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06/01/2023 | FRANCE | N°21NT02531

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 06 janvier 2023, 21NT02531


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 22 juin 2020 par laquelle le président de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie a exercé le droit de préemption urbain sur l'immeuble situé 3, rue de la gare à Lisieux sur la parcelle cadastrée section AD n° 429, et de condamner la communauté d'agglomération Lisieux Normandie à lui verser une indemnité de 13 000 euros, avec intérêts au taux légal, en raison des préjudices subis du fait de l'illégalité de

la décision de préemption du 22 juin 2020.

Par un jugement n° 2001639 du 9 juille...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler la décision du 22 juin 2020 par laquelle le président de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie a exercé le droit de préemption urbain sur l'immeuble situé 3, rue de la gare à Lisieux sur la parcelle cadastrée section AD n° 429, et de condamner la communauté d'agglomération Lisieux Normandie à lui verser une indemnité de 13 000 euros, avec intérêts au taux légal, en raison des préjudices subis du fait de l'illégalité de la décision de préemption du 22 juin 2020.

Par un jugement n° 2001639 du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Caen, d'une part, a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions tendant à l'annulation de la décision de préemption du 22 juin 2020 (article 1er), d'autre part, a condamné la communauté d'agglomération Lisieux Normandie à verser à M. B... une indemnité de 1 992,20 euros avec intérêts au taux légal à compter de la date du jugement (article 2) et une somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 3).

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 septembre 2021 et 20 avril 2022, la communauté d'agglomération Lisieux Normandie, représentée par Me Hourmant, demande à la cour :

1°) d'annuler les articles 2 et 3 du jugement n° 2001639 du tribunal administratif de Caen du 9 juillet 2021 ;

2°) de mettre à la charge de M. B... la somme de 2 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la note en délibéré produite le lendemain de l'audience n'a été ni analysée, ni communiquée, ni encore visée ;

- elle ne disposait pas des informations permettant de savoir que les conditions de l'article L. 443-11 du code de la construction et de l'habitation étaient réunies alors que la déclaration d'intention d'aliéner (DIA), qui lui a été adressée à tort par le notaire, n'indiquait pas que le locataire en place était l'acquéreur du bien et que dans son avis du 23 mars 2020, le service des domaines n'a pas précisé qu'il était en place depuis au moins deux ans ;

- ce n'est qu'en raison de la faute commise par le notaire dans la notification de la

DIA, qu'il reconnait lui-même dans son courriel du 14 octobre 2020, qu'elle a pris la décision litigieuse, qu'elle a retirée dès qu'elle a eu connaissance de son illégalité ;

- la faute du notaire est exonératoire de sa responsabilité ;

- les préjudices de M. B... ne sont pas établis ;

- la décision de préemption litigieuse est légale.

Par un mémoire en défense, enregistré le 29 novembre 2021, M. B..., représenté par Me Piro, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la communauté d'agglomération Lisieux Normandie a commis une faute en faisant usage de son droit de préemption alors que son président avait connaissance du fait que M. B... était locataire depuis plus de deux ans du bien litigieux pour avoir participé à une rencontre le 3 juin 2020 avec les occupant de l'immeuble et que leur situation était connue publiquement, notamment du fait d'articles de la presse locale et qu'elle aurait pu se renseigner sur sa situation ;

- il appartient à la communauté d'agglomération Lisieux Normandie de justifier de la

régularité de la décision n° 2017.082 instaurant un droit de préemption urbain sur les zones

U et AU des PLUI et PLU applicables sur son territoire et l'étendant aux aliénations prévues à l'article L. 211-4 du code de l'urbanisme ;

- il appartient à la communauté d'agglomération Lisieux Normandie de justifier d'une

part de sa compétence pour l'exercice du droit de préemption urbain en application d'une

délégation et ensuite de la régularité de la décision 2019-047 du 28 mars 2019 portant

délégation du conseil communautaire au président de l'exercice du droit de préemption

urbain ;

- la décision d'exercer le droit de préemption urbain n'a pas été exercée dans le délai de deux mois de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme ;

- la décision de préemption est insuffisamment motivée, en méconnaissance de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme ;

- la volonté d'exercer le droit de préemption sur le bien litigieux, à un prix de plus du tiers inférieur à sa valeur, s'explique davantage par l'intention de constituer une réserve foncière, voire de spéculer, que par la poursuite d'une opération d'aménagement définie ;

- les premiers juges ont évalué correctement ses préjudices.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code de l'urbanisme ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Derlange, président assesseur,

- et les conclusions de M. Pons, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 10 février 2020, la société anonyme d'habitation à loyer modéré d'aménagement et de gestion immobilière (SAGIM) a proposé à M. B... de lui vendre le logement qu'elle lui louait. A la suite de la réception de la déclaration d'intention d'aliéner en résultant, le président de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie a décidé, le 22 juin 2020, d'exercer le droit de préemption urbain sur ce bien. Considérant toutefois qu'en vertu des articles L. 213-1 du code de l'urbanisme et L. 443-11 du code de la construction et de l'habitation, la collectivité " n'était pas en mesure de préempter les biens susvisés ", le président de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie, par une nouvelle décision du 16 octobre 2020, a retiré la décision du 22 juin 2020. M. B... a saisi le tribunal administratif de Caen à fin notamment d'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de l'illégalité de la décision du 22 juin 2020. Par un jugement du 9 juillet 2021, le tribunal administratif de Caen lui a alloué une indemnité de 1 992,20 euros avec intérêts au taux légal. La communauté d'agglomération Lisieux Normandie relève appel de ce jugement en tant qu'il l'a condamnée à verser à M. B... une indemnité ainsi qu'une somme au titre des frais d'instance.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique (...) / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. / Mention y est faite que le rapporteur et le rapporteur public et, s'il y a lieu, les parties, leurs mandataires ou défenseurs ainsi que toute personne entendue sur décision du président en vertu du troisième alinéa de l'article R. 732-1 ont été entendus. / Lorsque, en application de l'article R. 732-1-1, le rapporteur public a été dispensé de prononcer des conclusions, mention en est faite. / Mention est également faite de la production d'une note en délibéré. / La décision fait apparaître la date de l'audience et la date à laquelle elle a été prononcée. ".

3. Après l'audience publique, qui a eu lieu le 17 juin 2021, la communauté d'agglomération Lisieux Normandie a adressé au tribunal administratif de Caen une note en délibéré datée du 18 juin 2021, qui a été enregistrée au greffe du tribunal le jour même. Le jugement attaqué, dont les visas ne font pas mention de cette note, est ainsi entaché d'une irrégularité. En conséquence, la communauté d'agglomération Lisieux Normandie est fondée à demander l'annulation des articles 2 et 3 de ce jugement.

4. Il a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande d'indemnisation présentée par M. B... devant le tribunal administratif.

Sur les conclusions indemnitaires de M. B... :

En ce qui concerne le principe de la responsabilité :

5. Aux termes de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme : " Sont soumis au droit de préemption institué par l'un ou l'autre des deux précédents chapitres : (...) / 4° Les immeubles construits ou acquis par les organismes mentionnés à l'article L. 411-2 du code de la construction et de l'habitation et qui sont leur propriété, sous réserve des droits des locataires définis à l'article L. 443-11 du même code (...) ". Aux termes de l'article L. 213-2 du même code : " Toute aliénation visée à l'article L. 213-1 est subordonnée, à peine de nullité, à une déclaration préalable faite par le propriétaire à la mairie de la commune où se trouve situé le bien. Cette déclaration comporte obligatoirement l'indication du prix et des conditions de l'aliénation projetée (...) ". Aux termes du II de l'article L. 443-11 du code de la construction et de l'habitation : " Un logement occupé ne peut être vendu qu'à son locataire, s'il occupe le logement depuis au moins deux ans (...) Tout locataire qui occupe le logement depuis au moins deux ans peut adresser à l'organisme propriétaire une demande d'acquisition de son logement. La réponse de l'organisme doit être motivée et adressée à l'intéressé dans les deux mois suivant la demande (...) ".

6. Il est constant que M. B... occupait depuis plus de deux ans un logement relevant des dispositions du 4° de l'article L. 213-1 du code de l'urbanisme, appartenant à la SAGIM, ce qui faisait obstacle à l'exercice du droit de préemption urbain de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie. La décision du 22 juin 2020 est donc illégale.

7. La communauté d'agglomération Lisieux Normandie ne peut s'exonérer de sa responsabilité résultant de la faute à avoir édicté cette décision illégale en se prévalant du fait que le notaire lui a adressé à tort une déclaration d'intention d'aliéner et qu'elle ne disposait pas de toutes les informations permettant de constater que la situation de M. B... correspondait aux critères fixés au II de l'article L. 443-11 du code de la construction et de l'habitation, alors qu'en tant qu'autorité administrative compétente pour prendre la décision de préemption litigieuse, il lui appartenait de s'assurer de sa légalité et qu'elle n'établit l'existence d'aucune circonstance de droit ou de fait y ayant fait obstacle. Par suite, la communauté d'agglomération Lisieux Normandie doit être condamnée à réparer les préjudices subis par M. B... en raison de l'illégalité de la décision du 22 juin 2020.

En ce qui concerne le lien de causalité et les préjudices :

8. En premier lieu, il résulte de l'instruction, que l'emprunt immobilier que M. B... a souscrit pour l'acquisition de son logement l'a été dans des conditions moins avantageuses que s'il l'avait fait en l'absence de la décision de préemption illégale. Le préjudice qui en résulte peut être évalué à la somme de 1 492,20 euros résultant du différentiel de taux ressortant entre la simulation de financement du 27 mai 2020, qui lui avait été adressée par un courriel de sa banque, et l'offre de prêt signée par M. B... le 9 décembre 2020, l'argumentation de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie tirée de ce qu'il n'est pas établi précisément que l'intégralité de cet emprunt aurait été affectée à l'acquisition du logement de l'intéressé devant être écartée au regard notamment du fait que le contrat de prêt souscrit mentionne expressément qu'il concerne l'acquisition de sa résidence principale.

9. En deuxième lieu, eu égard aux difficultés administratives résultant de la décision de préemption litigieuse et aux craintes de ne pouvoir acquérir le logement qu'il occupait depuis huit ans, avec le risque à terme de devoir le quitter, M. B... doit être regardé comme ayant subi un préjudice moral du fait de cette décision. Il sera fait une juste appréciation de ce préjudice en l'évaluant à la somme de 500 euros.

10. En troisième lieu, si M. B... soutient que la décision de préemption l'a privé de la possibilité d'acquérir un autre bien, situé à proximité, afin d'y exercer une activité commerciale, en raison du fait que le bien objet de la préemption devait servir de lieu de stockage pour cette activité commerciale, il ne l'établit pas.

11. En quatrième et dernier lieu, il résulte de l'instruction que le montant des mensualités de remboursement de l'emprunt souscrit par M. B... pour l'acquisition du bien litigieux s'élève à la somme 391,92 euros alors que le loyer qu'il payait en tant que locataire s'élevait à la somme de 390,22 euros par mois. Dans ces conditions, M. B... n'établit pas avoir subi un préjudice à cet égard.

12. Il résulte de tout ce qui précède qu'il y a lieu de condamner la communauté d'agglomération Lisieux Normandie à verser à M. B... une indemnité d'un montant de 1 992,20 euros, assortie des intérêts à compter de la date du 9 juillet 2021 du jugement attaqué, comme il le demande.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle, à ce qu'une somme soit mise à ce titre à la charge de M. B..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante.

14. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie le versement à M. B... de la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : Les articles 2 et 3 du jugement n° 2001639 du 9 juillet 2021 du tribunal administratif de Caen sont annulés.

Article 2 : La communauté d'agglomération Lisieux Normandie est condamnée à verser à M. B... une indemnité de 1 992,20 euros avec intérêts au taux légal à compter du 9 juillet 2021.

Article 3 : La communauté d'agglomération Lisieux Normandie versera à M. B... la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Les conclusions de la communauté d'agglomération Lisieux Normandie au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... et à la communauté d'agglomération Lisieux Normandie.

Délibéré après l'audience du 13 décembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 janvier 2023.

Le rapporteur,

S. DERLANGE

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

C. WOLF

La République mande et ordonne au préfet du Calvados en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02531


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02531
Date de la décision : 06/01/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Stéphane DERLANGE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : HOURMANT

Origine de la décision
Date de l'import : 11/01/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2023-01-06;21nt02531 ?
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