiseries, le préfet de Maine-et-Loire a, par un arrêté du 15 mai 2001, imposé la fermeture au public, un jour par semaine au choix des intéressés, des établissements, parties d'établissements, dépôts, fabricants artisanaux ou industriels, fixes ou ambulants, dans lesquels s'effectue à titre principal ou accessoire la vente au détail ou la distribution de pain frais, emballé ou non. Par un courrier du 27 octobre 2017, la Fédération des entreprises de boulangerie a demandé au préfet de Maine-et-Loire d'abroger cet arrêté. Par un jugement du 7 juin 2019, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de la Fédération des entreprises de boulangerie tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision implicite du préfet de Maine-et-Loire rejetant cette demande. Par un arrêt du 18 mai 2021, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par la Fédération des entreprises de boulangerie contre ce jugement. La Fédération des entreprises de boulangerie a formé un pourvoi en cassation contre cet arrêt. Par une décision n° 454697 du 27 juillet 2022, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 18 mai 2021 et lui a renvoyé l'affaire, qui porte désormais le n° 22NT02530.

Sur la fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance par la Fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie pâtisserie de Maine-et-Loire :

2. L'article L. 3132-29 du code du travail dispose que : " Lorsqu'un accord est intervenu entre les organisations syndicales de salariés et les organisations d'employeurs d'une profession et d'une zone géographique déterminées sur les conditions dans lesquelles le repos hebdomadaire est donné aux salariés, le préfet peut, par arrêté, sur la demande des syndicats intéressés, ordonner la fermeture au public des établissements de la profession ou de la zone géographique concernée pendant toute la durée de ce repos. / À la demande des organisations syndicales représentatives des salariés ou des organisations représentatives des employeurs de la zone géographique concernée exprimant la volonté de la majorité des membres de la profession de cette zone géographique, le préfet abroge l'arrêté mentionné au premier alinéa, sans que cette abrogation puisse prendre effet avant un délai de trois mois ".

3. Il résulte des travaux préparatoires de la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques visée ci-dessus que le législateur n'a pas entendu restreindre les possibilités d'obtenir l'abrogation d'un arrêté préfectoral de fermeture aux seules personnes visées au second alinéa de l'article L. 3132-29 du code du travail. Par conséquent, la Fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie pâtisserie de Maine-et-Loire n'est pas fondée à soutenir que seule une organisation représentative de la zone géographique concernée, et non pas la Fédération des entreprises de boulangerie, pouvait demander l'abrogation de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire, et sa fin de non-recevoir doit donc être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

4. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " L'administration est tenue d'abroger expressément un acte réglementaire illégal ou dépourvu d'objet, que cette situation existe depuis son édiction ou qu'elle résulte de circonstances de droit ou de fait postérieures, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ".

5. Pour l'application des dispositions du code du travail citées au point 2, la fermeture au public des établissements d'une profession ne peut légalement être ordonnée sur la base d'un accord syndical que dans la mesure où cet accord correspond pour la profession à la volonté de la majorité indiscutable de tous ceux qui exercent cette profession à titre principal ou accessoire dans la zone géographique considérée et dont l'établissement ou une partie de celui-ci est susceptible d'être fermé. L'existence de cette majorité est vérifiée lorsque les entreprises adhérentes à la ou aux organisations d'employeurs qui ont signé l'accord ou s'y sont déclarées expressément favorables exploitent la majorité des établissements intéressés ou que la consultation de l'ensemble des entreprises concernées a montré que l'accord recueillait l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés.

6. Il ressort des pièces du dossier que, le 9 juillet 2018, le préfet de Maine-et-Loire, répondant à la demande d'abrogation de son arrêté du 15 mai 2001 présentée par la Fédération des entreprises de boulangerie, a engagé une consultation des organisations professionnelles intéressées afin de s'assurer de la persistance d'une volonté majoritaire de la profession pour le maintien de son arrêté de fermeture hebdomadaire. Les résultats de cette consultation, auprès de 1037 établissements du département - liste ramenée à 905 établissements après retraitement des cessations d'activité et soustraction des établissements non concernés par l'activité -, ont fait apparaître que si près de 61 % des répondants (de manière expresse ou par adhésion à une organisation professionnelle) s'étaient exprimés en faveur du maintien de la fermeture, ils ne représentaient que 35 % de la totalité des établissements concernés du département de Maine-et-Loire. Il ressort également des pièces du dossier que le courrier du 6 mai 2019 de consultation proprement dite adressé à chaque établissement concerné non affilié à une organisation professionnelle n'indiquait pas que l'absence de réponse de sa part vaudrait acceptation de la décision qui serait prise, de sorte que les abstentions de ces établissements ne peuvent être regardées comme des suffrages favorables à un jour hebdomadaire de fermeture. Par conséquent, la consultation initiée en 2018 et menée en 2019 par le préfet à la suite de la demande d'abrogation de son arrêté dont il avait été saisi, dont le résultat devait être apprécié par rapport à l'ensemble des entreprises consultées, n'a pas recueilli l'assentiment d'un nombre d'entreprises correspondant à la majorité des établissements intéressés, en sorte que la condition de majorité indiscutable en faveur du maintien de l'accord conclu le 14 mai 2001 n'a pas été satisfaite. Par suite, la décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a refusé d'abroger son arrêté du 15 mai 2001 prescrivant une journée hebdomadaire de fermeture, qui est fondée sur une appréciation erronée des faits de l'espèce, est entachée d'illégalité et doit être annulée.

7. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen soulevé, que la Fédération des entreprises de boulangerie est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

8. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard au motif d'annulation retenu, que l'arrêté préfectoral du 15 mai 2001 soit abrogé. En l'absence de circonstance nouvelle, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Maine-et-Loire d'abroger cet arrêté dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la Fédération des entreprises de boulangerie au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. En revanche, la Fédération des entreprises de boulangerie n'étant pas la partie perdante, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mis à sa charge le versement de la somme demandée par la Fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie pâtisserie de Maine-et-Loire à ce titre.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1803514 du 7 juin 2019 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La décision implicite par laquelle le préfet de Maine-et-Loire a rejeté la demande de la Fédération des entreprises de boulangerie d'abrogation de son arrêté du 15 mai 2001 est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Maine-et-Loire d'abroger son arrêté du 15 mai 2001 dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : L'Etat versera à la Fédération des entreprises de boulangerie une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à la Fédération des entreprises de boulangerie, au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, à la Fédération professionnelle de la boulangerie et boulangerie pâtisserie de Maine-et-Loire, aux magasins Leclerc d'Angers, Cholet, Saumur et Segré, à la section départementale de la confédération générale de l'alimentation en détail de Maine-et-Loire, au groupement indépendant des terminaux de cuisson, à la Fédération des entreprises de commerce et de la distribution, à ITM Ouest, à l'union départementale des syndicats CGT de Maine-et-Loire, à l'union départementale des syndicats CFDT de Maine-et-Loire, à l'union départementale des syndicats CFE-CGC de Maine-et-Loire, et à l'union départementale des syndicats CFTC de Maine-et-Loire.

Copie sera adressée au préfet de de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 26 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,

- M. Penhoat, premier conseiller,

- Mme Picquet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 10 février 2023.

La rapporteure

P. A...La présidente

I. Perrot

La greffière

S. Pierodé

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

1

2

N° 22NT02530

1


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02530
Date de la décision : 10/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: Mme Pénélope PICQUET
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : AARPI DIXHUIT BOETIE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-02-10;22nt02530 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award