Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 9 juillet 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 2 décembre 2019 de l'ambassadeur de France à Conakry (Guinée) refusant de délivrer à Mme D... B... et à l'enfant Mamoudou A... des visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale.
Par un jugement n° 2009387 du 18 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et des mémoires enregistrés les 18 mai, 23 août, 16 et 30 septembre 2021, M. E... A..., représenté par Me Loubat, demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement du 18 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes ;
2°) d'annuler la décision du 9 juillet 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme D... B... et à l'enfant Mamoudou A... les visas sollicités dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 200 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le tribunal s'est fondé sur le mémoire en défense du ministre, et les pièces annexées à ce mémoire, pour écarter le moyen soulevé contre le motif du refus de visa opposé à l'enfant Mamoudou A..., alors que ce mémoire en défense a été produit après la clôture de l'instruction et n'a pas été soumis à la procédure contradictoire ;
- la décision du 9 juillet 2020 de la commission de recours est entachée d'une erreur d'appréciation.
Par un mémoire en défense enregistré le 23 août 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il fait valoir qu'aucun des moyens soulevés par M. A... n'est fondé.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. A..., ressortissant guinéen né le 3 octobre 1990, a obtenu, par une décision du 7 juin 2016 du directeur général de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, la reconnaissance de la qualité de réfugié en France. Le 22 février 2019, Mme D... B... et l'enfant Mamoudou A..., ressortissants guinéens nés respectivement le 20 juillet 1992 et le 3 avril 2008, et qui se présentent comme la concubine et le fils de M. A..., ont sollicité auprès de l'ambassade de France en Guinée et Sierra Léone la délivrance de visas d'entrée et de long séjour en France au titre de la réunification familiale. Par une décision du 2 décembre 2019, l'ambassadeur de France a refusé de leur délivrer les visas sollicités. Le 28 janvier 2020, M. A... a saisi la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Par une décision du 9 juillet 2020, la commission a rejeté ce recours. M. A... relève appel du jugement du 18 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I.- Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II.- Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. (...). ". Lorsque la venue d'une personne en France a été sollicitée au titre de la réunification des membres de la famille d'un réfugié statutaire, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère probant des actes d'état-civil produits pour justifier de l'identité et, le cas échéant, du lien familial de l'intéressé avec le réfugié.
3. D'autre part, l'article L. 111-6 du même code, alors en vigueur, prévoit que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". L'article 47 du code civil dispose que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française. ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
4. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.
En ce qui concerne Mme D... B... :
5. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé à Mme B... au motif que son acte de naissance présentait un caractère frauduleux et qu'il ne permettait pas, dès lors, d'établir son identité.
6. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son identité, Mme B... a produit, à l'appui de sa demande de visa, deux actes de naissance, l'un établi le 17 août 2018 en transcription d'un jugement supplétif rendu le 3 août 2018 par le juge de paix du tribunal de première instance de Mamou et l'autre établi le 28 janvier 2019 en transcription d'un jugement supplétif rendu le 8 janvier 2019 par le tribunal de première instance de Pita. Les énonciations que comportent ces documents quant à l'identité de Mme B... sont concordantes entre elles et correspondent, en outre, à celles figurant sur le passeport de l'intéressée ainsi qu'aux déclarations faites par M. A... au sujet de sa situation familiale à l'occasion de sa demande d'asile. Si le ministre fait valoir que les jugements supplétifs ont été rendus de manière opportune après la reconnaissance de la qualité de réfugié à M. A... et très tardivement après la naissance de Mme B..., sans que soit respecté le délai minimum de quarante-huit heures après le dépôt de la requête qu'exigerait l'article 49 du code guinéen de procédure civile, sans qu'aucune vérification préalable auprès de l'état civil guinéen n'ait été ordonnée et sur la seule base des déclarations de l'intéressée et que ces jugements ne comportent pas toutes les mentions obligatoires d'un acte de naissance alors qu'ils sont censés en suppléer l'absence, de telles circonstances ne sont pas, par elles-mêmes, de nature à en démontrer le caractère frauduleux. L'identité de Mme B... doit, dès lors, être tenue pour établie par ces jugements. Par suite, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application de dispositions précitées en estimant que l'identité de Mme B... n'était pas établie et en refusant de lui délivrer, pour ce motif, le visa sollicité.
En ce qui concerne l'enfant Mamoudou A... :
7. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé le refus de visa opposé à l'enfant Mamoudou A... au motif que son acte de naissance présentait un caractère frauduleux de sorte que son lien de filiation avec M. A... n'était pas établi.
8. Pour justifier de ce lien de filiation, M. A... verse, en appel, le jugement rendu le 9 juillet 2021 par le tribunal de première instance de Dixinn Conakry annulant, à la demande de Mme B..., l'acte de naissance de l'enfant initialement produit à l'appui de la demande de visa, ainsi que le jugement supplétif rendu le 13 septembre 2021 par le tribunal de première instance de Dixinn et un nouvel acte de naissance établi le 24 septembre 2021 par l'officier d'état civil de Dixinn en transcription de ce jugement. Le ministre n'établit ni même n'allègue que ces jugements seraient entachés de fraude. Dans ces conditions, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité de l'enfant Mamoudou A... et, partant, le lien de filiation l'unissant à M. A... n'étaient pas établis et en refusant de lui délivrer, pour ce motif, le visa sollicité.
9. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la régularité du jugement attaqué, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par ce jugement, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 9 juillet 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.
Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :
10. Eu égard à ses motifs, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance des visas sollicités à Mme B... et à l'enfant Mamoudou A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur d'y procéder dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction de l'astreinte demandée.
Sur les frais liés à l'instance :
11. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. A... et non compris dans les dépens.
D É C I D E :
Article 1er : Le jugement du 18 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes et la décision du 9 juillet 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à Mme B... et à l'enfant Mamoudou A... les visas d'entrée et de long séjour en France sollicités dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à M. A... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... A... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 20 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
Mme Buffet, présidente de chambre,
Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
M. Le Brun, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 octobre 2022.
Le rapporteur,
Y. C...
La présidente,
C. BUFFET
La greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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N° 21NT01339