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18/11/2022 | FRANCE | N°21NT02865

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 18 novembre 2022, 21NT02865


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite du préfet des Côtes-d'Armor rejetant sa demande d'indemnisation reçue le 10 octobre 2018 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 846 911, 86 euros toutes taxes comprises correspondant au coût des travaux de remise en état du centre hélio-marin de Plérin à laquelle elle a été condamnée par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, assortie du taux d'inté

rêt au taux légal.

Par un jugement n° 1806164 du 16 août 2021, le tribunal a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF) a demandé au tribunal administratif de Rennes d'annuler la décision implicite du préfet des Côtes-d'Armor rejetant sa demande d'indemnisation reçue le 10 octobre 2018 et de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 846 911, 86 euros toutes taxes comprises correspondant au coût des travaux de remise en état du centre hélio-marin de Plérin à laquelle elle a été condamnée par le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, assortie du taux d'intérêt au taux légal.

Par un jugement n° 1806164 du 16 août 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 13 octobre 2021 et le 16 novembre 2021, la MAIF, représentée par Me Fergon, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Rennes du 16 août 2021 ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 1 798 270, 90 euros toutes taxes comprises, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 10 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les ouvrages sinistrés lors d'une violente tempête le 28 février 2010 sur la commune de Plérin en deux endroits du site littoral où se situe le centre héliomarin sont des dépendances du domaine public maritime en application de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ; ainsi, le mur sinistré, situé en limite de la propriété privée de l'association Objectif Handicap Solidarités, devenu Altygo, et de la plage publique de Saint Laurent de la Mer trouve sa base immergée dans la mer à chaque marée car la banquette sur laquelle il repose est elle-même recouverte par les flots ; bien que le mur et la banquette soient physiquement distincts, ils constituent un ensemble cohérent de défense contre la mer, baignés par la mer et soumis à l'action des flots ; il s'agit d'une domanialité horizontale qui s'ajoute à l'indissociabilité mentionnée à l'article L. 2111-2 du code général de la propriété des personnes publiques ; en tout état de cause, le mur fait fonction de digue au sens du I de l'article L. 566-12-1 du code de l'environnement ; ces ouvrages ne sauraient être à la charge des riverains, même s'ils en profitent ;

- de même, la falaise sinistré est baignée par la mer ce qui caractérise une dépendance du domaine public maritime et a été victime d'un phénomène d'érosion maritime qui trouve son origine à sa base ; l'entretien normal de la falaise consiste à en conserver la stabilité pour éviter qu'il ne soit porté atteinte à l'intégrité du fond dominant par un effet de sape de soubassement ; les propriétaires privés ne sauraient être condamnés à réparer la falaise ; la continuité de l'érosion de la falaise est due à des évènements météorologiques en l'absence de travaux d'entretien utile ; ce défaut d'entretien du domaine public est à l'origine de l'affaissement de la partie supérieure de la falaise ;

- l'Etat doit être condamné à garantir la MAIF des sommes mises à sa charge pour la remise en état des zones sinistrées en raison du défaut d'entretien du domaine public et de son rôle dans la réalisation du litige, que la zone sinistrée soit une dépendance du domaine public maritime, ou qu'elle soit une propriété privée sinistrée par la faute du domaine public maritime situé en aval qui en est le soubassement indispensable, notamment au regard de l'article L. 562-8-1 du code de l'environnement ; la nécessité d'une défense contre la mer aurait dû être constatée par l'Etat et sa carence est fautive.

Par un mémoire en défense, enregistré le 1er juin 2022, la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la Mutuelle assurance des instituteurs de France ne sont pas fondés ; ainsi, le mur, qui a une fonction de soutènement de la propriété du centre hélio-marin, est dissociable de la banquette de béton située en contrebas qui a une fonction de digue et ne peut être regardé comme un ouvrage public en l'absence d'affectation à une activité de service public, quand bien même il appartiendrait au domaine public ; à supposer même que l'Etat ait été tenu d'entretenir le mur, son effondrement a été principalement causé par l'épisode de pluie intense du 28 février 2010 et non par un défaut d'entretien ; il n'y a donc pas de lien de causalité entre une faute de l'Etat et le préjudice invoqué ; l'ensemble de la falaise n'appartient pas au domaine public maritime en vertu de l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques ; en tout état de cause, la falaise ne peut être qualifiée d'ouvrage public faute d'aménagement et l'Etat n'avait donc pas l'obligation d'entreprendre des travaux pour la stabiliser ou la protéger de l'assaut des flots ; la cause prépondérante de l'éboulement de la falaise est l'épisode de pluie exceptionnelle et, en l'absence de faute de l'Etat et à défaut de lien de causalité entre le préjudice subi et le rôle joué par l'Etat, sa responsabilité ne saurait être engagée ; elle reprend également l'ensemble des motifs développés par le préfet des Côtes-d'Armor devant le tribunal administratif de Rennes.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général de la propriété des personnes publiques ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Fergon, représentant la Mutuelle assurance des instituteurs de France.

Considérant ce qui suit :

1. L'association de l'œuvre d'hygiène sociale des Côtes d'Armor, devenu ultérieurement Objectif Handicap Solidarités puis Altygo, exploite, en surplomb de la plage des Nouelles de Saint-Laurent, un centre de rééducation fonctionnelle, dénommé centre hélio-marin, situé à Plérin. L'assureur de l'association pour le centre hélio-marin est la Mutuelle assurance des instituteurs de France (MAIF). Le 28 février 2010, à l'occasion de la tempête " Xynthia ", une partie du mur de soutien du terrain d'assiette du centre hélio-marin construit en bordure de la plage de Plérin et une partie de la falaise surplombant la plage se sont effondrées. L'association a déclaré le sinistre auprès de son assureur le 4 mars suivant. En janvier 2012, la MAIF a effectué une proposition d'indemnisation à son assurée. Insatisfaite du montant proposé qui ne prenait pas en compte les dommages résultant de l'éboulement de la falaise, l'association Objectif Handicap Solidarité a saisi le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc, lequel a procédé à la désignation d'un expert. Ce dernier a rendu son rapport le 21 octobre 2015. Par un jugement du 26 septembre 2016, le tribunal de grande instance de Saint-Brieuc a condamné la MAIF à indemniser l'association, au titre de la garantie du risque de catastrophe naturelle, pour les préjudices résultant de l'effondrement du mur de soutènement et de la falaise supportant la voirie desservant le bâtiment Nord du centre hélio-marin. Par un arrêt du 18 décembre 2019, la cour d'appel de Rennes, saisie par la MAIF, a confirmé la condamnation de l'assureur à indemniser l'association Altygo des désordres résultant de l'effondrement du mur de soutènement et de l'éboulement de la falaise et de la voirie. Néanmoins, par un arrêt du 24 mars 2021, la première chambre civile de la Cour de cassation a cassé et annulé toutes les dispositions de l'arrêt de la cour d'appel de Rennes et renvoyé l'affaire à la cour d'appel de Caen.

2. Parallèlement à cette procédure, par un courrier du 9 octobre 2018, la MAIF a demandé au préfet des Côtes-d'Armor de l'indemniser des sommes qu'elle a versées pour l'exécution du jugement du 26 septembre 2016, à hauteur de 1 770 101,72 euros. Le préfet n'ayant pas répondu à cette demande, la MAIF a demandé au tribunal administratif de Rennes la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 846 911,86 euros correspondant au montant de la garantie mise à sa charge par l'arrêt de la cour d'appel de Rennes du 18 décembre 2019. Par son jugement n° 1806164 du 16 août 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande. La MAIF relève appel de ce jugement et demande la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 1 798 270, 90 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la réclamation préalable.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En premier lieu, l'article L. 2111-4 du code général de la propriété des personnes publiques dispose que : " Le domaine public maritime naturel de L'Etat comprend : / 1° Le sol et le sous-sol de la mer entre la limite extérieure de la mer territoriale et, côté terre, le rivage de la mer. / Le rivage de la mer est constitué par tout ce qu'elle couvre et découvre jusqu'où les plus hautes mers peuvent s'étendre en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles ; / 2° Le sol et le sous-sol des étangs salés en communication directe, naturelle et permanente avec la mer ; / 3° Les lais et relais de la mer : / a) Qui faisaient partie du domaine privé de l'Etat à la date du 1er décembre 1963, sous réserve des droits des tiers ; / b) Constitués à compter du 1er décembre 1963. (...) / Les terrains soustraits artificiellement à l'action du flot demeurent compris dans le domaine public maritime naturel sous réserve des dispositions contraires d'actes de concession translatifs de propriété légalement pris et régulièrement exécutés ". Par ailleurs l'article L. 2111-6 du même code dispose que : " Le domaine public maritime artificiel est constitué : / 1° Des ouvrages ou installations appartenant à une personne publique mentionnée à l'article L. 1, qui sont destinés à assurer la sécurité et la facilité de la navigation maritime ; / 2° A l'intérieur des limites administratives des ports maritimes, des biens immobiliers, situés en aval de la limite transversale de la mer, appartenant à l'une des personnes publiques mentionnées à l'article L. 1 et concourant au fonctionnement d'ensemble des ports maritimes, y compris le sol et le sous-sol des plans d'eau lorsqu'ils sont individualisables ".

4. Par un arrêt n°22NT01246 du 13 juillet 2022, devenu définitif, la cour, saisie d'une question préjudicielle sur le fondement de l'article 49 du code de procédure civile par la cour d'appel de Caen par un arrêt du 8 mars 2022, a jugé, d'une part, que le mur de soutien du terrain d'emprise du centre hélio-marin de Plérin, qui constitue un ouvrage distinct de la banquette en béton, n'était pas implanté sur une parcelle du domaine public maritime en février 2010, date du sinistre, au sens et pour application des articles L. 2111-4 et L. 2111-6 du code général de la propriété des personnes publiques, d'autre part, que la falaise au nord de la plage des Nouelles au niveau des bâtiments nord du centre hélio-marin, qui n'est pas recouverte par les plus hautes mers en l'absence de perturbations météorologiques exceptionnelles et ne peut être regardée comme un lais ou relais de la mer, ne relève pas non plus du domaine public maritime. Par suite, la MAIF n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat, en sa qualité de propriétaire du domaine public maritime, devrait être engagée pour défaut d'entretien du mur de soutien et de la falaise, qui n'appartiennent pas au domaine public maritime.

5. En second lieu, en vertu de l'article L. 562-1 du code de l'environnement, l'Etat élabore et met en application des plans de prévention des risques naturels prévisibles, en particulier pour les inondations et les tempêtes, qui ont notamment pour objet de délimiter les zones exposées aux risques, en tenant compte de leur nature et de leur intensité, d'y interdire les constructions ou la réalisation d'aménagements ou d'ouvrages ou de prescrire les conditions dans lesquelles ils doivent être réalisés, utilisés ou exploités. Aux termes de l'article L. 562-8-1 du même code : " (...) / La responsabilité d'un gestionnaire d'ouvrages ne peut être engagée à raison des dommages que ces ouvrages n'ont pas permis de prévenir dès lors que les obligations légales et réglementaires applicables à leur conception, leur exploitation et leur entretien ont été respectées. / (...) ".

6. La MAIF soutient que le mur de soutien et la falaise ont été sinistrés en l'absence d'entretien du domaine public maritime situé en aval qui en est le soubassement indispensable, notamment au regard de l'article L. 562-8-1 du code de l'environnement, et que la nécessité d'une défense contre la mer aurait dû être constatée par l'Etat. Elle précise que l'examen des événements météorologiques passés qui contribuent à attaquer le trait de côté aurait justifié des campagnes de travaux de confortement, notamment de la banquette ou digue sur laquelle repose le mur de soutènement partiellement effondré. Toutefois, il résulte de l'instruction, notamment du Plan de Prévention des risque littoraux et d'inondation (PPRI) élaboré le 29 avril 2015 concernant le site de Plérin, sur demande du préfet par arrêté du 14 octobre 2011, que les événements contemporains de référence dont il s'agit, qui ont eu lieu en février 1990, octobre 1993, février 1996 et décembre 1999 et qualifiés d' " inondations et chocs mécaniques liés à l'action des vagues, glissements ", n'ont donné lieu à la rédaction d'aucun plan de prévention des risques ni à aucune étude des dangers des ouvrages pour le compte des services de l'Etat avant la tempête du 28 février 2010. Il ne résulte en outre pas de l'instruction que la plage des Nouelles de Saint-Laurent ait été particulièrement exposée à ces quatre événements ni que les risques liés aux phénomènes naturels étaient connus de l'Etat dans toute leur étendue ou auraient dû l'être en fonction des connaissances disponibles et auraient pu être mieux prévenus. Il en résulte que l'Etat n'a pas sous-évalué les risques d'effondrement du mur du soutien et d'éboulement de la falaise et sa responsabilité ne peut être engagée du fait d'une carence à entretenir les ouvrages, tels que la banquette en béton susmentionnée, destinés à protéger le littoral de l'action des flots. Par ailleurs, la responsabilité de l'Etat en sa qualité de propriétaire ou gestionnaire du domaine public ne peut être utilement invoquée dès lors qu'aucune disposition législative ou règlementaire ni aucun principe ne met à sa charge une obligation générale d'entretien du domaine public maritime.

7. Au surplus, il résulte du rapport d'expertise établi le 21 octobre 2015 que tant l'effondrement du mur que l'éboulement de la falaise procèdent non d'un assaut des flots en pied de falaise mais, plus directement, des quantités de pluie exceptionnelles qui sont tombées le 28 février 2010. La pluviométrie relevée à l'occasion de cette tempête a entrainé l'accumulation d'une importante quantité d'eau dans le sol en amont. En l'absence d'un dispositif suffisant d'évacuation des eaux pluviales sur la parcelle du centre hélio-marin de Plérin, et en présence d'un mur de soubassement instable depuis sa conception et de la structure particulière de la falaise, cette eau a entrainé un basculement du mur et un éboulement de la falaise.

8. Il résulte de tout ce qui précède que la MAIF n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la MAIF, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la Mutuelle assurance des instituteurs de France est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à la Mutuelle assurance des instituteurs de France et au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Une copie en sera transmise au préfet des Côtes-d'Armor.

Délibéré après l'audience du 25 octobre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Derlange, président assesseur,

- Mme Chollet, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 18 novembre 2022.

Le rapporteur,

L. A...

Le président,

L. LAINÉ

Le greffier,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT02865


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02865
Date de la décision : 18/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Laure CHOLLET
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : SCP ARCO-LEGAL (PARIS)

Origine de la décision
Date de l'import : 27/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-11-18;21nt02865 ?
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