La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

24/06/2022 | FRANCE | N°21NT01952

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 24 juin 2022, 21NT01952


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 septembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince (Haïti) du 3 mars 2020 refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. I... B... en qualité d'enfant étranger de ressortissant français.

Par un jugement no 2012578 du 7

juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé la décision du 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. I... B... et M. D... B... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 23 septembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision des autorités consulaires françaises à Port-au-Prince (Haïti) du 3 mars 2020 refusant de délivrer un visa d'entrée et de long séjour à M. I... B... en qualité d'enfant étranger de ressortissant français.

Par un jugement no 2012578 du 7 juin 2021, le tribunal administratif de Nantes a, d'une part, annulé la décision du 23 septembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, et, d'autre part, enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer un visa de long séjour à M. I... B... dans un délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 juillet 2021, le ministre de l'intérieur demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par MM. B... devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a considéré que la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France était entachée d'erreur d'appréciation ;

- aucun des moyens invoqués par MM. B... n'est fondé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 18 février 2022, M. I... B... et M. D... B..., représentés par Me Louisa, concluent :

1°) au rejet de la requête ;

2°) à ce qu'il soit mis à la charge de l'État une somme de 1 500 euros au profit de Me Louisa en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, ou au profit de M. I... B... en cas de refus d'aide juridictionnelle provisoire au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- les moyens soulevés par le ministre ne sont pas fondés ;

- la décision attaquée est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'erreur d'appréciation, le lien de filiation allégué étant établi par les actes d'état civil produits ainsi que par la possession d'état ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Par une décision du 16 mai 2022, le bureau d'aide juridictionnelle du tribunal de grande instance de Nantes a accordé à M. I... B... le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi no 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Le 15 janvier 2020, M. I... B..., ressortissant haïtien né le 27 janvier 1999, a sollicité auprès des autorités consulaires françaises en Haïti la délivrance d'un visa d'entrée et de long séjour en qualité d'enfant étranger de moins de 21 ans d'un ressortissant français, M. D... B..., né le 14 décembre 1985. Un refus lui a été opposé par les autorités consulaires françaises de Port-au-Prince. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, saisie du recours administratif préalable obligatoire prévu à l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable, recodifié à l'article D. 312-3 du même code, a rejeté le recours dirigé contre ce refus par une décision du 23 septembre 2020. Le ministre de l'intérieur relève appel du jugement par lequel, à la demande de MM. B..., le tribunal administratif de Nantes a annulé cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et lui a enjoint de délivrer à M. I... B... le visa sollicité.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. La décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France se fonde sur le motif tiré de ce que le lien familial allégué avec M. B... D... n'est pas établi par l'acte de naissance produit et que la production d'un tel document relève d'une intention frauduleuse.

3. Aux termes de l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. (...) ". Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

4. Il ressort des pièces du dossier que, pour justifier de son lien de filiation avec M. D... B..., M. I... B... a produit, à l'appui de sa demande de visa, la copie et un extrait des registres de 2016 de la commune de la Croix-des-Missions de l'acte de naissance n° 239 établi le 13 juillet 2016 par l'officier d'état civil de la Croix-des-Missions, en application de l'arrêté présidentiel du 16 janvier 2014 qui a accordé à toute personne dépourvue d'acte de naissance un délai de cinq ans pour faire régulariser son état civil, sans jugement préalable. Cependant, il ressort des pièces du dossier que M. I... B... dispose également d'un acte de naissance n° 7104 établi le 11 novembre 1999 par l'officier d'état civil de la Croix des Bouquets. La coexistence de ces deux actes de naissance concernant la même personne est de nature à les priver de toute valeur probante. Si MM. D... soutiennent que l'acte dressé en 2016 a pu l'être dès lors que celui dressé en 1999 " n'avait pas été enregistré ", ce qui équivaudrait à une absence d'acte de naissance, cette allégation est contredite par les mentions de cet acte de naissance de 1999 qui indiquent qu'il figure sous le numéro 7104 à la page 259 du registre G, ces références étant d'ailleurs reportées sur le certificat de baptême de l'intéressé. Au demeurant, l'acte dressé en 1999 mentionne que l'enfant est le fils " légitime " de M. D... B... et de " Mme A... G... F..., son épouse ", alors que, ainsi que le fait valoir le ministre de l'intérieur, M. D... B... était âgé de seulement 13 ans à la date de la naissance de l'enfant et que l'article 133 du code civil haïtien prévoit qu'un homme ne peut contracter mariage qu'à l'âge de 18 ans révolus. Quant à l'acte dressé en 2016, s'il mentionne que M. D... B... a déclaré que l'enfant I... était son " fils naturel ", il indique qu'il a été signé par le seul officier d'état civil, " non le père et les témoins pour ne le savoir ", alors qu'il est constant que M. D... B... n'est pas illettré et qu'il a signé de nombreux transferts d'argent versés au dossier, dont les plus anciens remontent à 2005. Dès lors, ces actes de naissance concernant M. I... B..., compte-tenu de leur coexistence et des erreurs ou incohérences qu'ils comportent, ne peuvent être tenus comme réguliers.

5. Par ailleurs, le lien de filiation de M. I... B... avec M. D... B..., dont il est constant qu'il réside en France depuis 2002, n'est pas établi par la possession d'état au regard des éléments versés au dossier, à savoir un certificat de baptême, des photographies du seul M. I... B... lorsqu'il était enfant ou adolescent, des preuves d'un voyage de M. D... B... en Haïti en 2020 et des justificatifs de transferts d'argent adressés par celui-ci, d'abord à sa mère, Mme A... H... B..., entre 2005 et 2011, puis à un dénommé Bazile E..., son neveu allégué, entre 2016 et 2017, et enfin à M. I... B... à compter de sa majorité en 2018, sans qu'il soit justifié que ce dernier, dont la mère alléguée est décédée en 2012, vivait auprès de sa grand-mère alléguée ou de M. E... entre 2005 et 2017 ou que l'argent transféré aurait été utilisé pour l'entretien de M. I... B... durant sa minorité.

6. Dès lors, c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes s'est fondé sur l'erreur d'appréciation de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France quant au lien de filiation des intéressés pour annuler la décision contestée.

7. Il appartient toutefois à la cour, statuant par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par MM. B... tant devant le tribunal administratif de Nantes que devant la cour.

8. En premier lieu, la décision contestée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France comporte l'énonciation des éléments de faits et de droit sur lesquels elle se fonde. Par suite, le moyen tiré de ce qu'elle est insuffisamment motivée manque en fait.

9. En deuxième lieu, pour les motifs exposés précédemment, la décision contestée n'est entachée ni d'erreur de droit ni d'erreur manifeste d'appréciation.

10. En dernier lieu, ainsi qu'il a été dit, la filiation de M. I... B... avec M. D... B... n'est pas établie. Il n'est pas davantage justifié que les intéressés auraient vécu ensemble en Haïti avant le départ de M. D... B... pour la France en 2002, ni qu'ils auraient maintenu des liens jusqu'à la majorité de M. I... B..., qui a toujours vécu en Haïti et était âgé de 21 ans à la date de la décision contestée. Dès lors, le moyen tiré de ce que celle-ci aurait porté une atteinte disproportionnée à son droit à une vie privée et familiale normale garanti par l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté.

11. Il résulte de tout ce qui précède que le ministre de l'intérieur est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a annulé la décision du 23 septembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France et enjoint au ministre de l'intérieur de faire délivrer un visa de long séjour à M. I... B....

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que MM. B... demandent pour leur conseil au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 7 juin 2021 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par MM. B... devant le tribunal administratif de Nantes et leurs conclusions d'appel sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B..., à M. I... B..., à Me Catherine Louisa et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 24 juin 2022.

Le rapporteur,

F.-X. C...Le président,

A. Pérez

La greffière,

A. Lemée

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01952
Date de la décision : 24/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : LOUISA

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-24;21nt01952 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award