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04/10/2022 | FRANCE | N°20NT03891

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 04 octobre 2022, 20NT03891


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 000 euros, majorée des " intérêts moratoires et composés ", au titre des préjudices nés du refus illégal de lui délivrer un visa de court séjour.

Par un jugement n° 1903103 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2019 et capitalisation.

Procédure devant la c

our :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2020 et 15 février 2021, Mm...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 000 euros, majorée des " intérêts moratoires et composés ", au titre des préjudices nés du refus illégal de lui délivrer un visa de court séjour.

Par un jugement n° 1903103 du 15 octobre 2020, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à lui verser une somme de 1 600 euros, avec intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2019 et capitalisation.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 14 décembre 2020 et 15 février 2021, Mme B... C..., représentée par Me Plateaux, demande à la cour :

1°) de réformer ce jugement du 15 octobre 2020 du tribunal administratif de Nantes en tant qu'il a limité à 1 600 euros l'indemnisation due par l'Etat ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 17 000 euros, majorée des " intérêts moratoires et composés ", au titre des préjudices nés du refus illégal de lui délivrer un visa de court séjour ;

3°) de mettre à la charge de l'État le versement de la somme de 1 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle a droit au versement de 6 000 euros au titre de ses troubles dans ses conditions d'existence du fait de l'illégalité des refus de visa sollicités nés de la multitude des procédures qu'elle a dû engager et de la violation de son droit à une vie privée et familiale ;

- elle sera indemnisée de 90 euros au titre des droits de timbre qu'elle a acquittés inutilement à l'appui de ses demandes de visa, de 115,26 euros au titre de ses frais d'assurance exposés vainement et de 153 euros au titre de frais de conversion de devises ;

- l'Etat lui versera 5 000 euros au titre de frais téléphoniques, dont 1 944,52 euros et 972,26 euros au titre de frais inutilement exposés d'achat de deux billets d'avion aller-retour ;

- elle sera indemnisée à hauteur de 1 000 euros de ses frais de conseil au titre de diligences précontentieuses ;

- elle sera indemnisée à hauteur de 4 250 euros de ses frais de conseil au titre de diligences contentieuses ;

- il lui sera versé 2 150 euros au titre des frais engagés au Cameroun (frais de conseil et frais d'enregistrement de baux).

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Le 21 juillet 2016, Mme C..., ressortissante camerounaise née le 15 mars 1964, a sollicité la délivrance d'un visa de court séjour pour visite familiale, lequel lui a été refusé par les autorités consulaires françaises à Douala le 25 juillet 2016. Par une décision du 29 septembre 2016, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son recours formé à l'encontre de cette décision consulaire. Le 10 novembre 2016, la requérante a déposé une nouvelle demande de visa de court séjour, qui a été rejetée le 14 novembre 2016. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté son second recours formé contre ce nouveau rejet par une décision du 5 janvier 2017. Par un jugement du 14 novembre 2017, le tribunal administratif de Nantes a annulé les décisions des 29 septembre 2016 et 5 janvier 2017 de la commission de recours. Par un arrêt du 24 septembre 2018, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté le recours formé par le ministre de l'intérieur à l'encontre de ce jugement, après avoir accordé le sursis à exécution du jugement du 14 novembre 2017 par un arrêt du 3 avril 2018. Mme C... a alors demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à l'indemniser à hauteur de 17 000 euros des préjudices nés des refus illégaux successifs de lui délivrer un visa de court séjour. Par un jugement du 15 octobre 2020, dont Mme C... relève appel en tant qu'il n'a pas fait droit intégralement à sa demande, le tribunal administratif de Nantes a mis à la charge de l'Etat la somme de 1 600 euros à titre d'indemnisation.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Par un arrêt du 24 septembre 2018, devenu définitif, la cour administrative d'appel de Nantes a jugé que les motifs opposés à Mme C... par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France à ses deux demandes de visa de court séjour, tirés de l'insuffisance de ses ressources pour subvenir à ses besoins pendant son séjour et du risque de détournement de l'objet du visa à des fins migratoires, étaient erronés. Dans ces conditions, Mme C... est fondée à soutenir que les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 29 septembre 2016 et du 5 janvier 2017 sont entachées d'une illégalité fautive. Mme C... a donc droit à la réparation des préjudices certains et directs en lien avec ces refus irréguliers.

3. En premier lieu, Mme C... soutient qu'elle doit être indemnisée à hauteur de 90 euros des frais de timbre qu'elle a exposés à l'appui de ses trois demandes de visa, qui l'ont privée de la possibilité de voyager en 2016 et 2018. Les trois attestations d'accueil renseignées par son gendre afin de compléter ses demandes de visa établissent le paiement à chaque fois de 30 euros. Cependant, il ne résulte pas de l'instruction que Mme C... aurait personnellement versé ces sommes. Dans ces conditions cette demande ne peut qu'être rejetée.

4. En deuxième lieu, Mme C... demande à être remboursée de l'achat de son billet d'avion pour un voyage en France du 9 décembre 2016 au 4 février 2017, voyage qu'elle a réservé le 9 novembre 2016, soit après le dépôt de sa deuxième demande de visa en 2016. Il résulte toutefois de l'instruction qu'aucune preuve du paiement d'un tel billet d'avion n'est apportée. Cette demande ne peut donc qu'être rejetée.

5. En troisième lieu, l'appelante demande à être remboursée de l'achat d'un troisième billet d'avion réservé le 8 décembre 2017, après l'intervention du jugement du tribunal administratif de Nantes du 17 novembre 2017 enjoignant à l'administration de lui délivrer le visa sollicité dans un délai de deux mois à compter de sa notification, pour un parcours aller-retour vers Paris les 19 décembre 2017 et 19 mars 2018. L'administration n'a toutefois pas fait droit à cette injonction et a introduit le 7 décembre 2017 une requête en appel de ce jugement assortie d'une demande de sursis à exécution. D'une part, il résulte de ce qui précède que Mme C... n'a pas fait preuve de la prudence nécessaire en réservant son billet d'avion dès avant le terme des deux mois fixés par les premiers juges à l'administration pour lui délivrer le visa nécessaire, pour un vol aller prévu à une période qui pouvait être partiellement incompatible avec la délivrance de son visa. D'autre part, il ne résulte d'aucune pièce, et il n'est pas même soutenu, que l'intéressée n'a pu modifier, reporter ou se faire rembourser les billets d'avion dont elle se prévaut. Dans ces conditions, sa demande indemnitaire ne peut qu'être rejetée.

6. En quatrième lieu, Mme C... demande à être remboursée de frais d'assurance exposés à l'occasion de ses projets annulés de voyage en France de décembre 2016 et de décembre 2017. L'instruction et les explications données établissent que ces frais ont été exposés, l'intéressée ayant bénéficié des garanties prévues par ces contrats au titre des frais de conseil exposés en conséquence des refus de visa. Par suite, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat à ce titre la somme demandée de 115,26 euros.

7. En cinquième lieu, l'appelante demande le remboursement de frais de communication téléphonique en lien avec les décisions illégales de refus de visa. Toutefois, l'existence même de ces dépenses n'étant pas établie, cette demande ne peut qu'être rejetée.

8. En sixième lieu, Mme C... sollicite le remboursement de frais de conversion de francs CFA en euros en prévision de ses voyages annulés. Il ne résulte cependant pas de l'instruction que les sommes converties en euros n'ont pu être conservées ou utilisées à d'autres fins. Dans ces conditions, cette demande est rejetée.

9. En septième lieu, Mme C... demande le remboursement, pour un total de 4 250 euros, de divers frais de conseil exposés à l'appui des procédures qu'elle a conduites à trois reprises devant le juge des référés du tribunal administratif de Nantes, puis devant la cour administrative d'appel de Nantes afin d'obtenir le rejet de la demande de sursis à exécution du jugement du tribunal administratif du 17 novembre 2017 présentée par le ministre de l'intérieur, puis la fin de la mesure de sursis à exécution décidée en conséquence par un arrêt de cette cour du 3 avril 2018. A l'appui de cette demande l'intéressée produit des notes d'honoraires de son conseil correspondant à ces procédures pour un total de 4 250 euros, un extrait du compte CARPA de son conseil faisant état d'un solde nul après un versement à son conseil de 2 301,24 euros dont celui-ci explique qu'il s'agit d'une somme versée par l'assureur de Mme C... sur ce compte, ainsi que la copie d'un chèque du 12 février 2021 de 1 948,76 euros à l'ordre de ce même conseil, émanant de la fille de Mme C.... Il résulte ainsi de l'instruction qu'à hauteur de 2 301,24 euros la dépense a été exposée par un assureur et que pour le restant elle a été réglée, en admettant l'encaissement de ce chèque, non par l'appelante mais par sa fille. Dans ces conditions, cette demande de Mme C... ne peut qu'être rejetée.

10. En huitième lieu, pour les motifs exposés au point précédent tenant au fait qu'il n'est aucunement justifié que Mme C... aurait personnellement versé à son conseil une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés dans le cadre de diligences précontentieuses essentiellement devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, cette demande ne peut qu'être rejetée.

11. En neuvième lieu, l'appelante soutient qu'elle doit être indemnisée à hauteur de 2 150 euros de frais d'enregistrements de baux destinés à prouver, à la demande des autorités françaises, le niveau de ses revenus camerounais, ainsi que de frais d'avocat exposés au Cameroun afin de justifier du lien de filiation l'unissant à sa fille établie en France. Toutefois, d'une part, la réalité même de ces dépenses n'est pas établie et d'autre part, il résulte de l'instruction qu'indépendamment même de l'illégalité des décisions de refus de visa, ces diligences étaient justifiées par l'instruction des demandes de visa présentées. En conséquence cette demande indemnitaire doit être rejetée.

12. En dernier lieu, le jugement attaqué indemnise Mme C... de son préjudice moral né des décisions illégales de refus de visa qui lui ont été opposées pour un montant de 500 euros. Dans les circonstances de l'espèce, eu égard à l'important délai écoulé entre la première décision de refus de visa sollicité en juillet 2016 et le voyage de l'appelante effectué en décembre 2018, à la circonstance qu'elle a été privée de la possibilité d'assister au baptême de ses deux petits-enfants en septembre 2016, et à la succession des procédures qui ont conduit à deux reports de son voyage après le premier refus de visa, il y a lieu de majorer la somme due à ce titre par l'Etat à Mme C... pour la porter à 2 000 euros.

13. Il résulte de tout ce qui précède que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal administratif de Nantes a limité en son article 1er son indemnisation à 1 600 euros. Il y a lieu en conséquence de porter cette somme à 3 215,26 euros.

Sur les intérêts et la capitalisation :

14. Mme C... a droit, pour un total de 1 615,26 euros, aux intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2019, date de réception de sa demande préalable par l'administration. Les intérêts échus à la date du 23 janvier 2020, date à laquelle était due, pour la première fois, une année d'intérêts, seront capitalisés à cette date et à chacune des échéances annuelles suivantes pour produire eux-mêmes intérêts.

Sur les frais d'instance :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat, sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par Mme C....

D E C I D E :

Article 1er : La somme de 1 600 euros mise à la charge de l'Etat au bénéfice de Mme C... par l'article 1er du jugement n° 1903103 du tribunal administratif de Nantes du 15 octobre 2020 est portée à 3 215, 26 euros. La somme supplémentaire de 1 615,26 ainsi mise à la charge de l'Etat portera intérêts au taux légal à compter du 23 janvier 2019, avec capitalisation à compter du 23 janvier 2020.

Article 2 : L'article 1er du jugement du 15 octobre 2020 du tribunal administratif de Nantes est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme C... une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... C... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 16 septembre 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 4 octobre 2022.

Le rapporteur,

C. A...

Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT03891


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT03891
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : PLATEAUX

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-10-04;20nt03891 ?
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