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27/01/2023 | FRANCE | N°22NT01835

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 1ère chambre, 27 janvier 2023, 22NT01835


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2011135, 2011655 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregis

trés les 13 juin, 28 septembre et 25 octobre 2022 M. A..., représenté par Me Danet, demande à la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler l'arrêté du 2 novembre 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement n° 2011135, 2011655 du 7 décembre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires enregistrés les 13 juin, 28 septembre et 25 octobre 2022 M. A..., représenté par Me Danet, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler cet arrêté du préfet de Maine-et-Loire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L.761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la décision portant obligation de quitter le territoire français méconnaît les dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, est entachée d'une erreur d'appréciation au regard de ces dispositions dès lors qu'il ne présentait pas une menace à l'ordre public et a bénéficié d'un non-lieu à poursuites pénales sur des faits pris en compte par le préfet, et méconnaît le principe de la présomption d'innocence ;

- la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, est insuffisamment motivée, a été prise sans un examen particulier de sa situation personnelle, est entachée d'une erreur de fait et méconnaît le principe de la présomption d'innocence, le principe de séparation des pouvoirs administratifs et judiciaires et l'autorité de la chose jugée ;

- la décision fixant le pays de destination est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français ;

- la décision prononçant une interdiction de circulation est illégale du fait de l'illégalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français, est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation et méconnaît le principe de présomption d'innocence.

Par des mémoires en défense enregistrés les 7 septembre et 10 octobre 2022, le préfet de Maine-et-Loire conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés ;

- dans le cas où le comportement de M. A... ne porterait pas atteinte à un intérêt fondamental de la société française et où il n'y aurait pas lieu de faire application du 3° de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, il sollicite une substitution de motifs en faisant application des dispositions du 1° du même article dès lors que M. A... est resté plus de trois mois en France en situation irrégulière et n'a pas effectué de démarches en vue de régulariser sa situation.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du

11 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. B...,

- les conclusions de M. Brasnu, rapporteur public,

- et les observations de Me Benveniste, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant roumain né le 18 novembre 1997, relève appel du jugement du 7 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 2 novembre 2020 par lequel le préfet de Maine-et-Loire l'a obligé à quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de destination et lui a interdit de circuler sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Sur la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français :

2. Le moyen tiré de la méconnaissance du principe de présomption d'innocence est inopérant à l'égard d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dès lors que ce principe n'est applicable que devant un tribunal répressif.

3. La directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres détermine les conditions dans lesquelles ceux-ci peuvent restreindre la liberté de circulation et de séjour d'un citoyen de l'Union européenne ou d'un membre de sa famille. L'article 27 de cette directive prévoit que, de manière générale, cette liberté peut être restreinte pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique ou de santé publique, sans que ces raisons puissent être invoquées à des fins économiques. Ce même article prévoit que les mesures prises à ce titre doivent respecter le principe de proportionnalité et être fondées sur le comportement personnel de l'individu concerné, lequel doit représenter une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société. L'article 28 de la directive impose la prise en compte de la situation individuelle de la personne en cause avant toute mesure d'éloignement, notamment de la durée de son séjour, de son âge, de son état de santé, de sa situation familiale et économique, de son intégration sociale et culturelle et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine. Ce même article prévoit une protection particulière pour les citoyens ayant acquis un droit de séjour permanent, à l'égard desquels des raisons impérieuses d'ordre public ou de sécurité publique doivent être établies, et pour ceux ayant séjourné dans l'Etat membre d'accueil pendant les dix années précédentes ainsi que pour les mineurs, dont l'éloignement doit reposer sur des motifs graves de sécurité publique.

4. Aux termes de l'article L. 511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable : " L'autorité administrative compétente peut, par décision motivée, obliger un ressortissant d'un Etat membre de l'Union européenne, d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse, ou un membre de sa famille à quitter le territoire français lorsqu'elle constate : (...) 1° Qu'il ne justifie plus d'aucun droit au séjour tel que prévu par les articles L. 121-1, L. 121-3 ou L. 121-4-1 ; / 3° Ou que son comportement personnel constitue une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française. (...) L'autorité administrative compétente tient compte de l'ensemble des circonstances relatives à sa situation, notamment la durée du séjour de l'intéressé en France, son âge, son état de santé, sa situation familiale et économique, son intégration sociale et culturelle en France, et de l'intensité de ses liens avec son pays d'origine ".

5. Ces dispositions doivent être interprétées à la lumière des objectifs de la directive du 29 avril 2004 et notamment de ses articles 27 et 28 mentionnés au point 3. Il résulte à cet égard des termes mêmes du 3° de l'article L. 511-3-1, qui concerne des ressortissants d'un Etat membre qui ne sont pas entrés en France depuis plus de trois mois, qu'elles ne visent pas les personnes bénéficiant de la protection prévue à l'article 28 de la directive, quant au degré particulier de gravité des motifs d'ordre public dont un Etat membre doit justifier pour pouvoir prendre à leur encontre une mesure d'éloignement. Il appartient néanmoins à l'autorité administrative, qui ne saurait se fonder sur la seule existence d'une infraction à la loi, d'examiner, d'après l'ensemble des circonstances de l'affaire, si la présence de l'intéressé sur le territoire français est de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française, ces conditions étant appréciées en fonction de sa situation individuelle, notamment de la durée de son séjour en France, de sa situation familiale et économique et de son intégration.

6. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a fait l'objet le 8 juillet 2019 d'un mandat d'arrêt pour des faits de tentative de meurtre, requalifiés par la suite en faits de meurtre, qui se sont déroulés le 23 juin 2019 et a été mis en examen le 14 août 2019 par le juge d'instruction du tribunal judiciaire de Nantes. Sa mise en examen a été assortie d'un mandat de dépôt et il a alors été incarcéré à la maison d'arrêt d'Angers le 13 août 2019. Par un arrêt du 30 octobre 2020, la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Rennes a toutefois ordonné sa mise en liberté et l'a placé sous contrôle judiciaire, cette mesure emportant notamment interdiction de sortie du territoire national et interdiction de détenir et porter une arme. Pour prendre l'arrêté contesté du 2 novembre 2020 et obliger M. A... à quitter le territoire français sans délai, fixer le pays de destination et lui interdire de circuler sur le territoire français pendant une durée de trois ans le préfet de Maine-et-Loire s'est fondé sur cette seule affaire criminelle qui a abouti ultérieurement à une mise hors de cause de M. A.... Ainsi, et alors qu'il n'a pas en outre recherché si M. A... avait commis d'autres infractions, le préfet ne pouvait pas légalement estimer que la présence de l'intéressé sur le territoire français était de nature à constituer une menace réelle, actuelle et suffisamment grave pour un intérêt fondamental de la société française au sens des dispositions du 3° de l'article L. 511-3-1. Dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner la situation individuelle de M. A..., notamment la durée de son séjour en France, sa situation familiale et économique et son intégration, la décision portant obligation de quitter le territoire français a été prise en méconnaissance des dispositions précitées du 3° de L.511-3-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

7. L'administration peut cependant, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative, il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. Pour établir que l'arrêté contesté était légal, le préfet de Maine-et-Loire invoque, dans son mémoire en défense enregistré le 7 septembre 2022 et communiqué à M. A..., un autre motif tiré de la situation irrégulière de ce dernier en France depuis plus de trois mois sans avoir effectué de démarches en vue de régulariser sa situation.

9. Aux termes de l'article L. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, tout ressortissant d'un autre Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen ou de la Confédération suisse a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : / 1° S'il exerce une activité professionnelle en France ; (...). ". Aux termes de l'article R. 233-3 du même code, alors applicable : " Les citoyens de l'Union européenne entrés en France pour y rechercher un emploi ne peuvent être éloignés pour un motif tiré de l'irrégularité de leur séjour tant qu'ils sont en mesure d'apporter la preuve qu'ils continuent à rechercher un emploi et qu'ils ont des chances réelles d'être engagés. ".

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier qu'à la date de l'arrêté contesté M. A..., qui a fui en Allemagne avant d'être incarcéré dans les conditions rappelées au point 6, exerçait une activité professionnelle ou avait effectué des recherches en vue d'occuper un emploi ou même avait des chances réelles d'être engagé au sens des dispositions de l'article R. 233-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Dès lors, il y a lieu de procéder à la substitution de motifs demandée et, pour ce nouveau motif, de confirmer la légalité de la décision portant obligation de quitter le territoire français.

Sur la légalité de la décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire :

11. Il ressort des termes de l'arrêté contesté que le préfet de Maine-et-Loire n'a pas visé dans sa décision refusant d'accorder un délai de départ volontaire l'un des cas prévus à l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable, et notamment le 1° du II de cet article selon lequel : " II. (...) Toutefois, l'autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l'étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français : (...) / 1° Si le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) " alors qu'il s'est fondé sur un tel motif. Ainsi, cette décision est insuffisamment motivée en droit. Par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens, il y a lieu de l'annuler pour ce motif.

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

12. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination doit être annulée par voie de conséquence.

Sur la légalité de la décision prononçant une interdiction de circulation :

13. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 2, le moyen tiré de la méconnaissance du principe de présomption d'innocence est inopérant à l'égard d'une décision prononçant une interdiction de circulation.

14. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de son comportement généralement violent, qui n'est pas contesté par M. A..., la décision prononçant une interdiction de circulation soit entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

15. La décision portant obligation de quitter le territoire français n'étant pas annulée, M. A... n'est pas fondé à soutenir que la décision prononçant une interdiction de circulation doit être annulée par voie de conséquence.

16. Il résulte de ce qui précède que M. A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision refusant de lui délivrer un délai de départ volontaire. Il n'y a pas lieu, en l'espèce de faire droit à ses conclusions relatives aux frais liés au litige.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n°s 2011135, 2011655 du tribunal administratif de Nantes du

7 décembre 2021 en tant qu'il a rejeté les conclusions de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet de Maine-et-Loire du 2 novembre 2020 en tant qu'il a refusé de lui accorder un délai de départ volontaire ainsi que cette décision sont annulés.

Article 2 : Le surplus des conclusions de la requête de M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera adressée au préfet de Maine-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 12 janvier 2023, à laquelle siégeaient :

- Mme Perrot, présidente de chambre,

- M. Geffray, président-assesseur,

- M. Penhoat, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 janvier 2023.

Le rapporteur

J.E. B...La présidente

I. Perrot

La greffière

A. Marchais

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT01835


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22NT01835
Date de la décision : 27/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. PERROT
Rapporteur ?: M. Jean-Eric GEFFRAY
Rapporteur public ?: M. BRASNU
Avocat(s) : DANET

Origine de la décision
Date de l'import : 05/02/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-01-27;22nt01835 ?
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