Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. E... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 16 juin 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Conakry (République de Guinée) refusant à Mme A... C... et à la jeune F... B... la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour au titre de la procédure de regroupement familial.
Par un jugement no 2108679 du 10 février 2022, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 16 juin 2021 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer un visa de long séjour à Mme A... C... et F... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 25 février 2022, le ministre de l'intérieur demande à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) de rejeter la demande présentée par M. B... devant le tribunal administratif de Nantes.
Il soutient que :
- c'est à tort que le tribunal a considéré que l'identité et le lien familial des demanderesses de visa étaient établis par les documents produits ;
- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est légalement fondée sur un autre motif tiré de l'absence de légalisation des actes d'état civil produits ;
- aucun des moyens invoqués par M. B... n'est fondé.
Par un mémoire en défense, enregistré le 25 mai 2022, M. E... B... conclut au rejet de la requête et ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Il soutient que :
- l'identité et le lien familial des demanderesses de visa sont établis par les documents d'état civil légalisés et, en tout état de cause, par la possession d'état ;
- la décision contestée méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3, paragraphe 1, de la convention internationale des droits de l'enfant.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Le rapport de M. D... a été entendu au cours de l'audience publique.
Considérant ce qui suit :
1. M. E... B..., ressortissant guinéen né en 1982, réside en France depuis 2015. Il a formulé une demande de regroupement familial en faveur de son épouse alléguée, Mme A... C..., ressortissante guinéenne née le 20 septembre 1992, et de leur fille F... B..., ressortissante guinéenne née le 15 juillet 2020 à Rabat (Maroc). Le 23 novembre 2020, le préfet du Val-de-Marne a autorisé ce regroupement familial. Le 28 décembre 2020, la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour, au titre de la procédure de regroupement familial, a été sollicitée en faveur des intéressées. Un refus leur a été opposé le 17 mars 2021 par les autorités consulaires françaises de Conakry (Guinée). La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie du recours administratif préalable obligatoire prévu à l'article D. 312-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté le recours dirigé contre ce refus par décision du 16 juin 2021. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes, à la demande de M. B..., a annulé cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint sous astreinte de faire délivrer les visas sollicités.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
2. Lorsque la venue d'une personne en France a été autorisée au titre du regroupement familial, l'autorité consulaire n'est en droit de rejeter la demande de visa dont elle est saisie à cette fin que pour un motif d'ordre public. Au nombre des motifs d'ordre public de nature à fonder légalement le refus de délivrance du visa sollicité, figure la circonstance que les documents produits pour établir le lien familial seraient, notamment en raison de leur caractère frauduleux, dépourvus de valeur probante.
3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.
En ce qui concerne Mme A... C... :
4. Pour justifier de l'identité de Mme C..., ont été produits, lors de la demande de visa, un passeport guinéen délivré le 2 mai 2018 et une copie du volet no 1 de l'acte de naissance no 465 dressé le 30 septembre 1992. Cet acte de naissance no 465 a ultérieurement été annulé par un jugement du 27 septembre 2021 rendu par le tribunal de première instance de Labé, " au profit " du jugement supplétif d'acte de naissance rendu sous le no 2259 le 11 août 2021 par le tribunal de première instance de Labé, qui a lui-même été transcrit sous le no 046 le 27 août 2021 dans les registres de l'état civil de Linsan-Saran. Il en résulte que le ministre de l'intérieur, qui ne soutient pas que ces jugements auraient un caractère frauduleux, n'est pas fondé à soutenir que Mme C... détient plusieurs actes de naissance. Par ailleurs, la circonstance que, en raison de l'annulation de l'acte de naissance no 465 dressé le 30 septembre 1992, le numéro personnel d'identification unique guinéen qui figure sur le passeport de Mme C... ne correspond plus à celui de son acte de naissance, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère probant de l'acte no 046 le 27 août 2021 dressé en transcription du jugement supplétif d'acte de naissance no 2259 du 11 août 2021.
5. Par ailleurs, pour justifier du lien matrimonial entre M. B... et Mme C..., ont été produites la photocopie du volet n° 1 d'un document intitulé " extrait d'acte de mariage déclarant " dressé le 28 décembre 2013 et la photocopie du même document légalisé par les autorités guinéennes le 3 septembre 2021. Cet extrait d'acte de mariage, rempli manuscritement de façon peu lisible, fait état d'une date de mariage le 29 décembre 2013 tout en mentionnant que le mariage a été déclaré le 28 décembre 2013 et l'acte dressé le 28 décembre 2013, ce qui est incompatible avec un mariage célébré le lendemain. L'année de la date de naissance de l'épouse comporte en outre une surcharge, qui ne permet pas de savoir avec certitude si cette date est 1990 ou 1992. Cependant, alors que les requérants produisent de nombreuses photographies, pour certaines horodatées à la date du 28 décembre 2013, de la cérémonie de leur mariage, dont une photographie de la mariée signant les registres d'état civil avec son époux en arrière plan, il y a lieu de considérer que l'extrait d'acte de mariage est entaché d'une erreur matérielle relative à la date du mariage, qui a été célébré le 28 décembre 2013, et que, dans les circonstances de l'espèce, cette erreur matérielle ne prive pas cet acte de sa valeur probante quant au mariage qu'il rapporte. En outre, si le ministre de l'intérieur fait valoir que les bans du mariage ont été publiés pendant moins de dix jours, en violation de l'article 204 du code civil guinéen, il ressort du même acte de mariage que les époux ont été dispensés de la publication des bans.
6. Dès lors, en estimant que l'identité de Mme C... et son lien matrimonial avec M. B... n'étaient pas justifiés, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce.
7. L'administration peut, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.
8. Contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur dans sa demande de substitution de motifs, les jugements du 27 septembre 2021 et du 11 août 2021 ainsi que l'acte de naissance no 046 le 27 août 2021 de Mme C..., de même que l'extrait d'acte de mariage du 28 décembre 2013, ont été légalisés par le ministère des affaires étrangères et des guinéens de l'étranger. Par suite, le motif tiré de l'absence de légalisation de ces documents n'est, en tout état de cause, pas de nature à justifier légalement la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle concerne Mme C....
En ce qui concerne la jeune F... B... :
9. Pour justifier de l'identité et de la filiation de la jeune F... B..., née le 15 juillet 2020, ont été produits à l'appui de la demande de visa un passeport guinéen délivré le 13 octobre 2020, le volet no 1 de l'extrait d'acte de naissance no 46 dressé le 17 août 2020 par l'ambassade de la République de Guinée à Rabat et un extrait d'acte de naissance no 7564 dressé le 1er octobre 2020 par l'officier d'état civil de Ratomo Conakry. M. B... explique que l'enfant, née au Maroc, a été déclarée auprès des autorités consulaires de Guinée à Rabat le 17 août 2020, puis que les bagages de Mme C..., avec tous ses documents dont le volet no 1 de cet acte de naissance, ont été perdus à l'aéroport lors du retour en Guinée de la mère et de l'enfant, ce qui a conduit Mme C..., afin d'établir en urgence le passeport de l'enfant, qui voyageait jusqu'alors sous couvert d'une autorisation provisoire de voyage délivrée à Rabat le 17 août 2020, à faire une nouvelle déclaration de naissance en Guinée. Il précise encore que les bagages perdus, avec l'acte de naissance dressé au Maroc, ont pu être retrouvés quelques semaines plus tard. En tout état de cause, il ressort des pièces du dossier que, par un jugement no 1847 rendu le 22 décembre 2021 par le tribunal de première instance de Dixinn, les actes de naissance no 46 dressé le 17 août 2020 à Rabat et no 7564 dressé le 1er octobre 2020 à Ratomo Conakry ont été annulés, tandis qu'un jugement supplétif d'acte de naissance no 21274 a été rendu le 19 août 2021 par le tribunal de première instance de Conakry II, qui a fait l'objet le 2 septembre 2021 d'une transcription sous le no 8166 dans les registres de l'état civil de Ratoma. Il en résulte que le ministre de l'intérieur, qui ne soutient pas que ces jugements auraient un caractère frauduleux, n'est pas fondé à soutenir que la jeune F... détient trois actes de naissance. Par ailleurs, la circonstance que, en raison de l'annulation de l'acte de naissance no 7564 dressé le 1er octobre 2020, le numéro personnel d'identification unique guinéen qui figure sur le passeport de la jeune F... ne correspond plus à celui de son acte de naissance, n'est pas de nature à remettre en cause le caractère probant de l'acte no 8166 du 2 septembre 2021. Dès lors, en estimant que l'identité de la jeune F... et son lien de filiation avec M. B... n'étaient pas justifiés, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des faits de l'espèce.
10. Enfin, contrairement à ce que soutient le ministre de l'intérieur dans sa demande de substitution de motifs, les jugements du 22 décembre 2021 et du 19 août 2021, de même que l'acte de naissance dressé le 2 septembre 2021, ont été légalisés par le ministère des affaires étrangères et des guinéens de l'étranger. Par suite, le motif tiré de l'absence de légalisation de ces documents n'est, en tout état de cause, pas de nature à justifier légalement la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle concerne la jeune F... B....
11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint sous astreinte de faire délivrer les visas sollicités.
Sur les frais liés au litige :
12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 1 200 euros à verser à M. B... au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.
Article 2 : L'État versera à M. B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.
Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 6 septembre 2022, à laquelle siégeaient :
- M. Pérez, président de chambre,
- Mme Montes-Derouet, présidente-assesseure,
- M. Bréchot, premier conseiller.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 23 septembre 2022.
Le rapporteur,
F.-X. D...Le président,
A. Pérez
La greffière,
K. Bouron
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 22NT00585