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08/07/2022 | FRANCE | N°21NT00709

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 08 juillet 2022, 21NT00709


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à New-Dehli rejetant la demande de visa de long séjour présentée, au titre de la réunification familiale, par le jeune C... D... qu'elle présente comme son fils.

Par un jugement n° 2002003 du 11 janvier 2021

, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... B... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 19 décembre 2019 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à New-Dehli rejetant la demande de visa de long séjour présentée, au titre de la réunification familiale, par le jeune C... D... qu'elle présente comme son fils.

Par un jugement n° 2002003 du 11 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 12 mars 2021, Mme B..., représentée par Me Besse, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 janvier 2021 ;

2°) d'annuler la décision contestée ;

3°) d'enjoindre à l'administration, à titre principal, de délivrer le visa sollicité, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer la demande de visa, dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- le motif tiré de ce que l'identité de son fils et son lien de filiation n'étaient pas établis, que le tribunal a substitué au motif de la décision, est erroné ;

- le refus opposé à la demande de visa de long séjour présentée par son fils méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- il est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 26 avril 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés ne sont pas fondés et s'en remet, pour le surplus, à ses écritures de première instance.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme F... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., ressortissante chinoise originaire du Tibet, est titulaire du statut de réfugiée en France. Une demande de visa de long séjour a été présentée au titre de la réunification familiale par le jeune C... D... que la requérante présente comme son fils. Après avoir vainement sollicité auprès de Mme B... la communication de l'acte de décès du père du demandeur, les autorités consulaires françaises à New Dehli ont, le 23 août 2019, rejeté la demande de visa au motif que le dossier de la demande était incomplet. Le recours préalable obligatoire formé contre cette décision a été rejeté par une décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 décembre 2019 motifs pris de ce que l'acte de décès du père de l'enfant n'avait pas été produit et de ce que Mme B... avait reconstitué une cellule familiale en France. Devant le tribunal administratif de Nantes, le ministre de l'intérieur a indiqué que les motifs fondant la décision de la commission étaient erronés et demandé qu'y soient substitués les motifs tirés de ce que l'identité du demandeur et son lien de filiation avec Mme B... n'étaient établis ni par les documents frauduleux produits par les intéressés ni par la possession d'état et de ce que le père de l'enfant, dont le décès n'est pas établi, ne l'avait pas autorisé à rejoindre sa mère en France. Mme B... relève appel du jugement du 11 janvier 2011 par lequel le tribunal administratif de Nantes a fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par le ministre et rejeté sa demande.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

2. Aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié (...) peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié (...) sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié (...). En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 111-6, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. / Le demandeur d'un visa pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois, ou son représentant légal, ressortissant d'un pays dans lequel l'état civil présente des carences, qui souhaite rejoindre ou accompagner l'un de ses parents mentionné aux articles L. 411-1 et L. 411-2 (...), peut, en cas d'inexistence de l'acte de l'état civil ou lorsqu'il a été informé par les agents diplomatiques ou consulaires de l'existence d'un doute sérieux sur l'authenticité de celui-ci qui n'a pu être levé par la possession d'état telle que définie à l'article 311-1 du code civil, demander que l'identification du demandeur de visa par ses empreintes génétiques soit recherchée afin d'apporter un élément de preuve d'une filiation déclarée avec la mère du demandeur de visa. (...) ". L'article 47 du code civil dispose : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ".

4. Aux termes de l'article 311-1 du code civil : " La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir. / Les principaux de ces faits sont : / 1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ; / 2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ; / 3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ; / 4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ; / 5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue. ". L'article 311-2 du même code dispose : " La possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque. ". Aux termes de l'article 311-14 du même code : " La filiation est régie par la loi personnelle de la mère au jour de la naissance de l'enfant ; si la mère n'est pas connue, par la loi personnelle de l'enfant. ".

5. Il ressort du certificat de naissance délivré le 23 octobre 2004 que l'enfant Tenzin D..., né le 21 septembre 2004 à Nyalam, a pour mère A... Tsmachoe et pour père E.... Ainsi que le relève le ministre de l'intérieur, le nom " G... " n'apparait pas sur ce certificat alors que Mme B... a, dans ses déclarations auprès de l'administration française, renseigné ce nom comme le patronyme de son défunt mari et de leur fils, désigné sous le nom " C... D... G... ". De même, l'identité de la mère de l'enfant apparaissant sur le certificat, A... Tsmachoe, diffère de celle de la requérante connue en France, A... B.... Toutefois, la requérante soutient sans être sérieusement contredite que les éléments d'identification au Tibet ne sont pas organisés autour d'un nom de famille et d'un prénom et ne sont pas comparables à ceux constituant le système français de désignation. Elle ajoute que deux noms personnels sont donnés à la naissance et que les ressortissants chinois originaires du Tibet séjournant à l'étranger, appelés à fournir un nom patronymique, adjoignent à leurs noms un nom traduisant leur origine géographique ou leur appartenance clanique. Au vu de cette explication, il n'y a pas lieu de mettre en cause l'authenticité du certificat considéré, laquelle est corroborée par les pièces concordantes produites par Mme B..., en particulier le livret vert du jeune C... D..., qui, bien que dépourvu de mentions relatives à la filiation comporte des éléments relatifs à son identité et une photographie, l'attestation du Bureau du Tibet en France datée du 17 décembre 2018 et les déclarations constantes de la requérante depuis son arrivée en France en 2014. Le lien familial revendiqué est également conforté par les transferts d'argent effectués par Mme B... antérieurement à la demande de visa ainsi que par son séjour en Inde en 2018. Il suit de là que l'identité et le lien de filiation du jeune C... D... doivent être regardés comme établis. Par suite, c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a, pour rejeter la demande de Mme B... fait droit à la demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur.

6. Il appartient, toutefois, à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner la seconde demande de substitution de motifs présentée par le ministre de l'intérieur devant le tribunal administratif de Nantes.

7. Il résulte de la combinaison des dispositions de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et de celles des articles L. 411-2 et L. 411-3, alors en vigueur, du même code, auxquelles le II de l'article L. 752-1 renvoie expressément, que l'enfant du réfugié dont l'autre parent ne sollicite pas en même temps que lui un visa de long séjour sur le fondement des dispositions du 1° ou du 2° de cet article a droit à la délivrance d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale pourvu que soient remplies les conditions fixées par les articles L. 411-2 ou L. 411-3. Il s'ensuit que l'enfant, mineur de dix-huit ans, souhaitant rejoindre son parent réfugié sans son autre parent, bénéficie de plein droit de la délivrance d'un visa de long séjour soit lorsque son autre parent est décédé ou déchu de l'autorité parentale, soit s'il a été confié à son parent réfugié ou au conjoint de ce dernier en exécution d'une décision d'une juridiction étrangère et est muni de l'autorisation de son autre parent.

8. Le ministre de l'intérieur a fait valoir devant les premiers juges qu'alors qu'aucun document ne permettait de tenir pour établi le prétendu décès du père du jeune C... D..., celui-ci n'avait pas autorisé son fils à rejoindre sa mère en France. Toutefois, Mme B... soutient que le père de son fils est décédé le 1er octobre 2009 à Nyalam et qu'elle n'a alors entrepris aucune démarche en vue de déclarer ce décès auprès des autorités chinoises en raison, d'une part, de l'absence d'utilité immédiate d'un acte de décès et, d'autre part, des rapports difficiles qu'elle entretenait avec les autorités chinoises. La requérante a, dès 2014 et de manière constante, fait état du décès de son époux devant les autorités françaises. Dans le courrier du 25 février 2019 adressé aux services de l'ambassade française à New-Dehli, elle a expressément indiqué ne pas être en possession d'un acte de décès et donné les raisons pour lesquelles il ne lui est pas possible, eu égard à sa qualité de réfugiée, d'obtenir un tel document auprès des autorités chinoises. Compte-tenu de la situation particulière des ressortissants chinois originaires du Tibet et au fait que le jeune C... D... réside désormais en Inde, le décès du père de son fils doit, dans les circonstances particulières de l'espèce, être tenu pour établi. Par suite, le motif tiré de ce que le père du jeune C... D... n'aurait pas consenti à son départ pour la France et que le ministre demande de substituer aux motifs de la décision contestée ne saurait légalement fonder cette décision.

9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

10. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, la délivrance d'un visa de long séjour au jeune C... D.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre d'y procéder dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

11. Il y a lieu, en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Mme B... de la somme de 1 300 euros au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 11 janvier 2021 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 19 décembre 2019 sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer au jeune C... D... un visa de long séjour, dans le délai de quarante-cinq jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à Mme B... la somme de 1 300 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- Mme Douet, présidente de la formation de jugement,

- M. Bréchot, premier conseiller,

- Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juillet 2022.

La rapporteure,

K. F...

La présidente,

H. DOUETLa greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00709


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00709
Date de la décision : 08/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DOUET
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BESSE

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-08;21nt00709 ?
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