Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
La société par actions simplifiée (SAS) Pain Concept a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 septembre 2017 par laquelle le ministre de l'économie, des finances et de la relance a rejeté son recours hiérarchique formé contre la décision du 9 mai 2017 de la directrice départementale de la protection des populations de la Vendée, ainsi que cette dernière décision, en tant qu'elles lui enjoignent de " supprimer sur tous les étiquetages et de toutes les publicités des références " nature ", " complet ", " céréales ", " muesli et fruits " de sa gamme de pain de mie " Toastiligne ", l'allégation " Toastiligne " et toute allégation ayant le même sens pour le consommateur, les allégations
" 0% de matières grasses ajoutées, Toastiligne contient 0% de matière grasses ajoutées, sans matières grasses " et toutes celles ayant le même sens pour le consommateur (sans huile de colza) ".
Par un jugement n° 1709750 du 10 décembre 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé ces décisions du 9 mai 2017 et du 6 septembre 2017 en tant qu'elles enjoignent à la SAS Pain Concept de supprimer la dénomination " Toastiligne " sur tous les étiquetages et de toutes les publicités des références " nature ", " complet ", " céréales ", " muesli et fruits " de cette gamme de pain de mie (article 1er), a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative (article 2) et a rejeté le surplus des conclusions de la SAS Pain Concept (article 3).
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 février 2022 et le 4 août 2022, le ministre de l'économie, des finances et de la relance demande à la cour :
1°) d'annuler les articles 1er et 2 du jugement du tribunal administratif de Nantes du 10 décembre 2021 ;
2°) d'enjoindre à la SAS Pain Concept de rembourser la somme perçue au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;
3°) de rejeter la demande de la SAS Pain Concept.
Il soutient que :
- la marque " Toastiligne " constitue une allégation de santé au sens de l'article 1er, de l'article 2 et de l'article 13 du règlement (CE) n°1924/2006 en ce qu'elle fait référence à un effet bénéfique sur le poids et son contrôle ; cette gamme de pain de mie emploie également à cette fin sur son étiquetage des allégations nutritionnelles notamment sur la teneur en sucres ou en matières grasses plus faibles propre aux produits visant à aider au contrôle du poids et de la silhouette ; il apparaît aussi sur le site commercial de la société une silhouette de femme mince ainsi que les affirmations " garder la ligne ", " tout est permis " et " ne culpabilisez plus en mangeant vos tartines " ; de même, le graphisme et les mentions utilisés par la société, quand bien même certaines ne seraient plus utilisées, ont laissé croire au consommateur à un effet sur le poids ; ces mentions, qu'elles soient présentes ou non sur l'emballage des produits, font partie de la communication globale de la société ;
- la compréhension de cette allégation doit être appréciée au regard du standard du consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé au sens du considérant 15 du règlement (CE) n°1924/2006 ; ce dernier est amené à croire qu'il acquiert du pain de mie à l'effet bénéfique pour la ligne, entendu pour son poids et sa silhouette ;
- les produits en cause sont rattachés à deux noms de gammes par la société, à savoir " pain équilibre " et " Toastiligne " et le premier nom aurait suffi à décrire l'effet sur l'équilibre nutritionnel ; le cumul des deux noms montre la confusion volontaire de la société sur l'effet des produits ;
- les décisions de l'Institut national de la propriété industrielle ne le lient pas et la direction départementale de la protection des populations de la Vendée reste libre de vérifier le caractère licite des allégations de santé en fonction de leur usage et du contexte commercial ;
- la procédure engagée à l'encontre de la SAS Pain Concept ne méconnait pas le droit des marques ;
- il reprend en outre l'ensemble de ses écritures devant le tribunal administratif de Nantes.
Par un mémoire en défense et un mémoire complémentaire, enregistrés le 9 mai 2022 et le 30 septembre 2022, la SAS Pain Concept, représentée par Me Cazaux, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Elle fait valoir que :
- les moyens soulevés par le ministre de l'économie, des finances et de la relance ne sont pas fondés ;
- le principe de confiance légitime s'oppose à ce que l'administration puisse remettre en cause sa situation dont elle a déjà contrôlé sa conformité au regard des règles communautaires s'agissant des produits de la gamme " Toastiligne " en juin 2011 ;
- l'administration a méconnu le principe du contradictoire en ce qu'elle n'a pu faire valoir utilement ses observations sur le grief retenu à son encontre et contester ainsi la qualification d'allégation de santé retenue par la direction départementale de la protection des populations de la Vendée ;
- l'Institut national de la propriété industrielle a vérifié, lors du dépôt de la marque verbale " Toastiligne " le 31 octobre 2016 et de la marque semi-figurative le 14 octobre 2005, renouvelée le 5 février 2016, si elle ne constitue pas une allégation nutritionnelle ou de santé prohibée par le règlement (CE) n°1924/2006 ; cet enregistrement lui confère un droit de propriété au sens des articles 2 et 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et de l'article 544 du code civil, protégé par l'article 1er du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; l'administration porte atteinte à son droit de propriété.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 ;
- le code de la consommation ;
- la décision du 6 septembre 2012 de la Cour de justice de l'Union européenne dans l'affaire C-544/10 ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme A...,
- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,
- et les observations de Me Cazaux, représentant la SAS Pain Concept.
Considérant ce qui suit :
1. A la suite d'un contrôle des allégations nutritionnelles et de santé formulées sur les denrées alimentaires, initié le 20 janvier 2017, la directrice départementale de la protection des populations de la Vendée a formulé plusieurs observations puis enjoint à la société par actions simplifiée (SAS) Pain Concept, sur le fondement de l'article L. 521-1 du code de la consommation, par décision du 9 mai 2017, de mettre en conformité avec la règlementation en vigueur, dans un délai de deux mois, l'étiquetage et la publicité des références " nature ", " complet ", " céréales " et " muesli et fruits " de sa gamme de pain de mie " Toastiligne " en supprimant notamment la dénomination " Toastiligne " et toute allégation ayant le même sens pour le consommateur. Par courrier du 11 juillet 2017, la SAS Pain Concept a formé à l'encontre de cette décision un recours hiérarchique, qui a été rejeté par une décision du ministre de l'économie, des finances et de la relance du 6 septembre 2017. Le ministre relève appel des articles 1er et 2 du jugement du 10 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a annulé ces deux décisions en tant qu'elles enjoignent à la SAS Pain Concept de supprimer la dénomination " Toastiligne " et a mis à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais liés au litige.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Aux termes du considérant 15 du règlement (CE) n° 1924/2006 du Parlement européen et du Conseil du 20 décembre 2006 concernant les allégations nutritionnelles et de santé portant sur les denrées alimentaires : " (...) / Conformément au principe de proportionnalité, et en vue de permettre l'application effective des mesures de protection qui y sont prévues, le présent règlement prend comme critère d'évaluation le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé, compte tenu des facteurs sociaux, culturels et linguistiques, selon l'interprétation de la Cour de justice,(...) ". Aux termes de l'article 1er du même règlement : " (...) / 3. La marque de fabrique, le nom commercial (...) qui peuvent être considérés comme une allégation nutritionnelle ou de santé peuvent être utilisés sans être soumis aux procédures d'autorisation prévues par le présent règlement, à condition que cet étiquetage, (...) comporte également une allégation nutritionnelle ou de santé correspondante qui est conforme aux dispositions du présent règlement. / (...) ". Aux termes de l'article 2 du même règlement : " (...) / 2. 1) "allégation": tout message ou toute représentation, non obligatoire en vertu de la législation communautaire ou nationale, y compris une représentation sous la forme d'images, d'éléments graphiques ou de symboles, quelle qu'en soit la forme, qui affirme, suggère ou implique qu'une denrée alimentaire possède des caractéristiques particulières ; / (...) / 5) " allégation de santé ": toute allégation qui affirme, suggère ou implique l'existence d'une relation entre, d'une part, une catégorie de denrées alimentaires, une denrée alimentaire ou l'un de ses composants et, d'autre part, la santé ; / (...) ". Aux termes de l'article 3 du même règlement : " Des allégations nutritionnelles et de santé ne peuvent être employées dans l'étiquetage et la présentation des denrées alimentaires mises sur le marché communautaire ainsi que dans la publicité faite à l'égard de celles-ci que si elles sont conformes aux dispositions du présent règlement. / (...) les allégations nutritionnelles et de santé ne doivent pas : / a) être inexactes, ambiguës ou trompeuses ; / (...). ". Aux termes de l'article 6 du même règlement : " 1. Les allégations nutritionnelles et de santé reposent sur des données scientifiques généralement admises et sont justifiées par de telles données. / (...) ". Aux termes de l'article 10 du même règlement : " 1. Les allégations de santé sont interdites sauf si elles sont conformes aux prescriptions générales du chapitre II et aux exigences spécifiques du présent chapitre et si elles sont autorisées conformément au présent règlement et figurent sur les listes d'allégations autorisées visées aux articles 13 et 14. / (...) / 3. Il ne peut être fait référence aux effets bénéfiques généraux, non spécifiques d'un nutriment ou d'une denrée alimentaire sur l'état de santé général et le bien-être lié à la santé que si une telle référence est accompagnée d'une allégation de santé spécifique figurant sur les listes visées à l'article 13 ou 14. / (...) ". Enfin, l'article 13 de ce règlement, concernant les allégations de santé autres que celles faisant référence à la réduction du risque de maladie énonce : " 1. Les allégations de santé qui décrivent ou mentionnent a) le rôle d'un nutriment ou d'une autre substance dans la croissance, dans le développement et dans les fonctions de l'organisme, ou b) les fonctions psychologiques et comportementales, ou c) sans préjudice de la directive 96/8/CE, l'amaigrissement, le contrôle du poids, la réduction de la sensation de faim, l'accentuation de la sensation de satiété ou la réduction de la valeur énergétique du régime alimentaire, et qui figurent dans la liste prévue au paragraphe 3 peuvent être faites sans être soumises à la procédure d'autorisation établie par les articles 15 à 18, si elles : i) reposent sur des données scientifiques généralement admises, et ii) sont bien comprises par le consommateur moyen. / (...) ".
3. Ainsi que l'a jugé la Cour de justice de l'Union européenne dans son arrêt C- 544/10 du 6 septembre 2012 au point 34, une " allégation de santé ", au sens du point 5 du paragraphe 2 de l'article 2 du règlement (CE) nº 1924/2006, est définie à partir de la relation qui doit exister entre une denrée alimentaire ou l'un de ses composants, d'une part, et la santé, d'autre part, cette définition ne fournissant aucune précision ni quant au caractère direct ou indirect que doit revêtir cette relation ni quant à son intensité ou à sa durée, avec la conséquence que le terme " relation " doit être compris d'une manière large. Ainsi, d'une part, la notion d'" allégation de santé " doit viser non seulement une relation impliquant une amélioration de l'état de santé grâce à la consommation d'une denrée alimentaire, mais également toute relation qui implique l'absence ou la réduction des effets négatifs ou nocifs pour la santé qui accompagnent ou suivent, dans d'autres cas, une telle consommation et, partant, la simple préservation d'un bon état de santé malgré ladite consommation potentiellement préjudiciable. D'autre part, la notion d'" allégation de santé " est réputée viser non seulement les effets d'une consommation ponctuelle d'une quantité précise d'une denrée alimentaire, susceptible d'entraîner normalement des effets seulement temporaires et passagers, mais également ceux d'une consommation répétitive, régulière, voire fréquente, d'une telle denrée alimentaire, dont, en revanche, les effets ne sont pas nécessairement seulement temporaires et passagers. En outre, ainsi que l'énonce le paragraphe 3 de l'article 1er du règlement (CE) nº 1924/2006, une marque de fabrique ou un nom commercial ainsi, du reste, qu'une dénomination de fantaisie, apparaissant dans l'étiquetage ou dans la présentation d'une denrée alimentaire peuvent constituer une " allégation de santé ".
4. Le nom commercial " Toastiligne ", tel que déposé à l'Institut national de la propriété industrielle en qualité de marque verbale le 31 octobre 2016 et de marque semi-figurative le 14 octobre 2005, renouvelée le 5 février 2016, n'implique aucune amélioration de l'état de santé grâce à la consommation de la denrée alimentaire, pas davantage l'absence d'effets négatifs ou nocifs pour la santé qui accompagneraient une telle consommation et ne contient aucune référence, directe ou indirecte à la santé, et notamment à un effet sur le contrôle du poids alors au demeurant que les produits vendus ne sont pas des produits de régime. Aucun slogan complémentaire n'est d'ailleurs apposé à cet effet sur l'emballage. La marque se borne à renvoyer à une impression de bien-être général par une nutrition équilibrée, qui est d'ailleurs indiquée également sur l'emballage des produits sous les mentions " bien-être au quotidien " et " la recette du pain de mie toastiligne vous permet de suivre les objectifs du programme national nutrition santé et d'atteindre un meilleur équilibre nutritionnel ", ainsi que par l'emploi d'allégations nutritionnelles qui ont fait l'objet de modifications à la suite du contrôle initié le 20 janvier 2017. Dans ces conditions, cette dénomination ne peut produire chez le consommateur moyen normalement informé et raisonnablement attentif et avisé l'impression que la consommation de la denrée alimentaire est bénéfique pour la santé en favorisant le contrôle de son poids. La circonstance que le site internet de la société ait indiqué que " la Boulangère aussi sait garder la ligne et prendre soin d'elle ! Maintenant tout est permis avec les pains Equilibre La Boulangère et ne culpabilisez plus en mangeant vos tartines " est sans incidence à cet égard. La marque " Toastiligne " n'entre donc pas dans le champ d'application matériel du règlement (CE) n° 1924/2006 au titre d'" allégation de santé ", contrairement à ce que soutient le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique.
5. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions du 9 mai 2017 et du 6 septembre 2017 en tant qu'elles enjoignent à la SAS Pain Concept de supprimer l'allégation " Toastiligne " sur tous les étiquetages et de toutes les publicités des références " nature ", " complet ", " céréales ", " muesli et fruits " de cette gamme de pain de mie et a mis à sa charge la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Sur les frais liés au litige :
6. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à la société Pain Concept d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
DECIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à la SAS Pain Concept au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique et à la SAS Pain Concept.
Délibéré après l'audience du 29 novembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Lainé, président de chambre,
- M. Derlange, président assesseur,
- Mme Chollet, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe le 16 décembre 2022.
La rapporteure,
L. A...
Le président,
L. LAINÉ
La greffière,
S. LEVANT
La République mande et ordonne au ministre de l'économie, des finances et de la souveraineté industrielle et numérique en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 22NT00360