Vu la procédure suivante :
Procédure contentieuse antérieure :
Mme H... P... veuve B... F..., agissant en son nom personnel et pour le compte des enfants mineurs K..., I..., O..., G... et E... Mohamed B..., M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B... et Mme J... Mohamed B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 26 avril 2017 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises en poste à Djibouti rejetant les demandes de visas de long séjour présentées au titre de la réunification familiale par M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B... et Mme J... Mohamed B... ainsi que pour les jeunes K..., I..., O..., G... et E... Mohamed B... que Mme P... veuve B... F... présente comme ses enfants.
Par un jugement n° 1711438 du 30 septembre 2020, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Procédure devant la cour :
Par une requête, enregistrée le 11 janvier 2021, Mme P... veuve B... F... et les autres demandeurs de première instance, représentés par Me Pollono, demandent à la cour :
1°) avant-dire droit, de saisir la Cour de justice de l'Union européenne d'une question préjudicielle relative à l'interprétation de l'article 4 de la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 ;
2°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2020 ;
3°) d'annuler la décision contestée ;
4°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur, à titre principal, de délivrer les visas sollicités dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de réexaminer la situation des demandeurs dans les mêmes conditions de délai et d'astreinte ;
5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Pollono d'une somme de 2 400 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.
Ils soutiennent que :
- le tribunal a omis de répondre au moyen tiré de l'erreur de droit à avoir apprécié l'âge des demandeurs à la date du dépôt des demandes de visa ;
- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, à qui il appartenait de ne pas appliquer les dispositions illégales de l'article R. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a entaché sa décision d'erreur de droit en ne se plaçant pas à la date de la demande d'asile ; à cette date, tous les demandeurs étaient mineurs ;
- c'est à tort que la commission, qui ne précise pas les règles régissant l'état civil en Somalie qui auraient été méconnues, a dénié toute valeur probante aux documents produits au soutien des demandes de visa ;
- les liens de filiation sont également établis par possession d'état ;
- les refus de visa méconnaissent les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- ils sont contraires aux stipulations de l'article 3§1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.
Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.
Il indique s'en remettre à ses écritures de première instance.
Mme P... veuve B... F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 16 novembre 2020.
Vu les autres pièces du dossier.
Vu :
- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;
- la directive 2003/86/CE du 22 septembre 2003 ;
- le code civil ;
- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;
- le code de justice administrative.
Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.
Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.
Ont été entendus au cours de l'audience publique :
- le rapport de Mme Bougrine,
- et les observations de Me Nève, substituant Me Pollono et représentant les requérants.
Considérant ce qui suit :
1. Mme P... veuve B... F..., ressortissante somalienne entrée en France en 2011, est bénéficiaire de la protection subsidiaire. Postérieurement à de premières demandes formées en 2014 dont le rejet n'a pas été contesté, de nouvelles demandes de visa de long séjour ont été déposées au titre de la réunification familiale, le 30 juin 2016, par M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B... et Mme J... Mohamed B... ainsi que pour les jeunes K..., I..., O..., G... et E... Mohamed B... que Mme P... veuve B... F... présente comme ses enfants. Par une décision du 26 avril 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a confirmé les refus opposés à ces demandes par les autorités consulaires françaises en poste à Djibouti. Mme P... veuve B... F..., agissant en son nom personnel et pour le compte des enfants mineurs K..., I..., O..., G... et E... Mohamed B..., M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B... et Mme J... Mohamed B... relèvent appel du jugement du 30 septembre 2020 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de la décision de la commission du 26 avril 2017.
Sur les conclusions à fin d'annulation :
2. En premier lieu, aux termes de l'article L. 752-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger qui s'est vu reconnaître la qualité de réfugié ou qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : / 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; / 2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue ; / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / Si le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire est un mineur non marié, il peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint par ses ascendants directs au premier degré. / L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 et le premier alinéa de l'article L. 411-7 sont applicables. / La réunification familiale n'est pas soumise à des conditions de durée préalable de séjour régulier, de ressources ou de logement. / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. Les documents établis par l'office font foi jusqu'à inscription de faux. / La réunification familiale ne peut être refusée que si le demandeur ne se conforme pas aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. / Est exclu de la réunification familiale un membre de la famille dont la présence en France constituerait une menace pour l'ordre public ou lorsqu'il est établi qu'il est instigateur, auteur ou complice des persécutions et atteintes graves qui ont justifié l'octroi d'une protection au titre de l'asile. ".
3. Pour rejeter la demande de visas, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a retenu que les certificats de naissance présentés à l'appui des demandes de visas ont été établis tardivement et sont dénués de valeur probante, tant sur la forme que sur le fond, qu'au surplus C... et L... Mohamed B... étaient âgés de plus de 19 ans au jour du dépôt de leur demande de visa et qu'enfin, la requérante avait fait des déclarations contradictoires quant aux dates de naissance de ses premiers enfants.
4. Pour justifier de leur identité et de leur filiation à l'égard de Mme P... veuve B... F..., les demandeurs ont présenté des certificats de naissance établis à Mogadiscio le 20 juin 2013. Ils produisent également devant le juge des certificats de naissance établis à Mogadiscio le 29 octobre 2017. Il ressort de ces deux séries de certificats que les enfants C..., L..., A..., D..., J..., K..., I..., O..., G... et E... sont nés à Beledweyne, respectivement, le 29 décembre 1996, le 29 décembre 1996, le 15 décembre 1997, le 30 novembre 1998, le 9 novembre 1999, le 1er mars 2002, le 1er mars 2002, le 4 février 2004, le 1er janvier 2006 et le 18 janvier 2010, de l'union de M. Mohamed B... et de Mme H... P.... Les informations contenues dans ces certificats sont conformes aux mentions figurant sur les passeports des intéressés. En outre, les requérants versent aux débats une attestation du 25 août 2019 par laquelle les services de l'ambassade somalienne en poste à Djibouti certifient, " après vérification des documents pertinents auprès du Ministre de l'Intérieur et des Affaires Fédérales de la République Fédérale de Somalie ", l'exactitude de ces informations ainsi qu'une attestation du 1er novembre 2020 des mêmes services certifiant l'authenticité des certificats de naissance établis en 2017.
5. Si le ministre de l'intérieur fait valoir que les certificats de naissance produits au soutien des demandes de visa sont dépourvus de valeur probante dès lors qu'ils ont été délivrés à Mogadiscio qui n'est pas la ville de naissance des demandeurs et qu'ils ne comportent ni la date des déclarations de naissance ni l'identité du déclarant ni les dates et lieux de naissance des parents, il ne précise pas quelles règles de droit ou usage somalien auraient été méconnus en l'espèce alors que les requérants font valoir que le droit somalien ne prévoit ni délai de déclaration des naissance ni compétence territoriale des centres d'état civil en fonction du lieu de naissance. Il n'apporte pas davantage d'éléments de nature à démontrer que les numéros des certificats révèleraient une irrégularité. Au demeurant, tant les certificats délivrés en 2013 que ceux établis en 2017 se réfèrent au même numéro de registre familial. Enfin, la circonstance que, lors de ses premières déclarations, Mme P... veuve B... F... se serait, selon un courrier de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, méprise, en ce qui concerne ses cinq enfants aînés, sur l'année de naissance de quatre d'entre eux et le mois et l'année pour un cinquième ne permet pas, dans les circonstances très particulières de l'espèce, d'ôter aux documents mentionnés au point précédent toute valeur probante, les déclarations de l'intéressée étant depuis 2013 constantes.
6. Il suit de là qu'en estimant que l'identité des demandeurs et leur lien de filiation à l'égard de Mme P... veuve B... F... n'étaient pas établis, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées.
7. En second lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".
8. Il ressort des pièces du dossier qu'à la date du dépôt de leurs demandes de visa, le 30 juin 2016, M. C... Mohamed B... et Mme L... Mohamed B..., les deux aînés de la fratrie, étaient âgés de dix-neuf ans et six mois et ne pouvaient, de ce fait, prétendre à la délivrance de plein droit d'un visa de long séjour au titre de la réunification familiale. Il ressort, toutefois, des pièces du dossier que les intéressés, dont la mère et un frère sont entrés en France en 2011 et dont le père est décédé en 2012, sont célibataires, sans enfant et vivent à Djibouti avec leur grand-mère et leurs huit frères et sœurs cadets, les seconds ayant vocation à rejoindre leur mère en France. Dans les circonstances très particulières de l'espèce, les refus de visa qui leur sont opposés portent à leur droit au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels ils ont été pris et méconnaissent, par suite, les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.
9. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête ni de poser une question préjudicielle à la Cour de Justice de l'Union européenne, que les requérants ont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.
Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :
10. Sous réserve d'un changement de circonstances de droit ou de fait, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement, eu égard aux motifs sur lesquels il se fonde, que le ministre de l'intérieur délivre un visa de long séjour à M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B..., Mme J... Mohamed B... ainsi[BK1] qu'à M. K... Mohamed B..., Mme I... Mohamed B..., M. O... Mohamed B..., devenus majeurs et aux jeunes G... Mohamed B... et E... Mohamed B.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de procéder à cette délivrance dans le délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.
Sur les frais liés au litige :
11. Mme P... veuve B... F... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Son avocat peut, par suite, se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Pollono.
D E C I D E :
Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 30 septembre 2020 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France du 26 avril 2017 sont annulés.
Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer à M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B..., Mme J... Mohamed B..., M. K... Mohamed B..., Mme I... Mohamed B..., M. O... Mohamed B... ainsi qu'aux jeunes G... Mohamed B... et E... Mohamed B... un visa de long séjour, dans le délai de trente jours à compter de la notification du présent arrêt.
Article 3 : L'Etat versera à Me Pollono la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.
Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.
Article 5: Le présent arrêt sera notifié à Mme H... P... veuve B... F..., M. C... Mohamed B..., Mme L... Mohamed B..., Mme A... Mohamed B..., Mme D... Mohamed B..., Mme J... Mohamed B... M. K... Mohamed B..., Mme I... Mohamed B..., M. O... Mohamed B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.
Délibéré après l'audience du 21 juin 2022, à laquelle siégeaient :
- Mme Douet, présidente de la formation de jugement,
- M. Bréchot, premier conseiller,
- Mme Bougrine, première conseillère.
Rendu public par mise à disposition au greffe, le 8 juillet 2022.
La rapporteure,
K. Bougrine
La présidente,
H. DOUETLa greffière,
A. LEMEE
La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.
[BK1]
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N° 21NT00076