Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme E... B... épouse D... et M. C... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre la décision du 7 janvier 2020 des autorités consulaires françaises à Alger refusant un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant F....
Par un jugement n° 2011378 du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à l'enfant F... le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.
Procédure devant la cour :
Par une requête enregistrée le 8 juillet 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler le jugement du 10 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. et Mme D... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- le juge algérien ne s'est pas prononcé en fonction de l'intérêt de l'enfant ; l'administration n'est pas tenue de délivrer le visa sollicité et n'est pas dessaisie de son pouvoir d'appréciation ; il n'est pas dans l'intérêt de l'enfant de venir en France ;
- la décision contestée peut être également fondée sur les motifs tirés de ce que la décision judiciaire de kafala est périmée et de ce que la procédure de recueil légal a fait l'objet d'un détournement.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, Mme E... B... épouse D... et M. C... D..., représentés par Me Louafi Ryndina, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Ils soutiennent que les moyens soulevés par le ministre de l'intérieur ne sont pas fondés.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968, modifié ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. A... a été entendus au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. C... D..., titulaire en France d'un certificat de résidence algérien, et Mme E... B... épouse D..., de nationalité française, ont obtenu, par un acte de kafala dressé le 18 juin 2019, le droit de recueillir légalement leur nièce, F..., née le 28 mai 2019. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre le refus opposé par l'autorité consulaire française à Alger à la demande de délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à F.... Par un jugement du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité, dans un délai de deux mois à compter de la notification de ce jugement. Le ministre de l'intérieur relève appel de ce jugement.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre présenté en première instance, que pour refuser de délivrer le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur l'absence de ressources financières suffisantes de M. et Mme D... pour garantir des conditions de vie satisfaisantes à leur nièce, F..., qu'ils entendaient accueillir, ainsi que sur leur absence de relations affectives avec l'enfant.
3. L'intérêt d'un enfant est en principe de vivre auprès de la personne qui, en vertu d'une décision de justice qui produit des effets juridiques en France, est titulaire à son égard de l'autorité parentale. Ainsi, dans le cas où un visa d'entrée et de long séjour en France est sollicité en vue de permettre à un enfant de rejoindre un ressortissant français ou étranger qui a reçu délégation de l'autorité parentale dans les conditions qui viennent d'être indiquées, ce visa ne peut en règle générale, eu égard notamment aux stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention du 26 janvier 1990 relative aux droits de l'enfant, être refusé pour un motif tiré de ce que l'intérêt de l'enfant serait au contraire de demeurer auprès de ses parents ou d'autres membres de sa famille. En revanche et sous réserve de ne pas porter une atteinte disproportionnée au droit de l'intéressé au respect de sa vie privée et familiale, l'autorité chargée de la délivrance des visas peut se fonder, pour rejeter la demande dont elle est saisie, non seulement sur l'atteinte à l'ordre public qui pourrait résulter de l'accès de l'enfant au territoire national, mais aussi sur le motif tiré de ce que les conditions d'accueil de celui-ci en France seraient, compte tenu notamment des ressources et des conditions de logement du titulaire de l'autorité parentale, contraires à son intérêt.
4. Il ressort des pièces du dossier que l'acte de recueil légal, édicté par le juge aux affaires de famille du tribunal de M'Sila le 18 juin 2019, a délégué à M. et Mme D... l'autorité parentale sur l'enfant F..., notamment pour prendre à son égard toutes mesures utiles de prise en charge, d'entretien et d'éducation. M. et Mme D..., qui n'ont pas d'autre enfant à charge, justifient vivre dans un appartement de type T4 d'une surface de 82 m2 comportant trois chambres, ainsi que de revenus mensuels nets de plus de 2 000 euros au titre de l'activité professionnelle de Mme D..., agent public, et de M. D..., peintre en bâtiment. Par ailleurs, le ministre de l'intérieur et des outre-mer ne peut utilement soutenir qu'il n'existerait pas de liens affectifs entre les kafils et l'enfant, celui-ci étant en tout état de cause âgé de quelques mois à la date de la décision contestée. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pu légalement estimer que l'intérêt de l'enfant était de demeurer dans son pays d'origine, eu égard aux ressources de M. et Mme D....
5. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
6. Pour établir que la décision contestée était légale, le ministre a invoqué, dans sa requête d'appel, communiquée par la cour à M. et Mme D..., deux autres motifs tirés, d'une part, de ce que l'acte de recueil légal avait cessé, à la date de la décision contestée, de produire des effets en Algérie et donc en France et, d'autre part, de ce que M. et Mme D... ont détourné la procédure de délégation de l'autorité parentale.
7. D'une part, si le ministre de l'intérieur fait valoir qu'en application des articles 310 et 311 du code de procédure civile et administrative algérien, l'acte de kafala était " périmé " à la date de la demande de visa, faute pour les kafils de justifier avoir pris les mesures propres à son exécution dans les trois mois qui ont suivi son prononcé, il ne démontre pas que les dispositions qu'il invoque, qui concernent uniquement les ordonnances rendues sur requête, lesquelles revêtent un caractère provisoire, seraient applicables aux ordonnances gracieuses rendues en matière de kafala, dont il ressort des pièces du dossier que la procédure est régie par les articles 493 et suivants du même code.
8. D'autre part, si le ministre soutient que la procédure de recueil légal de l'enfant a fait l'objet d'un détournement, en ce que l'évaluation sociale effectuée par l'assistante sociale et l'éducatrice spécialisée de la direction des solidarités du département du Doubs a notamment relevé que M. et Mme D... ne peuvent avoir d'enfants, il n'établit pas la réalité de ses allégations par les seules pièces qu'il produit, alors qu'il n'est pas contesté que F... a été prise en charge par sa grand-mère paternelle puis par M. D... en Algérie en raison de ce que ses parents biologiques ne souhaitaient ou ne pouvaient pas subvenir à ses besoins.
9. Il suit de ce qui précède que la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.
10. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé, à la demande de M. et Mme D..., la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours dirigé contre la décision du 7 janvier 2020 des autorités consulaires françaises à Alger refusant un visa d'entrée et de long séjour à l'enfant F....
Sur les frais liés au litige :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme globale de 1 200 euros à verser M. et Mme D... d'au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme D... une somme globale de 1 200 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme E... B... épouse D..., à M. C... D... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 30 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Francfort, président de chambre,
- M. Rivas, président-assesseur,
- M. Frank, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 18 octobre 2022.
Le rapporteur,
A. A...Le président,
J. FRANCFORT
Le greffier,
C. GOY
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT01864