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01/07/2022 | FRANCE | N°21NT03284

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 01 juillet 2022, 21NT03284


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement, ou à défaut chacun pour son fait ou sa faute, M. C..., la société Egis Bâtiments Centre-Ouest, la société Dekra Industrial et la société Cardinal B... à lui verser la somme de 926 139 euros au titre des travaux de reprise nés des désordres affectant le collège d'Orgères, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et capitalisation des intérêt

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Par un jugement n° 1801258 du 24 septembre 2021, le tribunal administratif de Re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département d'Ille-et-Vilaine a demandé au tribunal administratif de Rennes de condamner conjointement et solidairement, ou à défaut chacun pour son fait ou sa faute, M. C..., la société Egis Bâtiments Centre-Ouest, la société Dekra Industrial et la société Cardinal B... à lui verser la somme de 926 139 euros au titre des travaux de reprise nés des désordres affectant le collège d'Orgères, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la requête et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1801258 du 24 septembre 2021, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 23 novembre 2021 et le 8 avril 2022, ainsi qu'un mémoire enregistré le 10 juin 2022 qui n'a pas été communiqué, le département d'Ille-et-Vilaine, représenté par Me Fekri, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 septembre 2021 du tribunal administratif de Rennes ;

2°) de condamner conjointement et solidairement, ou à défaut chacun pour son fait ou sa faute, M. C..., la société Egis Bâtiments Centre-Ouest, la société Dekra Industrial et la société Cardinal B... à lui verser la somme de 926 139 euros au titre des travaux de reprise résultant des désordres affectant le collège d'Orgères, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête et capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge conjointe et solidaire, ou à défaut chacun pour son fait ou sa faute, de M. C..., de la société Egis Bâtiments Centre-Ouest, de la société Dekra Industrial et de la société Cardinal B... la somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la responsabilité décennale des constructeurs est engagée ; le caractère décennal des désordres devait être apprécié au regard de l'état du complexe d'isolation et de couverture mis en œuvre en toiture ; les désordres identifiés présentent un tel caractère eu égard aux conclusions de l'expert ; la membrane d'étanchéité s'est détériorée au point de la rendre impropre à sa destination du fait de l'atteinte à l'isolation et l'étanchéité de la toiture ; cette détérioration est la conséquence d'un gonflement des dalles d'isolant et de leur désolidarisation ; en tout état de cause ces désordres nuisent également à la solidité du bâtiment abritant le collège ; le désordre est évolutif et de nouvelles infiltrations sont apparues dans le bâtiment ;

- les désordres trouvent leur origine dans l'inadaptation des dalles/panneaux d'isolation Efisol, ainsi qu'il résulte du rapport d'expertise ;

- la responsabilité des constructeurs est engagée alors même qu'il s'agit d'une inadaptation des matériaux utilisés ; la responsabilité de la maitrise d'œuvre est engagée dès lors qu'elle était notamment chargée de prescrire la nature et la qualité des matériaux à employer et de s'assurer de leur spécification technique ; le groupement de maitrise d'œuvre étant solidaire la responsabilité conjointe et solidaire de M. C... et de la société EGIS Bâtiments centre-ouest est engagée ; la responsabilité de la société Dekra Industrial, venant aux droits de la société Norisko Construction, est engagée eu égard à la mission L qui lui a été confiée, et en raison du défaut de solidité incluant le défaut d'étanchéité de l'ouvrage et en l'absence d'un avis technique quant à la mise en place d'un élément ayant engendré le désordre ; la responsabilité de la société Cardinal B..., titulaire du marché de travaux, est engagée, alors même qu'elle a sous-traité le lot étanchéité, au regard de ses propres manquements et de ceux de son sous-traitant ;

- la responsabilité conjointe et solidaire de ces sociétés sera retenue et à défaut, chacun pour son fait ou sa faute ;

- le département sera indemnisé intégralement de ses préjudices, dont 823 233,86 euros TTC au titre des travaux de couverture et de réfection des désordres intérieurs, de 82 323,39 euros TTC au titre des frais de maitrise d'œuvre, de 12 348,51 euros TTC au titre des frais de contrôle technique, de 8 323,24 euros TTC au titre des frais de CSPS, soit 926 139euros TTC ; la réalisation d'un système de réservation et d'étanchéité ne constitue pas une plus-value s'agissant strictement de travaux réparatoires ; aucun coefficient de vétusté ne sera appliqué en l'absence de plus-value apportée à l'ouvrage, alors qu'aucun justificatif n'est apporté sur la durée de vie du complexe d'étanchéité et que rien n'établit un défaut d'entretien de l'ouvrage.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 décembre 2021, et un mémoire enregistré le 21 avril 2022 qui n'a pas été communiqué, la société Egis Bâtiments centre-ouest, représentée par Me Cartron, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du département d'Ille-et-Vilaine ;

2°) subsidiairement, de prendre en compte la vétusté et l'absence d'entretien des locaux pour réduire la demande du département et de condamner la société Cardinal, M. C... et la société Dekra à la garantir de toute condamnation ;

3°) à titre principal de mettre à la charge du département d'Ille-et-Vilaine, et subsidiairement de la société Cardinal, de M. C... et de la société Dekra in solidum, une somme de 8 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le département d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, la responsabilité de la maitrise d'œuvre n'est pas engagée, eu égard aux conclusions de l'expert, en l'absence de faute au regard de la conduite de sa mission, alors que le produit Efisol disposait d'un avis technique, et qu'aucun reproche ne peut être fait au titre de la direction des travaux et l'assistance du maitre d'ouvrage à la réception ;

- subsidiairement, si la responsabilité du groupement de maitrise d'œuvre devait être engagée, seule celle de M. C... serait engagée du fait de sa responsabilité au regard des lots architecture et paysages et de la convention de sous-traitance ; en tout état de cause la responsabilité de la société Cardinal B... est engagée dès lors que son sous-traitant a posé les dalles Efisol ainsi que celle de la société Dekra en sa qualité de contrôleur technique ; le coût des travaux ne pourrait excéder 612 076,55 euros HT sauf à prendre en compte à deux reprises des travaux de mise en conformité ; les frais de maitrise d'œuvre, de contrôle technique et de coordonnateur CSPS sont injustifiés et le montant des devis est trop élevé ; un coefficient de vétusté sera appliqué pour le calcul du coût des réparations en l'absence également de tout entretien courant.

Par un mémoire enregistré le 3 février 2022, la société Dekra Industrial, représentée par Me Loctin, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du département d'Ille-et-Vilaine ;

2°) subsidiairement, de rejeter toute demande présentée à son encontre ;

3°) à titre plus subsidiaire :

. de limiter le montant des travaux de réfection à la somme de 612 076,55 euros HT, en appliquant un coefficient de vétusté de 28 % et de rejeter les demandes du département présentées au titre des frais annexes ;

. de condamner in solidum M. C..., la société Egis Batiments centre-ouest et la société Cardinal B... à la garantir de toute condamnation prononcée à son encontre ;

. de limiter toute condamnation qui resterait à sa charge à 5 % du montant total des condamnations, ou à tout le moins au montant correspondant à la part qui serait mise à sa charge ;

4°) de mettre à la charge du département d'Ille-et-Vilaine, une somme de 6 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le département d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, les conditions de mise en œuvre de la responsabilité décennale ne sont pas remplies eu égard à la spécificité de sa mission de contrôleur technique telle qu'elle résulte de la loi et du cadre contractuel opposable alors que les griefs présentés sont extérieurs à sa mission ; il s'agit des conséquences d'un vice d'un matériau totalement imputable à son fabricant qui est exonératoire de sa responsabilité ;

- subsidiairement, le coût des travaux ne pourrait excéder 612 076,55 euros HT sauf à prendre en compte à deux reprises des travaux de mise en conformité ; les frais de maitrise d'œuvre, de contrôle technique et de coordonnateur SPS sont injustifiés et le montant des devis est trop élevé ; un coefficient de vétusté sera appliqué pour le calcul du coût des réparations ; aucune condamnation solidaire ne pourra la concerner au titre des frais irrépétibles en l'absence de faute commune des parties ; elle sera garantie intégralement par M. C..., la société Egis Bâtiments centre-ouest et la société Cardinal B... de toute condamnation prononcée à son encontre ; toute condamnation serait limitée à 5 % du montant total des condamnations, ou à tout le moins le montant correspondant à la part qui serait mise à sa charge eu égard à sa mission singulière.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 janvier 2022, la société Cardinal B..., représentée par Me André, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du département d'Ille-et-Vilaine et toute demande de garantie la concernant ;

2°) subsidiairement, de limiter le montant des sommes allouées au département à 638 501,31 euros au titre des frais de réparation, à 24 542 euros HT au titre des frais annexes, de ne prévoir un versement au titre de la TVA qu'au titre des frais de réparation, d'appliquer un coefficient de vétusté de 30 % sur les travaux de réfection, et de limiter à 30 % maximum sa part de responsabilité ;

3°) de condamner in solidum les sociétés Egis bâtiments centre-ouest, Dekra et M. C... à la garantir de toute condamnation la concernant dans la limite de la part de responsabilité résiduelle lui étant imputée ;

4°) de mettre à la charge in solidum, ou l'un à défaut de l'autre, du département d'Ille-et-Vilaine, des sociétés Egis Bâtiments centre-ouest, Dekra et de M. C... une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les moyens soulevés par le département d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, le coût des travaux a été artificiellement majoré par l'expert qui a pris en compte à deux reprises des travaux de mise en conformité ; le montant des devis portant sur les travaux de reprise est trop élevé et le coût des travaux sera limité à 638 501,31 euros HT ; les frais de maitrise d'œuvre, de contrôle technique et de coordonnateur CSPS sont injustifiés et le montant des devis au titre des frais annexes est trop élevé ; l'indemnisation sera allouée hors taxe dès lors que la société SEO est responsable du dommage à l'origine des désordres et le taux de TVA applicable est de 3,596 % dès lors que le département dispose du FCTVA ; un coefficient de vétusté de 30 % sera appliqué pour le calcul du coût des réparations ; sa responsabilité sera limitée à 30 % eu égard à la responsabilité prépondérante de la maitrise d'œuvre dans la survenance des désordres.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2022, M. D... C..., représenté par Me Groleau, demande à la cour :

1°) de rejeter la requête du département d'Ille-et-Vilaine ;

2°) subsidiairement, de condamner solidairement les sociétés Egis Bâtiments centre-ouest, Cardinal B... et Dekra Industrial à le garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ;

3°) de mettre à la charge du département d'Ille-et-Vilaine ou, subsidiairement et solidairement, des sociétés Egis Bâtiments centre-ouest, Dekra et Cardinal B... une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le département d'Ille-et-Vilaine ne sont pas fondés ;

- subsidiairement, les sociétés Egis Bâtiments centre-ouest, Cardinal B... et Dekra seront condamnés à le garantir de toute condamnation qui serait prononcée à son encontre ; la société Cardinal B... a procédé de manière défectueuse à la mise en œuvre d'un produit défectueux ; la responsabilité de la société Egis Bâtiments centre-ouest est engagée du fait de sa mission technique de conception, chargée de la rédaction du cahier des clauses techniques particulières et de la détermination des matériaux à utiliser ; dès lors qu'une faute de conception est établie, la responsabilité du contrôleur technique est engagée.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de la construction et de l'habitation ;

- le code général des impôts ;

- le décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. A...,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Fekri, représentant le département d'Ille-et-Vilaine, de Me Groleau, représentant M. C..., de Me Cartron, représentant la société Egis Bâtiments centre-ouest, de Me Huet, représentant la société Dekra Industrial, de Me Courant, représentant la société Cardinal B....

Considérant ce qui suit :

1. Le département d'Ille-et-Vilaine a entrepris en 2004 les travaux de construction d'un collège situé à Orgères. Par acte d'engagement du 22 janvier 2004, il a confié la maîtrise d'œuvre à un groupement composé notamment de M. C... et de la société OTH Ouest, devenue Egis Bâtiments centre-ouest. La mission de contrôle technique a été confiée, par une convention signée le 26 janvier 2004, à la société Norisko Construction, devenue Dekra Industrial. Par acte d'engagement du 19 juillet 2004, le marché de travaux a été attribué à la société Cardinal B..., qui a sous-traité les travaux d'étanchéité à la société d'Étanchéité de l'Ouest (SEO). L'ouvrage a été réceptionné avec des réserves sans lien avec le désordre en litige le 7 octobre 2005, avec effet au 20 juillet 2005. A partir de 2008, le département d'Ille-et-Vilaine a constaté l'apparition de désordres, sous la forme d'infiltrations provenant de la toiture. Il a été constaté, lors d'une visite de ses services techniques au printemps 2011, une détérioration globale du complexe d'étanchéité. La société Cardinal B... a alors diligenté une expertise amiable. Par courrier du 9 mars 2012 le département d'Ille-et-Vilaine a mis en demeure cette société de remédier aux désordres constatés dans un délai de trente jours. Par deux ordonnances du 28 juin 2012 et du 29 novembre 2012, le président du tribunal de grande instance de Rennes a ordonné une expertise et désigné M. de Bermingham en qualité d'expert, étendant notamment les opérations d'expertise aux sociétés Cardinal B..., Dekra Industrial, Egis Bâtiments centre-ouest et à M. C.... L'expert a établi son rapport définitif le 16 juin 2015. Le département d'Ille-et-Vilaine a alors demandé au tribunal administratif de Rennes la condamnation de ces sociétés sur le fondement de la garantie décennale des constructeurs. Par un jugement du 24 septembre 2021 le tribunal administratif de Rennes a rejeté cette demande. Le département d'Ille-et-Vilaine relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il résulte des principes qui régissent la garantie décennale des constructeurs que des désordres apparus dans le délai d'épreuve de dix ans, de nature à compromettre la solidité de l'ouvrage ou à le rendre impropre à sa destination dans un délai prévisible, engagent leur responsabilité, même s'ils ne se sont pas révélés dans toute leur étendue avant l'expiration du délai de dix ans.

3. Il résulte de l'instruction, en particulier du rapport du 16 juin 2015 de l'expert missionné par le tribunal de grande instance de Rennes, que le collège Andrée Récipon situé à Orgères est affecté d'infiltrations d'eau en provenance de sa toiture. Ce rapport indique au titre des désordres relevés à la date d'expertise la présence de faibles traces de dégâts des eaux, notamment en raison de travaux de réfection régulière, et l'absence de " désordre significatif d'infiltration d'eau ". Ces entrées d'eau sont en effet liées à la pose de dalles isolantes Efisol composées de mousse polyuréthane sur le toit plat de la construction qui, sous l'effet de l'humidité, se sont rétractées et ont gonflé en leur centre. Ceci a provoqué des plis de la membrane d'étanchéité, son décollement principalement sur les joints de dilatations et sur les couvertures, ainsi que des microfissurations, qui ont été à l'origine des infiltrations d'eau dans le bâtiment. L'expert conclut à une déformation irréversible des dalles Efisol justifiant la nécessaire dépose de la totalité de la couverture, seul moyen de " restaurer l'intégrité de l'étanchéité et l'efficacité de l'isolation ", ainsi qu'au nécessaire remplacement de dalles suspendues du faux plafond de l'établissement. Il résulte par ailleurs de pièces présentées pour la première fois en appel, que les entrées d'eau en provenance de la toiture se sont poursuivies, voire amplifiées depuis l'expertise. Il est ainsi désormais justifié de factures acquittées pour des travaux de réparation de l'étanchéité de la toiture terrasse du bâtiment en avril 2017 et juin 2018, pour des montants conséquents, à la suite de l'apparition respectivement de six et trois fuites localisées. Le gestionnaire du collège atteste également de manière circonstanciée de la réitération de ces fuites depuis 2010 avec la nécessité de placer et vider régulièrement des seaux de récupération de l'eau dans les faux plafonds de l'établissement, avec un épisode justifiant l'utilisation comme réceptacle d'une poubelle de 100 litres. Il est également fait état de changements de carrés de moquette en conséquence des infiltrations, de la nécessaire révision d'instruments de musique du collège en conséquence d'une entrée d'eau en salle de musique survenue en 2021 et de l'utilisation d'un aspirateur à eau. Dans ces conditions, eu égard aux conclusions du rapport d'expertise, les désordres constatés au cours du délai d'épreuve décennale ont été de nature à rendre l'ouvrage dans un délai prévisible impropre à sa destination. Il s'ensuit que le département d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande d'indemnisation au motif que la responsabilité décennale des constructeurs n'était pas engagée au cas d'espèce. Il appartient alors à la cour, saisie par l'effet dévolutif de l'appel, de rechercher s'il y a lieu de faire droit à la demande indemnitaire du département d'Ille-et-Vilaine.

En ce qui concerne l'imputabilité des désordres :

4. Le constructeur dont la responsabilité est recherchée sur le fondement de la garantie décennale ne peut en être exonéré, outre les cas de force majeure et de faute du maître d'ouvrage, que lorsque, eu égard aux missions qui lui étaient confiées, il n'apparaît pas que les désordres lui soient en quelque manière imputables.

5. En premier lieu, il résulte de l'instruction que la mission de maitrise d'œuvre de l'opération de construction du collège a été confiée à un groupement solidaire composé notamment de M. D... C..., architecte, et de la société OTH Ouest, devenue Egis Bâtiments centre-ouest, bureau d'études techniques, dont le département d'Ille-et-Vilaine recherche la responsabilité. Ce groupement s'est vu confier une mission de projet sommaire comprenant, en application de l'article 5 du décret n° 93-1268 du 29 novembre 1993 relatif aux mission de maitrise d'œuvre, les études du projet ayant notamment pour objet de " préciser par des plans, coupes et élévations (...) les caractéristiques des matériaux. ". Or les désordres affectant le collège trouvent leur origine dans le choix et la pose de dalles inadaptées pour l'isolation de la toiture terrasse, alors même qu'à la date de leur pose une telle inadaptation n'était pas connue. Il s'ensuit que la responsabilité de M. D... C..., architecte, et de la société Egis Bâtiments centre-ouest, venant aux droits de la société OTH Ouest, est engagée.

6. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que la société Cardinal B... était titulaire du marché relatif à la construction du collège d'Orgères. La responsabilité de cette société est en conséquence également engagée alors même d'une part qu'elle a confié à la société SEO, par un contrat de sous-traitance du 24 juillet 2004, les travaux d'étanchéité de la construction, dès lors qu'elle doit répondre de son sous-traitant, et d'autre part que la qualité de son travail n'est pas mise en cause par l'expert.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 111-23 du code de la construction et de l'habitation, dans sa rédaction applicable : " Le contrôleur technique a pour mission de contribuer à la prévention des différents aléas techniques susceptibles d'être rencontrés dans la réalisation des ouvrages. / Il intervient à la demande du maître de l'ouvrage et donne son avis à ce dernier sur les problèmes d'ordre technique. Cet avis porte notamment sur les problèmes qui concernent la solidité de l'ouvrage et la sécurité des personnes ". Aux termes de l'article L. 111-24 du même code, dans sa rédaction applicable : " Le contrôleur technique est soumis, dans les limites de la mission à lui confiée par le maître de l'ouvrage à la présomption de responsabilité édictée par les articles 1792, 1792-1 et 1792-2 du code civil, reproduits aux articles L. 111-13 à L. 111-15, qui se prescrit dans les conditions prévues à l'article 2270 du même code reproduit à l'article L. 111-20. (...) ". Il résulte de ces dispositions que l'obligation de garantie décennale s'impose non seulement aux architectes et aux entrepreneurs, mais également au contrôleur technique lié par contrat au maître de l'ouvrage dans la limite de la mission qui lui a été confiée.

8. Le département d'Ille-et-Vilaine soutient que la responsabilité de la société Norisko Construction, aux droits de laquelle vient la société Dekra Industrial, est engagée eu égard à la mission L relative à la solidité de l'ouvrage qui lui a été confiée. Il résulte de l'instruction que la société Norisko Construction a conclu avec le département d'Ille-et-Vilaine, le 26 janvier 2004, une convention de contrôle technique de l'opération de construction du collège d'Orgères incluant une " mission L solidité des ouvrages et éléments d'équipements indissociables ". Au titre de cette mission " L ", l'article 2 du titre 2 des conditions générales d'intervention, figurant parmi les pièces contractuelles annexées à la convention, précise que " Les aléas techniques à la prévention desquels le contrôle technique contribue au titre de la mission L sont ceux qui, découlant de défauts dans l'application des textes techniques à caractère réglementaire ou normatif, sont susceptibles de compromettre la solidité de la construction achevée ou celle d'ouvrages et éléments d'équipement indissociables qui la constituent. ".

9. Si, ainsi qu'il a été exposé au point 3, les désordres constatés au collège d'Orgères ont été de nature à rendre l'ouvrage impropre à sa destination, il ne résulte pas de l'instruction que la solidité même de cet ouvrage serait en cause de ce fait, étant observé qu'il a été réceptionné en 2005 et qu'il est utilisé depuis lors sans discontinuer. Par ailleurs, il résulte de l'instruction que les désordres constatés trouvent leur origine unique dans l'utilisation d'un matériau, les dalles isolantes Efisol, dont l'expert relève qu'il n'était pas considéré comme défectueux à l'époque où il a été utilisé. Il s'ensuit, eu égard aux éléments constitutifs de la mission confiée à la société Dekra Industrial que la responsabilité de celle-ci n'est pas engagée en l'espèce faute de désordres imputables à ses prestations contractuellement définies.

10. Il résulte de ce qui précède que la responsabilité solidaire de M. C..., de la société Egis Bâtiments Centre-Ouest et de la société Cardinal B... est engagée solidairement à l'égard du département d'Ille-et-Vilaine.

En ce qui concerne les préjudices :

11. Il résulte de l'instruction, par référence au rapport d'expertise produit, que les désordres affectant la toiture du collège Andrée Récipon nécessitent la reprise de la totalité de sa couverture. L'expert a fixé le coût de ces travaux à 588 945,50 euros HT et 706 734,60 euros TTC auxquels il a ajouté des frais de mise aux normes justifiés par l'adoption d'une nouvelle réglementation thermique, pour un montant de 84 582,72 euros HT ainsi que 15 000 euros TTC en raison de travaux effectués par le département pour remédier ponctuellement aux dégâts subis au sein du collège, soit un total de 823 233,86 euros TTC. Le département d'Ille-et-Vilaine demande, outre le paiement de cette somme, le versement de 82 323,39 euros TTC au titre des frais de maitrise d'œuvre nécessités par les travaux de réfection, de 12 348,51 euros TTC au titre des frais de contrôle technique, et de 8 232,24 euros TTC pour les frais de coordination de sécurité et prévention de la santé, soit un total de 926 139 euros TTC.

12. En premier lieu, il y a lieu d'écarter de l'indemnisation due au département d'Ille-et-Vilaine le coût des frais de mise aux normes justifiés par l'adoption d'une nouvelle réglementation thermique, fixé à 84 582,72 euros HT par l'expert, dès lors qu'ils n'étaient pas prévus par le marché initial. Alors même qu'ils seraient indispensables pour remédier aux désordres, ils s'analysent comme une amélioration par rapport aux prévisions du marché et le département n'est pas fondé à soutenir qu'il aurait droit à une indemnisation au titre de tels travaux.

13. En deuxième lieu, il résulte du rapport d'expertise que le coût des travaux de réparation de la toiture du collège a été estimé par l'expert par référence à deux devis, dont l'un intègre la somme de 84 582,72 euros citée au point précédent qu'il convient d'exclure de ce calcul. Par référence à ces deux devis, et au terme d'une juste appréciation, le coût de ces travaux peut être fixé à 560 000 euros HT.

14. En troisième lieu, ainsi que le fait valoir le département, ces travaux généreront des frais de maitrise d'œuvre, de contrôle technique, et de coordination de sécurité et prévention de la santé, sachant que l'entreprise qui effectuera ces travaux ne sera pas nécessairement celle qui avait déjà travaillé en 2005 pour la collectivité et qu'il s'agit d'un chantier conséquent concernant la réfection d'un toit plat. Par référence à la somme de 560 000 € HT prévue au point précédent, ces frais complémentaires peuvent être fixés à 70 000 € HT.

15. En quatrième lieu, le montant du préjudice dont le maître d'ouvrage est fondé à demander l'indemnisation aux constructeurs, au titre de la garantie décennale, correspond aux frais qu'il doit engager pour les travaux de réfection. Or ces frais comprennent, en règle générale, la taxe sur la valeur ajoutée, élément indissociable du coût des travaux, à moins que le maître d'ouvrage ne relève d'un régime fiscal lui permettant normalement de déduire tout ou partie de cette taxe de celle qu'il a collectée à raison de ses propres opérations. Dans ces conditions, il appartient aux constructeurs mis en cause d'apporter au juge tout élément de nature à remettre en cause la présomption de non assujettissement des collectivités territoriales et de leurs groupements à la taxe sur la valeur ajoutée et à établir que le montant de celle-ci ne doit pas être inclus dans le montant du préjudice indemnisable. Par ailleurs, aux termes du premier alinéa de l'article 256 B du code général des impôts : " Les personnes morales de droit public ne sont pas assujetties à la taxe sur la valeur ajoutée pour l'activité de leurs services administratifs, sociaux, éducatifs, culturels et sportifs lorsque leur non-assujettissement n'entraîne pas de distorsions dans les conditions de la concurrence ".

16. En l'espèce, si la société Cardinal B... indique que le département peut récupérer au moins partiellement la taxe sur la valeur ajoutée, en se référant aux dotations perçues du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée, ou qu'il peut bénéficier d'une dispense de versement de TVA, aucun élément de l'instruction ne permet de renverser la présomption de non-assujettissement du département à la TVA. Par suite, la société intimée n'est pas fondée à soutenir qu'il conviendrait de prononcer une condamnation hors taxe ou avec un taux de TVA réduit.

17. En cinquième lieu, la vétusté d'un bâtiment peut donner lieu, lorsque la responsabilité contractuelle ou décennale des entrepreneurs et architectes est recherchée à l'occasion de désordres survenus dans un bâtiment, à un abattement affectant l'indemnité allouée au titre de la réparation des désordres. Elle doit être appréciée à la date d'apparition des désordres.

18. Il résulte du rapport d'expertise que les premiers désordres nés d'infiltrations en provenance de la toiture de la construction sont survenus dès 2008, soit seulement trois ans après la réception des travaux. Dans ces conditions, compte-tenu du faible délai qui s'est écoulé entre l'achèvement des constructions et la survenance des désordres, il n'y a pas lieu en l'espèce d'appliquer un coefficient de vétusté.

19. Il résulte de ce qui précède que le droit à indemnisation du département d'Ille-et-Vilaine peut se calculer par référence à une somme de 672 560 euros TTC, à laquelle s'ajoute une somme de 84 000 euros TTC, soit 756 560 euros TTC. A ce montant s'ajoute également la somme de 15 000 euros TTC évaluée par l'expert correspondant à l'indemnisation des travaux effectués par le département afin de remédier dans le passé aux désordres nés des infiltrations successives, soit un total de 771 560 euros TTC.

Sur les appels en garantie :

20. Ainsi qu'il a été exposé, le désordre trouve son origine principale dans le choix et la pose de dalles isolantes en toiture qui se sont révélées ultérieurement inadaptées à cet usage. L'instruction ne met en évidence aucune faute de M. C... ou des sociétés Egis Bâtiments centre-ouest et Cardinal B... dans la survenance de ces désordres. Par ailleurs, il résulte de la décomposition du forfait de rémunération du groupement de maitrise d'œuvre solidaire que tant la société OTH Ouest, aux droits de laquelle vient la société Egis Bâtiments centre-ouest, que M. C... ont notamment contribué aux études d'avant-projet. Enfin, eu égard à ce qui a été exposé au point 9 aucun appel en garantie concernant la société Dekra Industrial ne peut prospérer. Il s'ensuit que les appels en garantie formés par la société Egis Bâtiments centre-ouest, par la société Cardinal B... et par M. C... ne peuvent qu'être rejetés.

21. Il résulte de tout ce qui précède que le département d'Ille-et-Vilaine est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rennes a rejeté sa demande indemnitaire. Il y a lieu en conséquence de mettre à la charge solidaire de M. C..., de la société Egis Bâtiments centre-ouest, venant aux droits de la société OTH Ouest, et de la société Cardinal B..., au bénéfice du département d'Ille-et-Vilaine, la somme de 771 560 euros TTC.

Sur les intérêts et la capitalisation des intérêts :

22. Le département d'Ille-et-Vilaine a droit, ainsi qu'il le demande, aux intérêts au taux légal sur la somme de 771 560 euros à compter du 23 novembre 2021, date d'enregistrement de sa requête, sans qu'il y ait lieu, en l'absence d'écoulement d'une année d'intérêts, de faire droit à sa demande de capitalisation.

Sur les frais d'instance :

23. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à l'octroi d'une somme au titre des frais exposés et non compris dans les dépens à la partie perdante. Il y a lieu, dès lors, de rejeter les conclusions présentées à ce titre par la société Dekra Industrial à l'encontre du département d'Ille-et-Vilaine, ainsi que celles présentées par les sociétés Egis Bâtiments centre-ouest, Cardinal B... et M. C... à l'encontre de cette collectivité. En revanche, il convient, dans les circonstances de l'espèce, de mettre respectivement à la charge des sociétés Egis Bâtiments centre-ouest et Cardinal B... et de M. C..., sur le fondement des mêmes dispositions, la somme de 600 euros chacun au titre des frais exposés par le département d'Ille-et-Vilaine.

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1801258 du 24 septembre 2021 du tribunal administratif de Rennes est annulé.

Article 2 : M. D... C..., la société Egis Bâtiments centre-ouest et la société Cardinal B... verseront solidairement au département d'Ille-et-Vilaine la somme de 771 560 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 23 novembre 2021.

Article 3 : Les sociétés Egis Bâtiments centre-ouest, Cardinal B... et M. C... verseront chacun au département d'Ille-et-Vilaine une somme de 600 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié au département d'Ille-et-Vilaine, à M. C..., à la société Egis Bâtiments centre-ouest, à la société Dekra Industrial à la société Cardinal B....

Délibéré après l'audience du 14 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 1er juillet 2022.

Le rapporteur,

C. A...

Le président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au préfet d'Ille-et-Vilaine en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT03284


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT03284
Date de la décision : 01/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: M. Christian RIVAS
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : LOCTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-07-01;21nt03284 ?
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