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16/12/2022 | FRANCE | N°22NT02606

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 16 décembre 2022, 22NT02606


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2203747 du 25 juillet 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé ces deux arrêtés.

Procédure devant

la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 août 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler l'arrêté du 19 juillet 2022 par lequel le préfet d'Ille-et-Vilaine a décidé son transfert aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel la même autorité l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 2203747 du 25 juillet 2022, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé ces deux arrêtés.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 9 août 2022, le préfet d'Ille-et-Vilaine demande à la cour d'annuler ce jugement du 25 juillet 2022 du magistrat désigné du tribunal administratif de Rennes et de rejeter la demande de M. C... A....

Il soutient que :

- le premier juge a statué ultra petita en ce qu'il s'est fondé sur le 2 du A de l'article 1er de la convention de Genève du 28 juillet 1951 et du protocole signé à New-York le 31janvier 1967 ainsi que sur deux arrêts de la Cour européenne des droits de l'homme et de la Cour de justice de l'Union européenne alors que le requérant n'a pas invoqué ces stipulations ni dans son recours ni au cours de l'audience publique ;

- il n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en ne faisant pas usage des dispositions de l'article 17 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 pour l'instruction de la demande d'asile en France ; le requérant n'a pas démontré que l'Allemagne présente des défaillances systémiques dans la mise en œuvre de la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs d'asile ; l'arrêté de transfert n'a pas pour effet ni pour objet de renvoyer le requérant en Iran ; la seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par l'Allemagne le requérant serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par l'Allemagne de ses obligations ; le requérant ne démontre pas que sa situation d'ensemble ne pourrait pas faire l'objet d'un réexamen par les autorités allemandes si une telle demande venait à être déposée auprès d'elles.

Par un mémoire en défense, enregistré le 13 octobre 2022, M. C... A..., représenté par Me Thebault, conclut au rejet de la requête du préfet d'Ille-et-Vilaine et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros au titre de l'article

L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le préfet d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés.

M. C... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 septembre 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

A été entendu au cours de l'audience publique le rapport de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. M. C... A..., ressortissant iranien né le 11 septembre 1985 à Najafabad (Iran), déclare être entré irrégulièrement en France le 3 mai 2022. Il a déposé une demande d'asile auprès des services de la préfecture de police de Paris qui a été enregistrée le 10 mai 2022. La consultation du fichier Eurodac consécutive au relevé de ses empreintes digitales a révélé qu'il avait été identifié en Allemagne les 21 janvier 2016, 28 mars 2016 et 22 septembre 2020, où il avait sollicité le bénéfice de l'asile. Saisies par les autorités françaises le 20 mai 2022, les autorités allemandes ont accepté leur responsabilité par une décision explicite du 24 mai 2022 en application du d du 1 de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013. Le préfet d'Ille-et-Vilaine relève appel du jugement du 25 juillet 2022 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 19 juillet 2022 décidant le transfert de l'intéressé aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté du même jour portant assignation à résidence.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 3 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " 1. Les États membres examinent toute demande de protection internationale présentée par un ressortissant de pays tiers ou par un apatride sur le territoire de l'un quelconque d'entre eux, y compris à la frontière ou dans une zone de transit. La demande est examinée par un seul État membre, qui est celui que les critères énoncés au chapitre III désignent comme responsable. / 2. (...) / Lorsqu'il est impossible de transférer un demandeur vers l'État membre initialement désigné comme responsable parce qu'il y a de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 4 de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, l'État membre procédant à la détermination de l'État membre responsable poursuit l'examen des critères énoncés au chapitre III afin d'établir si un autre État membre peut être désigné comme responsable. / (...) ". Aux termes de l'article 17 du même règlement : " Par dérogation à l'article 3, paragraphe 1, chaque Etat membre peut décider d'examiner une demande de protection internationale qui lui est présentée par un ressortissant de pays tiers ou un apatride, même si cet examen ne lui incombe pas en vertu des critères fixés dans le présent règlement. / L'Etat membre qui décide d'examiner une demande de protection internationale en vertu du présent paragraphe devient l'Etat membre responsable et assume les obligations qui sont liées à cette responsabilité. (...) / (...) ". Aux termes de l'article 18 de ce règlement : " 1. L'État membre responsable en vertu du présent règlement est tenu de : / (...) / d). reprendre en charge, dans les conditions prévues aux articles 23, 24, 25 et 29, le ressortissant de pays tiers ou l'apatride dont la demande a été rejetée et qui a présenté une demande auprès d'un autre État membre ou qui se trouve, sans titre de séjour, sur le territoire d'un autre État membre. / (...) ". Par ailleurs, aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ".

3. Eu égard au niveau de protection des libertés et des droits fondamentaux dans les Etats membres de l'Union européenne, lorsque la demande de protection internationale a été introduite dans un Etat autre que la France, que cet Etat a accepté de prendre ou de reprendre en charge le demandeur et en l'absence de sérieuses raisons de croire qu'il existe dans cet État membre des défaillances systémiques dans la procédure d'asile et les conditions d'accueil des demandeurs, qui entraînent un risque de traitement inhumain ou dégradant au sens de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, les craintes dont le demandeur fait état quant au défaut de protection dans cet Etat membre doivent en principe être présumées non fondées, sauf à ce que l'intéressé apporte, par tout moyen, la preuve contraire. La seule circonstance qu'à la suite du rejet de sa demande de protection par cet Etat membre l'intéressé serait susceptible de faire l'objet d'une mesure d'éloignement ne saurait caractériser la méconnaissance par cet Etat de ses obligations.

4. En l'espèce, aucun élément au dossier ne permet de tenir pour établi que la demande d'asile de l'intéressé serait exposée à un risque sérieux de ne pas être traitée par les autorités allemandes dans des conditions conformes à l'ensemble des garanties exigées par le respect du droit d'asile, alors que l'Allemagne est un Etat membre de l'Union européenne, partie tant à la convention de Genève du 28 juillet 1951 sur le statut des réfugiés, complétée par le protocole de New-York, qu'à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. M. C... A... ne peut utilement se prévaloir de ce qu'il fait l'objet d'une mesure d'éloignement en Allemagne dès lors que ce pays a examiné sa demande d'asile et l'a rejetée. Au demeurant, rien n'indique qu'il ne serait pas en mesure de faire valoir devant les autorités allemandes tout élément relatif à l'évolution de sa situation personnelle et à la situation qui prévaut dans son pays d'origine avant que ces autorités ne procèdent éventuellement à son éloignement. Il ne peut pas en outre utilement faire valoir qu'il serait personnellement exposé à des risques de traitements inhumains ou dégradants en cas de retour ultérieur en Iran à l'encontre de la décision portant transfert aux autorités allemandes.

5. Dans ces conditions, M. C... A..., qui n'invoque aucun autre élément de vulnérabilité, ne démontre pas qu'il serait exposé au risque de subir en Allemagne des traitements contraires aux dispositions des articles 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et 4 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et que la décision de transfert méconnaîtrait ainsi l'article 3 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et serait entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article 17 du même règlement.

6. Dès lors, le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, pour annuler l'arrêté du 19 juillet 2022 portant transfert de M. C... A... aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que, par voie de conséquence, l'arrêté portant assignation à résidence, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes s'est fondé sur le motif tiré de la méconnaissance de ces dispositions.

7. Toutefois, il appartient à la cour administrative d'appel, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. C... A... devant le tribunal administratif de Rennes et la cour.

8. En premier lieu, il ressort du jugement attaqué que l'intéressé a expressément renoncé au cours de l'audience publique aux moyens tirés de l'incompétence de l'auteur de l'acte et du défaut d'entretien, moyens qu'il n'a pas repris en appel. Il n'y a donc plus lieu de les examiner.

9. En deuxième lieu, aux termes du 1 de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 : " L'État membre auprès duquel une demande de protection internationale a été introduite et qui estime qu'un autre État membre est responsable de l'examen de cette demande peut, dans les plus brefs délais et, en tout état de cause, dans un délai de trois mois à compter de la date de l'introduction de la demande au sens de l'article 20, paragraphe 2, requérir cet autre État membre aux fins de prise en charge du demandeur. / Nonobstant le premier alinéa, en cas de résultat positif (" hit ") Eurodac avec des données enregistrées en vertu de l'article 14 du règlement (UE) n° 603/2013, la requête est envoyée dans un délai de deux mois à compter de la réception de ce résultat positif en vertu de l'article 15, paragraphe 2, dudit règlement. / Si la requête aux fins de prise en charge d'un demandeur n'est pas formulée dans les délais fixés par le premier et le deuxième alinéas, la responsabilité de l'examen de la demande de protection internationale incombe à l'État membre auprès duquel la demande a été introduite. ". Par ailleurs, aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 modifié du 2 septembre 2003 : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre États membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " DubliNet " établi au titre II du présent règlement (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Enfin, aux termes de l'article 19 de ce même règlement : " 1. Chaque État membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. / 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. / 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé de réception pour toute transmission entrante. (...) ". Il résulte de ces dispositions combinées que le réseau de communication " DubliNet " permet des échanges d'informations fiables entre les autorités nationales qui traitent les demandes d'asile et que les accusés de réception émis par un point d'accès national font foi de la transmission de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse.

10. Il ressort des pièces du dossier, notamment de la copie de l'accusé de réception "DubliNet " produite par le préfet d'Ille-et-Vilaine, qui comporte le numéro de référence du dossier de M. C... A..., que la demande de reprise en charge de l'intéressé par les autorités allemandes a été formée le 20 mai 2022 par le réseau de communication " DubliNet " sur le fondement des dispositions de l'article 18 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 et que ces autorités ont accusé réception de cette demande le 20 mai 2022 avant d'accepter explicitement cette reprise en charge par un accord exprès du 24 mai 2022. Dès lors, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 21 du règlement (UE) n° 604/2013 doit être écarté.

11. En dernier lieu, il résulte des points 2 à 10 que M. C... A... n'est pas fondé à se prévaloir, à l'encontre de la décision prononçant son assignation à résidence, de l'illégalité de la décision ordonnant son transfert aux autorités allemandes.

12. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes a annulé son arrêté du 19 juillet 2022 par lequel il a décidé le transfert de M. C... A... aux autorités allemandes, responsables de l'examen de sa demande d'asile, ainsi que l'arrêté du même jour par lequel il l'a assigné à résidence.

Sur les frais liés au litige :

13. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme demandée par M. C... A... au titre des frais liés au litige.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Rennes du 25 juillet 2022 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. C... A... devant le tribunal administratif de Rennes et ses conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié M. C... A..., à Me Thebault et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Une copie en sera transmise pour information au préfet d'Ille-et-Vilaine.

Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.

Le rapporteur,

L. B...

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT02606


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT02606
Date de la décision : 16/12/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : THEBAULT

Origine de la décision
Date de l'import : 18/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-12-16;22nt02606 ?
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