Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
M. B... I... F... et Mme G..., agissant en leur nom propre et en tant que représentants légaux de l'enfant mineur D... F..., et M. A... H... F... ainsi que M. C... F..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 24 février 2021 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision implicite des autorités consulaires françaises à Riyad (Arabie Saoudite) refusant de délivrer à M. B... I... F... et Mme J... F..., ainsi qu'aux jeunes D... F... et C... F..., des visas d'entrée en France en vue de déposer une demande d'asile en France.
Par un jugement no 2103586 du 4 octobre 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête et un mémoire, enregistrés les 21 octobre 2021 et 1er mars 2022, M. B... I... F... et Mme G..., agissant en leur nom propre et en tant que représentants légaux de l'enfant mineur D... F..., et M. A... H... F... ainsi que M. C... F..., représentés par Me Régent, demandent à la cour :
1°) d'annuler ce jugement ;
2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;
3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de faire délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer les demandes, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ;
4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au profit de Me Régent en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Ils soutiennent que :
- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que le caractère contradictoire de l'instruction a été méconnu ;
- les premiers juges ont dénaturé les pièces du dossier ;
- la décision contestée porte atteinte au droit constitutionnel d'asile ;
- elle méconnaît les dispositions des articles L. 711-1 et L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ;
- elle a été prise en violation des stipulations des articles 2, 3 et 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 8 mars 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il soutient que les moyens soulevés par les requérants ne sont pas fondés.
Par une décision du 27 décembre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes a accordé à M. A... H... F... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la Constitution ;
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de M. E...,
- et les observations de Me Lechat-Blin, substituant Me Régent, représentant les consorts F....
Considérant ce qui suit :
1. M. A... H... F..., ressortissant yéménite, s'est vu reconnaître la qualité de réfugié par décision du directeur général de l'office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 22 août 2019. M. B... I... F... et Mme G..., ses parents, ainsi que les jeunes D... F... et C... F..., ses frères, nés respectivement le 12 juillet 2005 et le 4 janvier 1998, ont sollicité la délivrance de visas d'entrée en France, auprès des autorités consulaires françaises à Riyad (Arabie Saoudite), en vue de déposer une demande d'asile en France. Par une décision implicite, ces autorités ont refusé de délivrer les visas sollicités. Par une décision du 24 février 2021, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre cette décision consulaire. Les consorts F... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande d'annulation de cette décision de la commission de recours.
Sur la régularité du jugement attaqué :
2. Il ressort des pièces du dossier soumis aux premiers juges que l'unique mémoire en défense du ministre de l'intérieur a été enregistré par le greffe du tribunal administratif de Nantes le 31 août 2021, soit postérieurement à la clôture de l'instruction intervenue le 15 juillet précédent, et qu'il n'a pas été communiqué. La circonstance que le jugement attaqué ne mentionne ni que ce mémoire n'a pas été communiqué ni qu'il aurait été écarté des débats est sans incidence sur sa régularité. Par ailleurs, si le jugement attaqué indique à son point 4 que " les requérants n'apportent pas d'élément suffisamment circonstancié de nature à établir qu'ils seraient personnellement exposés dans leur pays de résidence à une situation particulière de vulnérabilité ", et relève, au sujet du décès à Riyad de l'un des frères de M. A... H... F..., que ce décès n'apparaît pas " en lien avec les activités journalistiques de M. A... H... F... ", le tribunal pouvait porter ces appréciations au vu des pièces du dossier enregistrées avant la clôture de l'instruction. Dès lors, il n'apparaît pas que le tribunal se serait fondé sur des éléments issus du mémoire en défense du ministre de l'intérieur. Par suite, le moyen tiré de ce que le caractère contradictoire de l'instruction aurait été méconnu, faute d'avoir communiqué ce mémoire aux requérants, et, partant, de ce que le jugement attaqué serait intervenu à la suite d'une procédure irrégulière, doit être écarté.
Sur le bien-fondé du jugement attaqué :
3. En premier lieu, aux termes du quatrième alinéa du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 auquel renvoie le Préambule de la Constitution : " Tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d'asile sur les territoires de la République ". Si le droit constitutionnel d'asile a pour corollaire le droit de solliciter en France la qualité de réfugié, les garanties attachées à ce droit reconnu aux étrangers se trouvant sur le territoire de la République n'emportent aucun droit à la délivrance d'un visa en vue de déposer une demande d'asile en France ou pour y demander le bénéfice de la protection subsidiaire prévue à l'article L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicable et désormais recodifié à l'article L. 512-1 du même code. De même, l'invocation des stipulations des articles 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales à raison de menaces susceptibles d'être encourues à l'étranger ne saurait impliquer de droit à la délivrance d'un visa d'entrée en France. Dès lors, les moyens tirés de la violation du droit constitutionnel d'asile et de la méconnaissance des 2 et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doivent être écartés.
4. En deuxième lieu, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions des articles L. 711-1 et L. 712-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors applicables, est inopérant à l'encontre de la décision contestée, qui n'a pas, par elle-même, pour objet de se prononcer sur une demande d'admission au statut de réfugié ou de bénéfice de la protection subsidiaire.
5. En troisième lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B... I... F... et Mme G... ainsi que leurs fils, D... F... et C... F..., ressortissants yéménites, résident en Arabie Saoudite depuis le mois d'août 2015. Les requérants soutiennent qu'ils ont dû quitter le Yémen en raison des menaces qui pesaient sur eux en lien avec l'activité professionnelle de leur fils et frère, M. A... H... F..., journaliste yéménite réfugié en France. Ils font également valoir qu'ils sont l'objet de menaces en Arabie Saoudite, où M. A... H... F... a subi des " pressions " en lien avec sa profession de journaliste. Toutefois, d'une part, si les requérants versent au dossier un " formulaire de notification de décès " faisant état du décès, à Riyad, de Shehab F..., l'un des frères de M. A... H... F..., en raison d'une " insuffisance respiratoire / suspicion criminelle ", cette seule pièce ne permet pas de tenir pour établi que ce décès serait en lien avec les activités journalistiques de M. A... H... F.... D'autre part, les requérants soutiennent, en se fondant notamment sur des attestations émises par le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés, qu'ils résident en Arabie Saoudite sous couvert de visas temporaires de visiteurs qui ne leur permettent ni de travailler ni d'étudier ni d'accéder à une prise en charge de leurs soins médicaux, notamment pour le jeune D... F..., né le 12 juillet 2005 et atteint de schizophrénie. S'ils allèguent aussi qu'ils ont, depuis le départ de leur fils et frère, été expulsés du logement qu'ils occupaient, qu'ils vivent dans le plus grand dénuement et qu'ils ne sont plus en sécurité en Arabie Saoudite, laquelle aurait refusé fin septembre 2021 de renouveler leurs visas temporaires, ces allégations ne sont pas corroborées par les pièces versées au dossier. Ainsi, les requérants n'apportent pas d'élément suffisamment circonstancié de nature à établir qu'ils seraient personnellement exposés dans leur pays de résidence à des risques sérieux de persécutions ou de traitements inhumains et dégradants ni à des risques sérieux d'éloignement vers le Yémen. Enfin, les circonstances que M. A... H... F... ait obtenu le statut de réfugié en France et que deux de ses frères bénéficient de ce même statut aux Pays-Bas ne suffisent pas, en l'espèce, à regarder les requérants comme se trouvant en Arabie Saoudite dans une situation justifiant la délivrance, par une mesure de faveur, des visas sollicités. Dans ces conditions, la commission de recours n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en refusant de leur délivrer un visa d'entrée en France.
6. En dernier lieu, si les requérants justifient que plusieurs membres de leur famille résident dans un État membre de l'Union européenne, à savoir M. A... H... F..., leur fils, réfugié en France, et deux autres fils réfugiés aux Pays-Bas, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'ils seraient isolés en Arabie Saoudite, où ils résident depuis 2015. Dans ces conditions, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Par ailleurs, et alors que le jeune D... F... vit en Arabie Saoudite aux côtés de son père, de sa mère et de l'un de ses frères, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations du paragraphe 1 de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant doit également être écarté.
7. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité de la demande de première instance en tant qu'elle est présentée par M. A... H... F..., que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions à fin d'injonction :
8. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par les requérants, n'implique aucune mesure d'exécution. Dès lors, leurs conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.
Sur les frais liés au litige :
9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que Me Régent demande au titre des frais liés à l'instance.
DÉCIDE :
Article 1er : La requête de M. F... et autres est rejetée.
Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... I... F..., à Mme G..., à M. A... H... F..., à M. C... F..., à Me Régent et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Douet, présidente de la formation de jugement,
- M. Bréchot, premier conseiller,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juillet 2022.
Le rapporteur,
F.-X. E...La présidente,
H. Douet
La greffière,
A. Lemée
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
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No 21NT02947