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21/06/2022 | FRANCE | N°21NT01530

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 21 juin 2022, 21NT01530


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 15 novembre 2019 des autorités consulaires françaises à Kinshasa refusant de délivrer à Nathan G... C... et aux enfants mineurs F... G... C... et J... G... C... un visa de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée.

Par un jugement n° 2006761

du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme H... C... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 15 novembre 2019 des autorités consulaires françaises à Kinshasa refusant de délivrer à Nathan G... C... et aux enfants mineurs F... G... C... et J... G... C... un visa de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée.

Par un jugement n° 2006761 du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 7 juin et 21 juillet 2021, Mme H... C..., représentée par Me Rio, doit être regardée comme demandant à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 6 avril 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 15 novembre 2019 des autorités consulaires françaises à Kinshasa refusant de délivrer à Nathan G... C... et aux enfants mineurs F... G... C... et J... G... C... un visa de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur délivrer les visas sollicités.

Elle soutient que :

- la décision contestée est entachée d'erreur d'appréciation, les liens familiaux invoqués étant établis par les documents d'état civil produits et par les éléments de possession d'état ;

- elle a été prise en violation de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- elle a été prise en violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense enregistré le 21 juin 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme C... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. A... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de Mme H... C... tendant à l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision du 15 novembre 2019 des autorités consulaires françaises à Kinshasa refusant de délivrer à Nathan G... C... et aux enfants mineurs F... G... C... et J... G... C... un visa de long séjour en qualité de membres de famille de réfugiée. Mme C... relève appel de ce jugement.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne le refus de visa opposé à M. D... G... C... :

2. A l'appui de sa requête d'appel, Mme C... ne conteste pas qu'en sa seule qualité de parent, elle n'avait pas intérêt à contester devant le tribunal administratif la légalité du refus de visa opposé à son enfant majeur, M. D... G... C.... Par ailleurs, il ressort des pièces de la procédure de première instance que Mme C... a été invitée au préalable à procéder à la régularisation de la demande en la faisant signer par M. D... G... C..., et qu'un courrier du 15 février 2021 l'a informée de ce qu'en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, le jugement était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de son défaut d'intérêt à agir pour contester la légalité du refus de visa opposé à Nathan G... C..., son enfant majeur. Par suite, les conclusions à fin d'annulation du jugement attaqué, en ce qu'il rejette la demande tendant à l'annulation de la décision de refus de visa présentée pour M. D... G... C..., ne peuvent qu'être rejetées.

En ce qui concerne les refus de visa opposés aux enfants F... G... C... et J... G... C... :

3. Il ressort des pièces du dossier, et notamment du mémoire en défense du ministre en première instance, que pour refuser de délivrer les visas sollicités la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur ce que l'identité des demandeurs de visa, et partant, leur lien familial à l'égard de Mme C..., n'étaient pas établis.

4. D'une part, aux termes de l'article L. 752-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur : " I. - Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, le ressortissant étranger (...) qui a obtenu le bénéfice de la protection subsidiaire peut demander à bénéficier de son droit à être rejoint, au titre de la réunification familiale : 1° Par son conjoint ou le partenaire avec lequel il est lié par une union civile, âgé d'au moins dix-huit ans, si le mariage ou l'union civile est antérieur à la date d'introduction de sa demande d'asile ; /2° Par son concubin, âgé d'au moins dix-huit ans, avec lequel il avait, avant la date d'introduction de sa demande d'asile, une vie commune suffisamment stable et continue / 3° Par les enfants non mariés du couple, âgés au plus de dix-neuf ans. / (...) L'âge des enfants est apprécié à la date à laquelle la demande de réunification familiale a été introduite. / II. - Les articles L. 411-2 à L. 411-4 (...) sont applicables. / (...) / Les membres de la famille d'un réfugié ou d'un bénéficiaire de la protection subsidiaire sollicitent, pour entrer en France, un visa d'entrée pour un séjour d'une durée supérieure à trois mois auprès des autorités diplomatiques et consulaires, qui statuent sur cette demande dans les meilleurs délais. / Pour l'application du troisième alinéa du présent II, ils produisent les actes de l'état civil justifiant de leur identité et des liens familiaux avec le réfugié ou le bénéficiaire de la protection subsidiaire. En l'absence d'acte de l'état civil ou en cas de doute sur leur authenticité, les éléments de possession d'état définis à l'article 311-1 du code civil et les documents établis ou authentifiés par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, sur le fondement de l'article L. 721-3 du présent code, peuvent permettre de justifier de la situation de famille et de l'identité des demandeurs. Les éléments de possession d'état font foi jusqu'à preuve du contraire. (...) ". Aux termes de l'article L. 411-2 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut également être sollicité pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint dont, au jour de la demande, la filiation n'est établie qu'à l'égard du demandeur ou de son conjoint ou dont l'autre parent est décédé ou déchu de ses droits parentaux. ". Aux termes de l'article L. 411-3 du même code, alors en vigueur : " Le regroupement familial peut être demandé pour les enfants mineurs de dix-huit ans du demandeur et ceux de son conjoint, qui sont confiés, selon le cas, à l'un ou l'autre, au titre de l'exercice de l'autorité parentale, en vertu d'une décision d'une juridiction étrangère. Une copie de cette décision devra être produite ainsi que l'autorisation de l'autre parent de laisser le mineur venir en France. ". La circonstance qu'une demande de visa de long séjour ait pour objet le rapprochement familial d'un conjoint ou des enfants d'une personne admise à la qualité de réfugié ne fait pas obstacle à ce que l'autorité administrative refuse la délivrance du visa sollicité en se fondant, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, sur un motif d'ordre public. Figure au nombre de ces motifs le défaut de valeur probante des documents destinés à établir la réalité du lien matrimonial entre les époux ou du lien de filiation produits à l'appui des demandes de visa.

5. D'autre part, l'article L. 111-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, aujourd'hui repris à l'article L. 811-2 du même code, prévoit en son premier alinéa, que la vérification des actes d'état civil étrangers doit être effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. L'article 47 du code civil dispose quant à lui que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité ". Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

6. En l'espèce, ont été respectivement produits à l'appui des demandes de visa présentées pour les enfants F... G... C... et J... G... C..., les copies intégrales des actes de naissance n°s 1143/2018 et 1144/2018 volume III Folio LXXIV, établis le 12 mai 2018 par le bourgmestre de la commune du Kinshasa, suivant un jugement supplétif n°RC 9493/20.080 rendu le 24 février 2018 par le tribunal pour enfants de I.... Ces documents d'état civil font état d'une naissance des enfants les 20 avril 2004 et 4 septembre 2006 à Kinshasa, de l'union de M. B... G... et de Mme H... C.... Ont été également produits le certificat de non appel n°0946 du jugement supplétif n°RC 9493/20.080, délivré le 11 mai 2018 par le greffier divisionnaire du tribunal pour enfants de I..., les passeports des demandeurs de visa, ainsi que les certificats de naissance, délivrés le 21 mai 2018, par la maternité de la clinique chirurgicale " CRPS/ASBL " de Kinshasa. Pour remettre en cause le caractère probant de ces documents, le ministre de l'intérieur relève que les actes de naissance comportent des mentions supplémentaires par rapport au jugement supplétif qu'ils sont censés retranscrire. Toutefois, cette circonstance n'est pas de nature à retirer à ces actes leur valeur probante, ni à démontrer leur caractère frauduleux, en l'absence de toute contradiction ou incohérence entre ces documents et à défaut pour le ministre d'établir que la loi étrangère s'y opposerait. La circonstance qu'ils auraient été été établis tardivement, plusieurs années après l'événement qu'il relate, ne suffit pas mieux à démontrer que les actes seraient inauthentiques ou frauduleux. Dans ces conditions, et en dépit de ce que Mme C... aurait commis une erreur sur la date de naissance des enfants lors de ses déclarations devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, qu'elle a fait rectifier en 2019, la commission de recours contre les refus de visas d'entrée en France a fait une inexacte application des dispositions précitées en estimant que l'identité des demandeurs de visa ainsi que son lien de filiation avec Mme C... n'étaient pas établis.

7. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

8. Pour établir que les décisions contestées étaient légales, le ministre a invoqué, en première instance, dans son mémoire en défense du 11 février 2021 communiqué à Mme C..., ainsi que dans ses écritures d'appel, un autre motif tiré de ce que les demandeurs de visas n'ont pas produit de jugement de délégation d'autorité parentale du père des enfants, ou de document attestant de l'accord du père pour que les enfants se rendent en France.

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme C... a déclaré devant l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), devant la cour nationale du droit d'asile (CNDA) ainsi que devant la commission de recours, que son concubin n'avait jamais contribué à l'entretien ou à l'éducation des enfants, et qu'elle a dû fuir son pays en confiant ceux-ci à un tiers. La requérante produit par ailleurs, pour la première fois en appel, un certificat n°5262/2020 émanant des autorités angolaises faisant état décès de M. B... E... le 8 juillet 2020. Dans ces conditions, la demande de substitution de motifs sollicitée par le ministre ne peut être accueillie.

10. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme C... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande tendant à l'annulation de la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a refusé de délivrer un visa de long séjour aux enfants mineurs F... G... C... et J... G... C... en qualité de membres de famille de réfugiée.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

11. Aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : " Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. / La juridiction peut également prescrire d'office cette mesure ".

12. L'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'un visa de long séjour soit délivré aux enfants mineurs F... G... C... et J... G... C.... Il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de délivrer ces visas dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 6 avril 2021 du tribunal administratif de Nantes est annulé en ce qu'il rejette la demande tendant à l'annulation de la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France en tant qu'elle a rejeté la demande de visa d'entrée et de long séjour en France présentée pour les enfants F... G... C... et J... G... C....

Article 2 : La décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France, en tant qu'elle a rejeté les demandes de visa d'entrée et de long séjour en France présentées pour les enfants F... G... C... et J... G... C..., est annulée.

Article 3 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de délivrer aux enfants F... G... C... et J... G... C... des visas d'entrée et de long séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme H... C..., Nathan G... C..., Jérémie G... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2022.

Le rapporteur,

A. A...Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01530


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01530
Date de la décision : 21/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : RIO

Origine de la décision
Date de l'import : 28/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-21;21nt01530 ?
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