Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme D... A..., épouse C..., et Mme F... E... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 28 janvier 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 12 octobre 2020 des autorités consulaires françaises à Douala (Cameroun) refusant de délivrer à Mme E... un visa d'entrée et de long séjour en France au titre du regroupement familial.
Par un jugement n° 2103584 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et deux mémoires complémentaires, enregistrés le 3 décembre 2021, le 23 février 2022 et le 1er septembre 2022, Mme D... A..., épouse C..., et Mme F... E..., représentées par Me Danet, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 4 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 28 janvier 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme E... un visa d'entrée et de long séjour en France dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, passé ce délai, de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer sa demande de visa dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte, passé ce délai, de 100 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros, à verser à Mme A..., épouse C..., au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elles soutiennent que :
- la décision contestée est insuffisamment motivée et révèle un défaut d'examen sérieux du recours administratif ;
- elle est entachée d'une erreur d'appréciation quant à l'identité de la demandeuse de visa ;
- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
Par un mémoire en défense, enregistré le 12 janvier 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.
Un mémoire présenté pour Mme D... A..., épouse C..., et Mme F... E... a été enregistré le 27 novembre 2022, postérieurement à la clôture de l'instruction.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. B...,
- et les observations de Me Blin, substituant Me Danet, représentant Mme A..., épouse C..., et Mme E....
Une note en délibéré, présentée pour Mme A..., épouse C..., et Mme E... a été enregistrée le 24 janvier 2023.
Considérant ce qui suit :
1. Mme D... A..., épouse C..., ressortissante camerounaise née en 1985, séjourne régulièrement en France sous couvert d'un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ". Elle a obtenu, le 1er février 2019, du préfet de la Vendée une autorisation de regroupement familial au profit de la jeune F... E..., ressortissante camerounaise née en 2001, dont elle déclare être la mère. Le 21 février 2020, Mme A..., épouse C..., a sollicité, pour le compte de la jeune F... E..., auprès du Consul général de France à Douala (Cameroun) la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en France au titre du regroupement familial. Par une décision du 12 octobre suivant, le consul général de France a refusé de délivrer à l'intéressée le visa sollicité. Mme A..., épouse C..., a alors saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 28 janvier 2021, la commission a rejeté ce recours. Mme A..., épouse C..., et Mme E..., entretemps devenue majeure, relèvent appel du jugement du 4 octobre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes de filiation produits.
3. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
5. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé à la jeune E... au motif que la levée d'acte effectuée par les autorités locales avait révélé que l'acte de naissance de l'intéressée concernait, en réalité, une tierce personne et qu'il ne permettait pas, dès lors, d'établir son identité et, partant, le lien de filiation l'unissant à Mme A..., épouse C....
6. Pour justifier de l'identité de la demandeuse de visa et du lien familial les unissant, Mme A..., épouse C..., a produit, en première instance, un jugement rendu le 25 février 2021 par le tribunal de grande instance de Mfoundi ordonnant à l'officier du centre d'état civil de Yaoundé II de procéder à la reconstitution de l'acte de naissance de Mme F... E... en mentionnant qu'elle est née le 26 février 2001 à Yaoundé de Mme D... A.... Si le ministre de l'intérieur relève que ce jugement de reconstitution d'acte de naissance est affecté de plusieurs mentions incohérentes ou erronées, ces mentions, qui sont étrangères à l'identité de l'intéressée et à sa filiation, ont été, en tout état de cause, corrigées par un jugement en rectification d'erreurs matérielles rendu le 24 mars 2022 par le même tribunal, à la demande de Mme A..., épouse C..., et dont l'authenticité n'est pas contestée. Dans ces conditions, et alors en outre qu'il n'est pas établi par les pièces du dossier que l'acte de naissance initialement produit serait apocryphe, la demande de levée d'acte ayant omis de faire état de la mention " ANT 29 " avant le numéro d'enregistrement de cet acte, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité de Mme E... et le lien de filiation l'unissant à Mme A..., épouse C..., n'étaient pas établis et en refusant de délivrer, pour ce motif, à l'intéressée un visa d'entrée et de long séjour en France au titre du regroupement familial.
7. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme A..., épouse C..., et Mme E... sont fondées à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision du 28 janvier 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
8. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance du visa sollicité à Mme E.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'y procéder dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.
Sur les frais liés à l'instance :
9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 200 euros que demande Mme A..., épouse C..., au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 4 octobre 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 28 janvier 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer à Mme E... un visa d'entrée et de long séjour en France dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Mme A..., épouse C..., la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... A..., épouse C..., à Mme F... E... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Le Brun, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 février 2023.
Le rapporteur,
Y. B...
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
K. BOURON
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT03391