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25/11/2022 | FRANCE | N°21NT02662

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 25 novembre 2022, 21NT02662


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... D... et Mme F..., agissant tant en leurs noms personnels qu'en tant que représentants légaux des jeunes I... A... B..., H... A... B... et G... A... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 janvier 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 20 juillet 2020 des autorités consulaires françaises à Nairobi (Kenya) refusant de délivrer aux jeunes I... A

... B..., H... A... B... et G... A... B... des visas d'entrée et de long sé...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... D... et Mme F..., agissant tant en leurs noms personnels qu'en tant que représentants légaux des jeunes I... A... B..., H... A... B... et G... A... B..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 6 janvier 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 20 juillet 2020 des autorités consulaires françaises à Nairobi (Kenya) refusant de délivrer aux jeunes I... A... B..., H... A... B... et G... A... B... des visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.

Par un jugement n° 2101917 du 26 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours en tant qu'elle concernait la jeune I... A... B..., a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à celle-ci le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour retard, et a rejeté le surplus des conclusions de leur demande en tant qu'elles concernaient les jeunes H... A... B... et G... A... B....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire complémentaire, enregistrés le 24 septembre 2021 et le 3 janvier 2022, M. A... B... D... et Mme F..., agissant tant en leurs noms personnels qu'en tant que représentants légaux des jeunes H... A... B... et G... A... B..., représentés par Me Pollono, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 juillet 2021 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande en ce qu'elles concernent les jeunes H... A... B... et G... A... B... ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 6 janvier 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a rejeté le recours formé contre les refus de visa opposés aux jeunes H... A... B... et G... A... B... ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer aux jeunes H... A... B... et G... A... B... les visas sollicités, dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer leurs demandes de visa, dans le même délai, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme globale de 1 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée de la commission de recours n'a pas été prise à l'issue d'un examen sérieux de leur situation, ainsi qu'en témoigne l'absence de prise en compte des éléments de possession d'état ;

- elle méconnait l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 novembre 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il déclare renoncer, comme en première instance, au motif retenu par la commission de recours, tiré d'une réunification familiale partielle, et fait valoir, pour le reste, qu'aucun des moyens soulevés n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C...,

- et les observations de Me Pollono, représentant M. B... D... et Mme E....

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B... D..., ressortissant somalien né le 1er octobre 1982, a obtenu, par une décision du 19 mars 2011 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, le bénéfice de la protection subsidiaire en France. Il est marié, depuis 2003, avec Mme F..., ressortissante somalienne née le 10 octobre 1984. Le 18 avril 2019, les enfants I... A... B..., H... A... B... et G... A... B..., ressortissants somaliens nés respectivement le 8 août 2004, le 20 octobre 2005 et le 1er février 2007, et qui se présentent comme les enfants de M. B... D... et de Mme E..., ont sollicité auprès de l'ambassadeur de France au Kenya la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 29 juillet 2020, l'ambassadeur de France a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Le 31 août suivant, M. B... D... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 7 janvier 2021, la commission de recours a confirmé les refus de visas opposés aux enfants. Par un jugement du 26 juillet 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission de recours en tant qu'elle concerne la jeune I... A... B..., a enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à celle-ci le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour retard, et a rejeté le surplus des conclusions de la demande en ce qu'elles concernent les jeunes H... A... B... et G... A... B.... M. B... D... et Mme E... relèvent appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de leur demande.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. En premier lieu, d'une part, aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asiler : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ou le bénéficiaire ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un réfugié statutaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le réfugié.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code civil, dans sa rédaction alors applicable, dispose, par ailleurs, que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus de visa opposés aux jeunes H... A... B... et G... A... B... au motif que leurs certificats de naissance avaient été établis tardivement, respectivement treize et onze ans après leur naissance, et sept ans après l'octroi du bénéfice de la protection subsidiaire à M. B... D... et, au surplus, qu'aucune demande de visa d'entrée et de long séjour en France n'avait pas été présentée pour l'un des quatre enfants du couple, rompant ainsi le principe d'unité de la famille.

5. Pour justifier de leur identité et du lien de filiation les unissant à M. B... D... et à Mme E..., les jeunes H... A... B... et G... A... B... ont chacun produit à l'appui de leur demande de visa la copie d'un certificat de naissance ainsi que la copie de leur passeport. Ces certificats de naissance, qui ont été tous deux dressés le 8 décembre 2018 par les autorités municipales de Mogadiscio (Somalie), énoncent qu'ils sont nés respectivement le 20 octobre 2005 et le 1er février 2007, et qu'ils sont issus de la relation de M. A... B... et de Mme E.... Ces mentions sont concordantes avec celles figurant sur leur passeport respectif et correspondent aux déclarations faites par M. A... B... lors de son audition à l'Office français de protection des réfugiés et apatrides au sujet de sa situation familiale. La circonstance que ces certificats de naissance ont été établis tardivement, plusieurs années après les événements qu'ils relatent, pour les besoins de la procédure de réunification familiale, n'est pas, par elle-même, de nature à en établir le caractère frauduleux. Si le ministre de l'intérieur relève, s'agissant de la jeune G... A... B..., que le numéro de série mentionné sur son certificat de naissance produit à l'appui de sa demande de visa diffère de celui indiqué sur un autre certificat de naissance produit à l'appui du recours contentieux, il ressort, toutefois, des pièces du dossier, et notamment d'un courrier du 4 juillet 2021 des autorités somaliennes, que cette différence de numéro s'explique par la délivrance à l'intéressée d'un nouveau certificat de naissance et que la pratique consistant à attribuer un nouveau numéro de série à chaque nouveau certificat délivré est conforme au système d'état civil somalien. Par ailleurs, il ressort des pièces du dossier que l'erreur matérielle relevée par le ministre, affectant une mention pré-imprimée du modèle de certificat de naissance utilisé pour les intéressés, est imputable à un dysfonctionnement du service de l'état civil somalien. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que les documents produits par les jeunes H... A... B... et G... A... B... étaient dépourvus de valeur probante et ne permettaient pas d'établir leur identité et leur lien de filiation avec M. B... D... et en refusant de leur délivrer, pour ce motif, les visas sollicités.

6. En second lieu, le ministre de l'intérieur abandonne, comme en première instance, l'autre motif de la décision contestée, tirée de la méconnaissance du principe d'unité de la famille.

7. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que M. B... D... et Mme E... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté le surplus des conclusions de leur demande en ce qu'elles concernent les jeunes H... A... B... et G... A... B....

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

8. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance des visas sollicités aux jeunes H... A... B... et G... A... B.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur et des outre-mer d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.

Sur les frais liés à l'instance :

9. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme globale de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. B... D... et Mme E... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 26 juillet 2021 est annulé en tant qu'il a rejeté le surplus des conclusions de la demande de M. A... B... D... et Mme F... tendant, d'une part, à l'annulation de la décision du 6 janvier 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en ce qu'elle rejette les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour les jeunes H... A... B... et G... A... B..., et, d'autre part, à ce qu'il soit enjoint, sous astreinte, au ministre de l'intérieur de leur délivrer les visas sollicités.

Article 2 : La décision du 6 janvier 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est annulée en tant qu'elle rejette les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour les jeunes H... A... B... et G... A... B....

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur et des outre-mer de délivrer aux jeunes H... A... B... et G... A... B... des visas d'entrée et de long séjour en France dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir.

Article 4 : L'Etat versera à M. B... D... et à Mme E... une somme globale de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B... D..., à Mme F... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 8 novembre 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Buffet, présidente de chambre,

- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,

- M. Le Brun, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 25 novembre 2022.

Le rapporteur,

Y. C...

La présidente,

C. BUFFET

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02662


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02662
Date de la décision : 25/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BUFFET
Rapporteur ?: M. Yann LE BRUN
Rapporteur public ?: Mme BOUGRINE
Avocat(s) : CABINET POLLONO

Origine de la décision
Date de l'import : 04/12/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-25;21nt02662 ?
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