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05/07/2022 | FRANCE | N°21NT01416

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 05 juillet 2022, 21NT01416


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 28 novembre 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) ont refusé de délivrer un visa de long séjour à sa fille alléguée, Ciré A..., au titre du regroupement familial.

Par un jugement n° 2006961 du 31 mars 2021, le tribu

nal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une r...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... D... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 28 novembre 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) ont refusé de délivrer un visa de long séjour à sa fille alléguée, Ciré A..., au titre du regroupement familial.

Par un jugement n° 2006961 du 31 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 26 mai 2021, et des mémoires en production de pièces enregistrés les 7 août et 22 septembre 2021 (ce dernier non communiqué), M. C... D... A..., représenté par Me Kogeorgos, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 26 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer le visa sollicité dans le délai de huit jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier en ce qu'il a méconnu le principe du contradictoire ; le mémoire du ministre enregistré le 1er mars 2021, lui a été communiqué le 4 mars 2021 en vue de l'audience du 10 mars 2021 ; il n'a pas disposé d'un délai suffisant pour y répondre ; le tribunal n'a pas tenu compte ni visé les moyens qu'il a soulevés au sein de son dernier mémoire en réponse ;

- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation ; l'identité et le lien de filiation du demandeur sont établis par les actes d'état civil produits.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. A... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 31 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... D... A... tendant à l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 28 novembre 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises à Conakry (Guinée) ont refusé de délivrer un visa de long séjour à sa fille alléguée, Ciré A..., au titre du regroupement familial. M. A... relève appel de ce jugement.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article L. 5 du code de justice administrative : " L'instruction des affaires est contradictoire. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-1 du même code : " Le président de la formation de jugement peut, par une ordonnance, fixer la date à partir de laquelle l'instruction sera close (...) ". Aux termes de l'article R. 613-2 du même code : " Si le président de la formation de jugement n'a pas pris une ordonnance de clôture, l'instruction est close trois jours francs avant la date de l'audience indiquée dans l'avis d'audience prévu à l'article R. 711-2. (...) ". Aux termes de l'article R. 613-3 du même code : " Les mémoires produits après la clôture de l'instruction ne donnent pas lieu à communication, sauf réouverture de l'instruction. ".

3. Il résulte de ces dispositions que l'instruction écrite est normalement close dans les conditions fixées par l'article R. 613-1 ou bien, à défaut d'ordonnance de clôture, dans les conditions fixées par l'article R. 613-2. Toutefois, lorsque, postérieurement à cette clôture, le juge est saisi d'un mémoire émanant de l'une des parties à l'instance, et conformément au principe selon lequel, devant les juridictions administratives, le juge dirige l'instruction, il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de ce mémoire avant de rendre sa décision, ainsi que de le viser sans l'analyser. S'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, d'en tenir compte - après l'avoir visé et, cette fois, analysé -, il n'est tenu de le faire, à peine d'irrégularité de sa décision, que si ce mémoire contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction écrite et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office. Dans tous les cas où il est amené à tenir compte de ce mémoire, il doit - à l'exception de l'hypothèse particulière dans laquelle il se fonde sur un moyen qu'il devait relever d'office - le soumettre au débat contradictoire, soit en suspendant l'audience pour permettre à l'autre partie d'en prendre connaissance et de préparer ses observations, soit en renvoyant l'affaire à une audience ultérieure.

4. Il ressort des pièces de la procédure que M. A... a adressé des observations écrites le 8 mars 2021 au tribunal administratif de Nantes, soit après la clôture de l'instruction intervenue en application des dispositions précitées de l'article R. 613-2 du code de justice administrative, et avant l'audience publique du 10 mars 2021. Le jugement attaqué, dont les visas ne font pas mention de ce mémoire, est de ce fait entaché d'une irrégularité et doit être annulé, sans qu'il soit besoin d'examiner l'autre moyen d'irrégularité invoqué.

5. Il y a lieu pour la cour de se prononcer immédiatement par la voie de l'évocation sur les conclusions présentées par M. A... devant le tribunal et devant la cour.

6. En premier lieu, en vertu des dispositions de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, désormais repris à l'article D. 312-3 du même code, la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, prise sur recours préalable obligatoire, s'est substituée à la décision consulaire du 28 novembre 2019. Il suit de là que les conclusions à fin d'annulation présentées par M. A... doivent être regardées comme dirigées contre la seule décision de la commission de recours et les moyens dirigés contre la décision de l'autorité consulaire doivent être écartés comme inopérants.

7. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués ".

8. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A... ait demandé la communication des motifs de la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté sa demande. Dans ces conditions, et à supposer qu'il ait été soulevé, le moyen tiré de l'absence de motivation de cette décision implicite ne peut qu'être écarté.

9. En troisième lieu, et d'une part, aux termes de l'article L. 211-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " Pour entrer en France, tout étranger doit être muni : / 1° Des documents et visas exigés par les conventions internationales et les règlements en vigueur (...) ". Aux termes de l'article L. 211-2-1 du même code, alors en vigueur : " (...) Tout étranger souhaitant entrer en France en vue d'y séjourner pour une durée supérieure à trois mois doit solliciter auprès des autorités diplomatiques et consulaires françaises un visa de long séjour (...) ". Aux termes de l'article L. 411-1 du même code, alors en vigueur : " Le ressortissant étranger qui séjourne régulièrement en France depuis au moins dix-huit mois, sous couvert d'un des titres d'une durée de validité d'au moins un an prévus par le présent code ou par des conventions internationales, peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre du regroupement familial, par son conjoint, si ce dernier est âgé d'au moins dix-huit ans, et les enfants du couple mineurs de dix-huit ans. " En vertu de l'article L. 411-2 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Si la venue en France de ressortissants étrangers a été autorisée au titre du regroupement familial, cette circonstance ne fait pas obstacle à ce que l'autorité consulaire use du pouvoir qui lui appartient de refuser leur entrée en France en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur des motifs d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.

10. D'autre part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur, prévoit, en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

11. Enfin, il n'appartient pas aux autorités administratives françaises de mettre en doute le bien-fondé d'une décision rendue par une autorité juridictionnelle étrangère, hormis le cas où le document produit aurait un caractère frauduleux.

12. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des écritures du ministre de l'intérieur, que pour refuser le visa sollicité, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur le motif tiré de ce que l'identité du demandeur de visa, et partant son lien familial à l'égard de M. A..., n'étaient pas établis.

13. A l'appui de la demande de visa présentée pour l'enfant allégué Ciré A..., ont été présentés une copie en date du 27 mars 2018 d'un extrait du registre de l'état civil de la commune de Dalaba attestant de la transcription du jugement supplétif du 26 mars 2018 n°532 du tribunal de paix de Dalaba dans les registres de l'état civil du lieu de naissance pour l'année 2003, ainsi qu'un document e´tabli le 13 de´cembre 2019 par le chef de greffe par inte´rim de la Justice de paix de Dalaba attestant de l'authenticité du jugement supplétif du 26 mars 2018. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève, d'une part, que l'extrait du registre de l'état civil ne mentionne pas le nom de famille du père de Ciré A... et porte les dates en chiffres, en méconnaissance des articles 170 et 79 du code civil guinéen, d'autre part, qu'il n'emporte pas transcription du jugement tenant lieu d'acte de naissance dès lors qu'il se borne à indiquer que le jugement supplétif du 26 mars 2018 tient lieu d'acte de naissance et qu'il est transcrit en marge du registre des naissances de 2003. Par ailleurs, l'âge, la profession et le domicile des parents ne figurent ni dans les jugements supplétifs, ni dans l'acte de naissance prétendument pris en transcription, en méconnaissance de l'article 175 du code civil guinéen. Dès lors, ces actes ne comportent pas les mentions essentielles et suffisantes pour déterminer l'identité des personnes qui y figurent. En outre, le jugement supplétif mentionne une retranscription dans le registre d'état civil de l'année de naissance, ce qui n'est pas conforme aux dispositions de l'article 180 du code civil guinéen qui prévoit que les registres sont clos et arrêtés à la fin de chaque année. Le certificat d'authenticité du jugement supplétif délivré le 13 décembre 2019 par le chef de greffe par intérim de de la Justice de paix de Dalaba comporte plusieurs fautes d'orthographe grossières et ne mentionne pas le fondement juridique sur lequel il a été délivré. Dans ces conditions, et eu égard aux nombreuses anomalies démontrant notamment le caractère frauduleux du jugement produit, lequel ne permet pas en tout état de cause de déterminer l'identité du demandeur de visa, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a pu, sans faire une inexacte application des dispositions précitées, rejeter la demande de visa litigieuse au motif que l'identité et le lien de filiation de Ciré A... à l'égard de M. A... ne sont pas établis.

14. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner la fin de non-recevoir opposée à la demande par le ministre, que les conclusions à fin d'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France présentées par M. A... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que le requérant demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans dépens.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2006961 du 31 mars 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. A... devant le tribunal administratif de Nantes, ainsi que le surplus des conclusions de la requête d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... D... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 17 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 5 juillet 2022.

Le rapporteur,

A. B...Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

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No 21NT01416


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01416
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : KOGEORGOS

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-05;21nt01416 ?
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