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22/07/2022 | FRANCE | N°21NT01135

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 22 juillet 2022, 21NT01135


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son enfant mineur I... J..., ainsi que M. K... N... J..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) du 20 février 2020 refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à Moha

med J... et M. K... N... J..., en qualité de membre de famille de réfugiée.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme M... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son enfant mineur I... J..., ainsi que M. K... N... J..., ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours dirigé contre la décision de l'autorité consulaire française à Dakar (Sénégal) du 20 février 2020 refusant la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour à Mohamed J... et M. K... N... J..., en qualité de membre de famille de réfugiée.

Par un jugement no 2009671 du 12 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités par le jeune I... J... et M. K... N... J....

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 21 avril 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de première instance.

Il soutient que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande de première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 7 septembre 2021, Mme M... C..., agissant en son nom propre et en qualité de représentante légale de son enfant mineur I... J..., ainsi que M. K... N... J..., représentés par Me Le Floch, demandent à la cour :

1°) de rejeter la requête du ministre de l'intérieur ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer les visas sollicités ou, à défaut, de réexaminer les demandes, dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au profit de Me Le Floch en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Ils soutiennent que :

- le motif tiré de la réunification partielle est entaché d'erreur d'appréciation ;

- l'identité et le lien familial des demandeurs de visa sont établis ;

- la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, et celles du premier paragraphe de l'article 3 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Par une décision du 28 octobre 2021, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes a constaté le maintien de Mme C... au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. G... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme C..., ressortissante guinéenne née le 27 décembre 1977, a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire en 2018. La délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en vue de la rejoindre a été sollicitée en faveur de Mohamed J... et de M. K... N... J..., présentés comme ses enfants. Un refus leur a été opposé par les autorités consulaires françaises à Dakar (Sénégal). La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie du recours administratif préalable obligatoire prévu à l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a rejeté ce recours par décision implicite intervenue à la suite de son enregistrement le 10 avril 2020, dans les conditions prévues par les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel, à la demande de Mme C... et autres, le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de faire délivrer un visa de long séjour à Mohamed J... et M. K... N... J... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort des pièces du dossier que la décision en litige est fondée sur un premier motif tiré du défaut de justification par des documents d'état civil probants ou des éléments de possession d'état suffisants de l'identité des demandeurs de visa et de leur lien de filiation allégué avec Mme C.... Un second motif est tiré du caractère partiel de la demande de réunification familiale.

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint (...) / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ".

4. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le jugement produit aurait un caractère frauduleux.

6. Pour justifier de l'identité des demandeurs de visa et de leur lien de filiation avec Mme C..., les requérants ont produit la copie de deux jugements supplétifs tenant lieu d'acte de naissance rendus le 28 février 2020 par le tribunal de première instance de Conakry III - Mafanco et la copie d'un extrait du registre des transcriptions établi le 16 mars 2020 par l'officier d'état civil de la commune de Matoto, ville de Conakry. La circonstance que ces jugements supplétifs aient été rendus plusieurs années après la naissance des intéressés n'est pas de nature à caractériser leur caractère frauduleux dès lors que le propre d'un jugement supplétif d'un acte de naissance est d'intervenir postérieurement à la naissance de la personne à laquelle il se rapporte. Il en va de même de la circonstance que ces jugements soient intervenus postérieurement à l'obtention de la protection subsidiaire de Mme C.... Par ailleurs, si le ministre de l'intérieur fait valoir que ces jugements ont été rendus au lendemain de l'enregistrement des requêtes et que ces dernières ont été introduites par Mme L... E..., présentée comme " tutrice légale " des enfants sans qu'il en soit justifié, ces circonstances ne sont, là encore, pas de nature en l'espèce à établir leur caractère frauduleux. De même, si le ministre soutient que ces jugements ordonnent la transcription de leurs dispositifs dans les registres d'état civil de 2002 et 2005, alors que l'article 180 du code civil guinéen prévoit que " les registres seront clos et arrêtés par l'officier de l'état civil à la fin de chaque année (...) " et que les actes non légalisés transcrivant ces jugements ne sont pas conformes aux articles 175 et 196 du code civil guinéen en ce que certaines mentions prévues par ces textes seraient manquantes, ces circonstances ne sont pas davantage de nature à établir le caractère frauduleux des jugements. S'il est vrai, en revanche, que le jeune I... J... et M. K... N... J... disposaient déjà respectivement d'un acte de naissance no 521 dressé le 6 décembre 2005 et d'un acte de naissance no 151 dressé le 14 février 2002, au moment de leur naissance et sur déclaration de leur père, et qu'ils possèdent ainsi deux actes d'état civil se rapportant à la même personne, les intéressés font valoir qu'ils ont sollicité les jugements supplétifs d'acte de naissance après avoir pris acte du motif fondant le refus de visa opposé par les autorités consulaires françaises, tiré de ce que les documents d'état civil présentaient " les caractéristiques d'un document frauduleux ". Au demeurant, les mentions des actes de naissance dressés en 2002 et 2005 concordent avec celles figurant dans les jugements supplétifs et les actes dressés en transcription de ces derniers, sans qu'ait d'incidence le fait que seul le prénom du père des enfants ait été mentionné dans les premiers actes de naissance dès lors que le nom donné aux enfants était celui de leur père, M. O... J.... Enfin, s'il est vrai que M. K... N... J... a présenté en avril 2016 une demande de visa de court séjour auprès de l'ambassade de Suisse en Arabie Saoudite sous une identité différente, à savoir celle de M. K... F... né le 1er janvier 2001, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier, notamment des nombreuses photographies de famille versées par les intéressés, de l'ensemble des actes d'état civil produits et des déclarations constantes de Mme C..., que la demande de visa présentée auprès des autorités suisses l'avait été sous une identité frauduleuse et que l'identité véritable de l'intéressé correspond à celle présentée dans le cadre de la présente instance. Dès lors, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que l'identité et le lien familial des intéressés avec la réunifiante n'étaient pas établis.

7. En second lieu, aux termes de l'article L. 411-4 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) / Le regroupement familial est sollicité pour l'ensemble des personnes désignées aux articles L. 411-1 à L. 411-3. Un regroupement partiel peut être autorisé pour des motifs tenant à l'intérêt des enfants ".

8. A... est vrai que Mme C... a indiqué, dans le formulaire qu'elle a adressé le 6 décembre 2019 au bureau familial des réfugiés, que la réunification familiale n'était pas demandée pour son époux résidant à Matain au motif qu'il " ne souhaite pas venir en France ", alors qu'elle avait constamment indiqué jusque-là, notamment dans le cadre de sa demande de protection internationale, que son mari avait disparu sans laisser de trace le 25 septembre 2015 après qu'il avait appris la mort de leur fille D... J... des suites de son excision forcée par sa propre famille. Le ministre de l'intérieur fait également valoir qu'un visa de court séjour a été délivré le 14 juin 2016 à une personne se disant M. O... J..., né le 20 novembre 1963, en même temps qu'à une enfant se disant H... J..., née le 9 octobre 2008. Mme C... soutient pour sa part qu'elle ne s'explique pas les circonstances de cette demande de visa, antérieure à son entrée en France avec la jeune H..., et indique que si la photographie figurant sur le visa délivré correspond à sa fille, celle de M. O... J... ne correspond pas à son mari. En tout état de cause, à supposer même que le père des demandeurs de visa n'ait pas disparu ou soit réapparu, il ressort des pièces du dossier que le jeune I... J... et M. K... N... J... ont été pris en charge par une personne tierce depuis le départ de Guinée de Mme C..., à la demande et à la charge de cette dernière, qui dispose seule de l'entière autorité parentale sur ses enfants en vertu d'un jugement du 24 juillet 2019 du tribunal de première instance de Kindia, lequel fait état de la disparition du père des enfants. Dans ces conditions, en l'absence de tout élément de nature à démontrer que M. O... J... serait encore en lien avec son épouse et ses enfants, il est dans l'intérêt des enfants de B... C..., dont l'une est déjà réfugiée en France, de résider avec leur mère, alors même qu'aucune demande de regroupement familial n'a été sollicitée pour leur père. Dès lors, c'est par une inexacte application des dispositions de l'article L. 411-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours dont elle était saisie, sur le motif tiré de ce qu'une réunification familiale partielle avait été sollicitée.

9. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer les visas sollicités par les intéressés.

Sur les conclusions de Mme C... et autre à fin d'injonction et d'astreinte :

10. Le tribunal administratif de Nantes a déjà enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer un visa de long séjour à Mohamed J... et M. K... N... J... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Mme C... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État le versement à Me Le Floch de la somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de l'intérieur est rejetée.

Article 2 : L'État versera à Me Le Floch une somme de 1 200 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme C... et autre est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme M... C... et M. K... N... J..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Solène Le Floch.

Délibéré après l'audience du 5 juillet 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 22 juillet 2022.

Le rapporteur,

F.-X. G...Le président,

A. Pérez

La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01135


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01135
Date de la décision : 22/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : LE FLOCH

Origine de la décision
Date de l'import : 02/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-22;21nt01135 ?
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