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05/07/2022 | FRANCE | N°21NT02214

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 05 juillet 2022, 21NT02214


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hydro Energie Muyle France a demande´ au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du directeur départemental des territoires d'Indre et Loire du 26 mars 2015 et de lui reconnaître le bénéfice d'un droit fonde´ en titre l'autorisant a` faire usage des eaux de la Creuse dans la limite d'une consistance légale de 544 kW.

Par un jugement n° 1501874 du 14 février 2017, le tribunal administratif, apre`s avoir requalifie´ cette requête en recours en interprétation destine´

a` préciser la consistance du droit fonde´ en titre, a fixe´ celle-ci a` une valeur ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hydro Energie Muyle France a demande´ au tribunal administratif d'Orléans d'annuler la décision du directeur départemental des territoires d'Indre et Loire du 26 mars 2015 et de lui reconnaître le bénéfice d'un droit fonde´ en titre l'autorisant a` faire usage des eaux de la Creuse dans la limite d'une consistance légale de 544 kW.

Par un jugement n° 1501874 du 14 février 2017, le tribunal administratif, apre`s avoir requalifie´ cette requête en recours en interprétation destine´ a` préciser la consistance du droit fonde´ en titre, a fixe´ celle-ci a` une valeur de 67 kW, identique a` celle qu'avait retenue l'administration.

Par un arrêt n° 17NT01211 du 5 avril 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel forme´ par la société Hydro Energie Muyle France contre ce jugement.

Par une décision n° 431392 du 3 août 2021, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé l'arrêt de la cour et a renvoyé l'affaire à celle-ci.

Procédure devant la cour :

Avant cassation :

Par une requête, enregistrée le 14 avril 2017, la SARL Hydro Energie Muyle France, représentée par Me Remy, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 février en ce qu'il fixe à 67 kW la consistance légale du droit fondé en titre attaché au Moulin de la Guerche ;

2°) de fixer la consistance légale du droit fondé en titre attaché au Moulin de la Guerche à une valeur de 544 kW ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

La SARL Hydro Energie Muyle France soutient que :

- l'existence à son profit d'un droit fondé en titre concernant le moulin de La Guerche n'est pas remise en cause par l'administration ;

- ce droit fondé en titre l'autorise à exploiter l'énergie hydraulique du moulin dans la limite de la consistance légale d'origine ; cette consistance légale se détermine à partir de la hauteur de la chute d'eau de la dérivation et du débit maximal dérivable ; l'administration n'apporte pas la preuve que des modifications affectant la hauteur de la chute et le débit maximal dérivé ont été apportées par le passé aux ouvrages du moulin ; les éléments auxquels se réfère l'administration, tirés d'un document de 1879, ne permettent pas d'apprécier avec justesse les caractéristiques du moulin ; au vu des caractéristiques aujourd'hui constatables, soit une hauteur de chute de 1,70 m et d'un débit de 32,61 m²/s , la puissance exploitable du moulin s'élève à 544 kW ; la hauteur de la chute à prendre en compte est la chute brute, mesurée par différence entre le niveau de la prise d'eau et celui de la restitution ; le débit maximal à prendre en compte est celui du canal d'amenée, apprécié au niveau du vannage d'entrée dans l'usine ; la réalité du rehaussement du canal d'amenée ainsi que de la suppression d'un vannage de décharge ne sont pas établies de manière incontestable ; les justificatifs concernant l'absence de modification sont produits.

Par un mémoire en défense, enregistré le 6 novembre 2017, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- l'existence d'un droit fondé en titre attaché à l'existence du moulin de La Guerche n'est pas contestée ; les caractéristiques des ouvrages du moulin ont été modifiées depuis son origine ; la force motrice du moulin a été augmentée ; les documents relatifs à la puissance originelle du moulin présentent un caractère probant ; la consistance légale du droit fondé en titre attachée au moulin de La Guerche n'excède pas 64 kW.

Après cassation :

Par un mémoire, enregistré le 15 octobre 2021, la socie´te´ Hydro Energie Muyle France, représentée par Me Le Briero, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 février 2017 en ce qu'il fixe à 67 kW la consistance légale du droit fondé en titre attaché au Moulin de la Guerche ;

2°) de fixer la consistance légale du droit fondé en titre attaché au Moulin de la Guerche à une valeur de 544 kW ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'existence à son profit d'un droit fondé en titre concernant le moulin de La Guerche n'est pas remise en cause par l'administration ;

- un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; cette consistance légale se détermine à partir de la hauteur de la chute d'eau de la dérivation et du débit maximal dérivable ; l'administration n'apporte pas la preuve que des modifications affectant la hauteur de la chute et le débit maximal dérivé ont été apportées par le passé aux ouvrages du moulin ; au vu des caractéristiques aujourd'hui constatables, soit une hauteur de chute de 1,70 m et d'un débit de 32,61 m²/s , la puissance exploitable du moulin s'élève à 544 kW.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 janvier 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle valoir qu'aucun des moyens soulevés par la requérante n'est fondé.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'énergie ;

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- et les conclusions de M. Mas, rapporteur public.

Une note en délibéré, enregistrée le 29 juin 2022, a été présentée pour la socie´te´ Hydro Energie Muyle France.

Considérant ce qui suit :

1. La société Hydro Energie Muyle France, propriétaire depuis 2008 du moulin dit de La Guerche, édifié en bordure de la Creuse antérieurement à l'édit de Moulins, sur le territoire de la commune de La Guerche, a présenté au préfet d'Indre-et-Loire, en 2010, un projet de remise en état des ouvrages hydroélectriques, consistant notamment à remplacer les deux anciennes turbines hydroélectriques par une turbine hydraulique moderne. Par une décision du 26 mars 2015, le directeur départemental des territoires d'Indre-et-Loire a reconnu l'existence du droit fondé en titre attaché au moulin de La Guerche, assorti d'une consistance légale qu'il a fixée à 66,24 kW. Par un jugement du 14 février 2017, saisi par la société Hydro Energie Muyle France d'une demande tendant à l'annulation de cette décision et à ce que, pour l'exploitation de ses ouvrages du Moulin de La Guerche, le droit fondé en titre pour l'usage des eaux de la Creuse soit établi à hauteur d'une consistance de 544 kW, le tribunal administratif d'Orléans, après avoir requalifié cette demande en recours en interprétation, a fixé la consistance légale de ce droit à 67 kW. Par un arrêt du 5 avril 2019, la cour administrative d'appel de Nantes a rejeté l'appel formé par cette société contre le jugement du tribunal administratif. Par une décision n° 431392 du 8 juillet 2020, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt et renvoyé l'affaire à la cour.

2. Aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'énergie : " Sous réserve des dispositions de l'article L. 511-4, nul ne peut disposer de l'énergie des marées, des lacs et des cours d'eau, quel que soit leur classement, sans une concession ou une autorisation de l'État. ". Aux termes de l'article L. 511-4 du même code : " Ne sont pas soumises aux dispositions du présent livre : / 1° Les usines ayant une existence légale ; (...) ". Enfin aux termes de l'article L. 511-5 du même code : " Sont placées sous le régime de la concession les installations hydrauliques dont la puissance excède 4 500 kilowatts. / Les autres installations sont placées sous le régime de l'autorisation selon les modalités définies à l'article L. 531-1. / La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ".

3. Un droit fondé en titre conserve, en principe, la consistance légale qui était la sienne à l'origine. A défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle. Elle correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut, en théorie, disposer. S'il résulte des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie citées plus haut, que les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions du livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique " du code de l'énergie, leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5 précité, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur.

4. Pour établir que la consistance actuelle du droit fondé en titre du moulin de La Guerche n'est pas conforme à la consistance légale qui était la sienne à l'origine, la ministre de la transition écologique se prévaut de plusieurs documents dressés par différentes administrations depuis le début des années 1980 ainsi que de relevés établis par un géomètre-expert. Ces documents démontrent que les conditions d'écoulement de l'eau dans le canal d'amenée du moulin de La Guerche ont été modifiées depuis son origine, notamment du fait d'un rehaussement de la cote altimétrique du déversoir, intervenu entre 1933 et 1981, et de la transformation de la structure du canal d'amenée. Ces modifications, qui ont nécessairement eu pour effet d'augmenter la hauteur de chute et le débit dérivé, ne peuvent, dès lors, être valablement prises en compte pour déterminer la consistance légale du droit fondé en titre attaché aux ouvrages du moulin de La Guerche. En outre, le document intitulé " Etat des irrigations et usines hydrauliques du département d'Indre et Loire ", qui dresse un inventaire statistique des cours d'eau, usines et irrigations réalisé en 1879 pour le compte du ministère des travaux publics, et fait apparaître pour le cours d'eau en cause au niveau de ce moulin un " volume des eaux motrices " de 4,5 m3/s et une " chute en eaux ordinaires " de 1,5 mètre, ne précise, ni s'il s'agissait du débit moyen ou du débit maximal dérivé, ni l'endroit où cette mesure avait été réalisée, ni enfin la méthode utilisée pour la mesure de la chute. Dans ces conditions, ce document décrivant le plus ancien état connu de l'ouvrage, ne permet pas, à lui seul, au vu des informations qu'il contient, de déterminer la consistance légale du droit fondé en titre attaché aux ouvrages du moulin de La Guerche.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des différences entre les relevés de côtes respectivement réalisées en 1933 et en 1981 par les services de l'Etat et par un géomètre expert, que le rehaussement en béton de la cote altimétrique du déversoir peut être évalué à 20 centimètres et que la hauteur de chute d'eau au droit du Moulin de La Guerche est actuellement de 1,70 mètres. Par suite, la hauteur de chute d'eau au droit du Moulin peut être fixée à 1,50 mètres pour le calcul de la consistance du droit fondé en titre attaché à l'installation. Par ailleurs, il résulte de l'instruction, et notamment des plans et photographies produits, ainsi que de l'avis de l'agence française pour la biodiversité du 23 novembre 2017, que la structure du canal d'amenée, appréciée au niveau du vannage d'entrée dans l'usine, en aval de ce canal, a reçu des modifications depuis l'origine de l'ouvrage, notamment en ce qu'il est actuellement recouvert d'un revêtement en béton et de ce qu'une vanne de décharge a été supprimée. Il résulte de l'instruction que ces modifications ont permis d'augmenter de 50% le débit maximal dérivé du canal d'amenée, actuellement mesuré à 32,61 mètres cubes par seconde. Par suite, le débit maximal dérivé du canal d'amenée peut être fixé, pour le calcul de la consistance du droit fondé en titre attaché à l'installation, à 21,74 mètres. Dès lors, en appliquant le coefficient d'accélération de la pesanteur de 9,81, la consistance légale du droit fondé en titre attaché à la prise d'eau du Moulin de La Guerche correspond à une puissance de 320 kilowatts.

6. Il résulte de tout ce qui précède que la société Hydro Energie Muyle France est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a fixé la consistance du droit fondé en titre attaché au moulin de la Guerche à 67 kW.

7. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Hydro Energie Muyle France, au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rennes du 14 février 2017 est annulé.

Article 2 : La consistance légale du droit fondé en titre attaché à la prise d'eau du moulin dénommé " de La Guerche " exploitée sur la Creuse est fixée à une puissance de 320 kilowatts.

Article 3 : L'Etat versera à la société Hydro Energie Muyle France une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hydro Energie Muyle France et à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires.

Copie en sera adressée, pour information, au préfet d'Indre-et-Loire.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juillet 2022.

Le rapporteur,

A. A...Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT02214


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT02214
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : LE BRIERO

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-05;21nt02214 ?
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