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01/07/2022 | FRANCE | N°22NT00739

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 01 juillet 2022, 22NT00739


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2021 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.

Par un jugement n° 2102402 du 15 février 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2022, Mme B... C..., représentée par Me Blache, demande à la cour :

1°) d'a

nnuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 15 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision du ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme C... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 23 septembre 2021 par lequel le préfet du Calvados a refusé de lui délivrer un titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français.

Par un jugement n° 2102402 du 15 février 2022, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2022, Mme B... C..., représentée par Me Blache, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 15 février 2022 ;

2°) d'annuler la décision du 23 septembre 2021 du préfet du Calvados lui refusant le titre de séjour sollicité ;

3°) d'annuler la décision du 23 septembre 2021 du préfet du Calvados lui faisant obligation de quitter le territoire français ;

4°) d'enjoindre au préfet du Calvados, à titre principal, de lui délivrer un certificat de résidence algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de 15 jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et, subsidiairement, de réexaminer sa demande de titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer sans délai dans cette attente une autorisation provisoire de séjour, valant autorisation de travail, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 200 euros sur le fondement des dispositions combinées des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

en ce qui concerne la décision de refus de titre de séjour :

- elle est intervenue en violation de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation au regard de la réalité de son état de santé et des conséquences d'une interruption de sa prise en charge médicale ;

- elle est intervenue en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

en ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle n'est pas suffisamment motivée ;

- elle est intervenue en violation de l'article L. 611-3 9° du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile eu égard à son handicap ;

- elle est intervenue en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation.

Par deux mémoires en défense, enregistrés les 10 mai et 10 juin 2022, le préfet du Calvados conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 9 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié relatif à la circulation, à l'emploi et au séjour des ressortissants algériens et de leurs familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... C..., née le 5 juin 1981, de nationalité algérienne, est entrée régulièrement en France le 11 octobre 2014 munie d'un passeport et d'un visa de court séjour. En réponse à sa demande de délivrance d'un certificat de résidence présentée sur le fondement de l'article 6-7 de l'accord franco-algérien, le préfet du Calvados lui a opposé le 14 octobre 2015 un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. Par un arrêt du 3 avril 2017, la cour administrative d'appel de Nantes a annulé ce jugement et enjoint au préfet du Calvados de délivrer à Mme C... un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. Mme C... a en conséquence obtenu un certificat de résidence valable du 11 juillet 2017 au 10 juillet 2018, renouvelé jusqu'au 28 mars 2020. Saisi par le préfet d'une nouvelle demande de renouvellement, le collège des médecins de l'OFII a rendu le 11 juin 2020 un avis selon lequel l'état de santé de l'intéressée nécessite une prise en charge médicale dont le défaut ne devrait pas entrainer des conséquences d'une exceptionnelle gravité. Par un arrêté du 23 septembre 2021, le préfet du Calvados a refusé d'admettre Mme C... au séjour et l'a obligée à quitter le territoire français. Mme C... relève appel du jugement du 15 février 2022 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation de ces décisions.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui. ".

3. Il ressort des pièces du dossier que Mme C..., ressortissante algérienne âgée de quarante ans à la date de la décision préfectorale lui refusant le titre de séjour sollicité, a séjourné régulièrement en France durant quatre ans et demi au bénéfice d'un certificat de résidence portant la mention " vie privée et familiale ". Elle a bénéficié à cette occasion de soins consécutifs à sa quasi cécité, dès lors qu'elle ne voit plus d'un œil, qui reste douloureux, et que l'autre présente une vision réduite à moins de 1/10ème après correction en raison d'un glaucome congénital bilatéral. Cette situation sanitaire évolue défavorablement alors même qu'elle bénéficie d'un suivi pluri annuel, associé à un traitement, assuré en dernier lieu par le chef de service en ophtalmologie du CHU de Caen, et complété par des consultations dans une clinique spécialisée en ophtalmologie à Paris. En 2018 elle s'est vue reconnaitre la qualité de travailleuse handicapée et son taux d'incapacité a été estimé supérieur ou égal à 80 % par la commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées du Calvados en mars 2021. En France elle bénéficie depuis son arrivée du soutien actif de son frère et de sa sœur, ressortissants français salariés établis dans le Calvados, ainsi que d'autres membres de sa famille, qui l'ont hébergée avant qu'elle ne parvienne à louer un logement avec leur aide à Caen en janvier 2021. En 2015 elle s'est attachée à améliorer sa pratique de la langue française afin de débuter une formation au braille, qu'elle a entamée en 2018 et poursuivie par une formation en qualité d'employée administrative et d'accueil qui lui a permis d'obtenir, par arrêté du ministre du travail du 6 avril 2018, le titre professionnel correspondant. Elle établit ses recherches d'un emploi depuis lors et produit, au surplus, une attestation du président de la région Normandie faisant état d'une proposition d'emploi temporaire comme assistante administrative à compter de mai 2022. Elle établit également son inscription à un réseau de transport dédié aux personnes handicapées. Elle est également membre active bénévole de diverses associations dont Terre des hommes, devenue ACDIS, depuis 2016, le LATRA (Laboratoire de traduction et de recherche pour aveugles et Amblyopes) ou l'association Valentin Haüy. Elle établit également s'être constituée en France un réseau amical, notamment à l'occasion de ses activités associatives, et produit au surplus l'attestation du 24 octobre 2021 d'un ressortissant algérien établi régulièrement en France faisant état de leur projet de mariage ainsi que des éléments sur leur vie maritale. Il est par ailleurs établi que sa proche famille, dont elle dépendrait en cas de retour en Algérie, est désormais réduite à sa mère, son père étant décédé en 2016, installée dans une petite ville de Kabylie. Il résulte de ce qui précède, essentiellement au regard de la qualité et de l'intensité de l'insertion de Mme C... depuis son entrée en France malgré les obstacles inhérents à son handicap, qu'elle est fondée à soutenir que la décision préfectorale lui refusant le titre de séjour sollicité est intervenue en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et qu'elle soit être annulée pour ce motif.

4. Par voie de conséquence de l'annulation de cette décision, il y a lieu également de décider l'annulation de la décision du préfet du Calvados du même jour obligeant Mme C... à quitter le territoire français.

5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens soulevés, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande d'annulation des décisions du 23 septembre 2021 du préfet du Calvados lui refusant le titre de séjour sollicité et l'obligeant à quitter le territoire français.

Sur les conclusions aux fins d'injonction sous astreinte :

6. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet du Calvados de délivrer à Mme C... le certificat de résidence d'algérien mentionné à l'article 6 de l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 modifié, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire dans les circonstances de l'espèce de prononcer une astreinte.

Sur les frais d'instance :

7. Mme C... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Blache dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 2102402 du tribunal administratif de Caen du 15 février 2022 est annulé.

Article 2 : Les décisions du 23 septembre 2021 du préfet du Calvados refusant à Mme C... le titre de séjour sollicité et l'obligeant à quitter le territoire français sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint au préfet du Calvados de délivrer à Mme C... un certificat de résidence d'algérien portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : L'Etat versera à Me Blache la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat à la mission d'aide juridictionnelle.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié Mme B... C..., à Me Blache et au ministre de l'intérieur.

Une copie en sera transmise pour information au préfet du Calvados.

Délibéré après l'audience du 14 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2022.

Le rapporteur,

C. A...

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00739


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00739
Date de la décision : 01/07/2022
Type d'affaire : Administrative

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : BLACHE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-01;22nt00739 ?
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