Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. A... B... A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 1er octobre 2020 par laquelle l'autorité consulaire française à Bombay (Inde) a " annulé le visa d'entrée et de long séjour " délivré le 29 septembre 2020 ainsi que la décision du 6 janvier 2021 du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et d'enjoindre à l'administration de lui délivrer le visa sollicité ou, à défaut, de réexaminer sa situation.
Par un jugement no 2105094 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes, d'une part, a annulé la décision du 1er octobre 2020 de l'autorité consulaire française à Bombay, d'autre part, a enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B... dans un délai de deux mois à compter de sa notification, et, enfin, a rejeté les conclusions à fin d'annulation du courrier du 6 janvier 2021 du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Procédure devant la cour :
I. Par une requête, enregistrée sous le no 22NT01105 le 8 avril 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement en tant qu'il a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
2°) de rejeter, dans cette mesure, les conclusions de la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que c'est à tort que le tribunal a estimé que la décision contestée était entachée d'une erreur d'appréciation et d'une erreur de droit.
Par un mémoire en défense, enregistré le 7 juin 2022, M. A... B..., représenté par Me Lietavova, conclut :
1°) au rejet de la requête du ministre de l'intérieur ;
2°) à ce qu'il soit enjoint à l'administration de lui délivrer le visa sollicité, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 250 euros par jour de retard ;
3°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que les moyens invoqués par le ministre ne sont pas fondés.
Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrégularité du jugement attaqué, en tant qu'il a annulé la décision d'abrogation du visa initialement délivré à M. A... B..., dès lors que le tribunal a fondé ce jugement sur des moyens qu'il a relevés d'office alors qu'ils n'étaient pas d'ordre public.
Des observations en réponse à ce courrier ont été enregistrées le 30 décembre 2022 pour M. B....
II. Sous le no 22NT03559, M. A... B... a présenté le 20 juin 2022 une demande en vue d'obtenir l'exécution du jugement no 2105094 rendu par le tribunal administratif de Nantes le 10 février 2022.
Par une ordonnance du 22 novembre 2022, le président de la cour a décidé l'ouverture d'une procédure juridictionnelle.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. C...,
- les conclusions de Mme Bougrine, rapporteure publique,
- et les observations de Me Lietavova, représentant M. A... B....
Considérant ce qui suit :
1. Par un jugement du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes, à la demande de M. A... B..., d'une part, a annulé la décision du 1er octobre 2020 de l'autorité consulaire française à Bombay, qu'il a qualifiée de décision d'abrogation du visa délivré à l'intéressé, d'autre part, a enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement, et, enfin, a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... B... dirigé contre la décision du 6 janvier 2021 du président de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Sous le no 22NT01105, le ministre de l'intérieur doit être regardé comme demandant l'annulation du jugement du 10 février 2022 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il annulé la décision du 1er octobre 2020 de l'autorité consulaire française à Bombay, qu'il lui a enjoint de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B... et qu'il a mis à la charge de l'État une somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative. Sous le no 22NT03559, M. A... B... demande à la cour d'édicter les mesures nécessaires pour obtenir l'exécution du ce même jugement.
2. Les requêtes du ministre de l'intérieur et de M. A... B... concernent le même jugement. Il y a lieu de les joindre pour y statuer par un seul arrêt.
Sur la requête du ministre de l'intérieur :
En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué en tant qu'il a annulé la décision consulaire du 1er octobre 2020, a enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B... et a fait application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
3. Pour annuler la décision de l'autorité consulaire française à Bombay du 1er octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur les moyens tirés de ce que " la décision est entachée d'erreur de droit, rien ne permettant de considérer que la décision de délivrance du visa serait illégale, et d'erreur d'appréciation, aucune fraude n'apparaissant à l'œuvre ". Ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, n'avaient pas été invoqués par M. A... B.... Ainsi, les premiers juges, en relevant d'office de tels moyens, ont entaché leur jugement sur ce point d'irrégularité. Dès lors, le jugement attaqué doit être annulé en tant qu'il a annulé la décision consulaire du 1er octobre 2020 et, par voie de conséquence, a enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B... et a mis à la charge de l'État le versement à M. A... B... de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
4. Il y a lieu d'évoquer, dans cette mesure, et de statuer immédiatement sur les conclusions de la demande présentée par M. A... B... devant le tribunal administratif de Nantes en tant qu'elles sont dirigées contre la décision de l'autorité consulaire française à Bombay du 1er octobre 2020.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision consulaire du 1er octobre 2020 :
5. Il ressort des pièces du dossier que le 29 septembre 2020, M. A... B..., ressortissant indien né le 2 août 1991, s'est vu délivrer par les autorités consulaires françaises à Bombay (Inde) un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'étudiant. Le 1er octobre 2020, les autorités consulaires, qui avaient demandé à l'intéressé de se présenter de nouveau au consulat, ont apposé plusieurs tampons dont celui " annulé sans porter préjudice " et une croix sur la vignette du visa présente dans le passeport de l'intéressé. Le même jour, les autorités consulaires ont remis à M. A... B... une décision portant refus de délivrance d'un visa de long séjour pour études. Cette décision du 1er octobre 2020 s'analyse, non comme une décision d'abrogation de visa, mais comme une décision de refus de visa prise par les autorités consulaires françaises, après retrait de la décision de délivrance du visa et réexamen de la demande de visa présentée par M. A... B..., dont elles se trouvaient de nouveau saisies du fait du retrait. Par une décision du 9 décembre 2021, la commission de recours a rejeté le recours présenté par M. A... B... contre la décision des autorités consulaires portant refus de visa.
6. Aux termes de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. "
7. En vertu des dispositions citées au point précédent, la décision du 9 décembre 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision consulaire du 1er octobre 2020. Il s'ensuit que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... B... doivent être regardées comme dirigées contre la seule décision du 9 décembre 2021 de la commission de recours et les moyens dirigés contre la décision de l'autorité consulaire doivent être écartés comme inopérants.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 9 décembre 2021 :
8. En premier lieu, la décision du 9 décembre 2021 de la commission de recours comporte l'énoncé des considérations de fait qui en constituent le fondement, notamment les raisons pour lesquelles M. A... B... présenteraient une menace à l'ordre public. Le moyen tiré de l'insuffisante motivation de cette décision doit, par suite, être écarté.
9. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 311-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne satisfait pas aux conditions d'entrée sur le territoire français lorsqu'il se trouve dans les situations suivantes : / 1° Sa présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ; / (...) ". Aux termes de l'article L. 312-2 du même code : " Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour dont la durée de validité ne peut être supérieure à un an. / Ce visa peut autoriser un séjour de plus de trois mois à caractère familial, en qualité (...) d'étudiant, (...) et plus généralement tout type de séjour d'une durée supérieure à trois mois conférant à son titulaire les droits attachés à une carte de séjour temporaire ou à la carte de séjour pluriannuelle prévue aux articles L. 421-9 à L. 421-11 et L. 421-13 à L. 421-24. "
10. Aux termes de l'article 7, paragraphe 6, de la directive 2016/801 du 11 mai 2016 relative aux conditions d'entrée et de séjour des ressortissants de pays tiers à des fins de recherche, d'études, de formation, de volontariat et de programmes d'échange d'élèves ou de projets éducatifs et de travail au pair : " Les ressortissants de pays tiers qui sont considérés comme une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la santé publique ne sont pas admis. "
11. Il résulte des dispositions du d) de l'article 6, paragraphe 1, de la directive 2004/114 du 13 décembre 2004, reprises en substance à l'article 7, paragraphe 6, de la directive 2016/801 du 11 mai 2016 mentionné au point précédent, telles qu'interprétées par l'arrêt C-544/15 de la Cour de justice de l'Union européenne du 4 avril 2017, que les autorités compétentes, lorsqu'elles sont saisies par un ressortissant d'un pays tiers d'une demande de visa à des fins d'études, disposent d'une large marge d'appréciation pour vérifier, à la lumière de l'ensemble des éléments pertinents caractérisant la situation de ce ressortissant, si ce dernier représente une menace, fût-elle potentielle, pour la sécurité publique.
12. La décision portant refus de délivrance de visa est fondée sur le risque en matière de prolifération nucléaire et balistique ainsi que sur le risque de menace pour l'ordre public que représente la présence de l'intéressé en France en vue d'y poursuivre des études dans des domaines hautement sensibles.
13. Le ministre de l'intérieur fait valoir que le master SARENA que l'intéressé projette de suivre prodigue des enseignements utilisables dans le cadre d'un programme militaire dans le domaine nucléaire, notamment appliqué au secteur sous-marin, et que le profil de M. A... B..., eu égard à ses précédentes études en ingénierie mécanique et à ses expériences professionnelles, présente un profil de spécialiste en ingénierie marine. Si M. A... B... conteste cette dernière conclusion, il n'apporte aucune précision quant au contenu de la formation qu'il a suivie dans le cadre de sa licence en génie mécanique obtenue auprès du Visvesvaraya National Institute of Technology (Inde), ni quant à la nature des fonctions qu'il a exercées ou des projets sur lesquels il a travaillé en Inde au sein de la société LetT Technology Services. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que M. A... B... était inscrit, pour l'année universitaire 2021-2022, dans la filière spécialisée dans l'exploitation et la sûreté des réacteurs nucléaires du Master en applications nucléaires sûres et fiables du programme SARENA (Safe and Reliable Nuclear Applications), master conjoint à plusieurs universités européennes, dont l'Institut Mines-Télécom (IMT) Atlantique de Nantes. Si M. A... B... soutient que " ce programme prépare à l'intégration du secteur du nucléaire civil, non militaire ", alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce master couvre " un large éventail d'applications nucléaires " et " permet aux ingénieurs de travailler dans tous les domaines liés à l'énergie nucléaire et [à ses] applications ", il n'apporte pas suffisamment d'éléments de nature à démontrer que les enseignements de ce master ne seraient pas utilisables dans le cadre d'un programme nucléaire militaire. Dès lors, c'est sans commettre d'erreur manifeste d'appréciation que la commission de recours a refusé, pour le motif cité au point 12, de délivrer le visa sollicité par M. A... B....
14. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à demander l'annulation de la décision du 9 décembre 2021 de la commission de recours.
En ce qui concerne les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... B... :
15. Le présent arrêt qui rejette les conclusions à fin d'annulation de la décision du 9 décembre 2021 de la commission de recours n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, les conclusions à fin d'injonction présentées par M. A... B... doivent être rejetées.
En ce qui concerne les frais liés au litige :
16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que M. A... B... demande au titre des frais exposés par lui à l'occasion du litige soumis au juge.
Sur la requête de M. A... B... :
17. Le présent arrêt annule partiellement le jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 février 2022 et rejette la demande présentée par M. A... B... tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours et à ce qu'il soit enjoint de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B.... Par suite, la requête de ce dernier tendant à ce qu'il soit prescrit des mesures en vue d'assurer l'exécution de ce jugement ne peut qu'être rejetée.
DÉCIDE :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 février 2022 est annulé en tant qu'il a annulé la décision des autorités consulaires françaises à Bombay du 1er octobre 2020, qu'il a enjoint au ministre de l'intérieur de faire procéder au rétablissement du visa d'entrée et de long séjour de M. A... B... et qu'il a mis à la charge de l'État le versement à M. A... B... de la somme de 1 200 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 2 : La demande de M. A... B... présentée devant le tribunal administratif de Nantes en tant qu'elle est dirigée contre la décision du 9 décembre 2021 de la commission de recours est rejetée, de même que les conclusions à fin d'injonction et celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative qu'il présente en appel.
Article 3 : La requête de M. A... B... présentée sous le no 22NT03559 est rejetée.
Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 10 janvier 2023, à laquelle siégeaient :
- Mme Buffet, présidente de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 27 janvier 2023.
Le rapporteur,
F.-X. C...La présidente,
C. Buffet
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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Nos 22NT01105, 22NT03559