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21/06/2022 | FRANCE | N°21NT01492

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 5ème chambre, 21 juin 2022, 21NT01492


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... D... et Mme A... E... épouse F... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 septembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 juin 2020 de l'ambassade de France à Téhéran, refusant de leur délivrer des visas de long séjour en qualité de visiteurs.

Par un jugement n° 2010998 du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté

la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 mai 2021...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... F... D... et Mme A... E... épouse F... D... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 2 septembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 juin 2020 de l'ambassade de France à Téhéran, refusant de leur délivrer des visas de long séjour en qualité de visiteurs.

Par un jugement n° 2010998 du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 30 mai 2021, M. C... F... D... et Mme A... E... épouse F... D..., représentés par Me Ah-Fah, demandent à la cour :

1°) d'annuler le jugement du 10 mai 2021 du tribunal administratif de Nantes ;

2°) d'annuler la décision en date du 2 septembre 2020 de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à un nouvel examen des demandes de visa dans le délai de 15 jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision de la commission de recours a été prise en l'absence de procédure contradictoire ;

- la décision contestée ne pouvait être prise au motif de l'incomplétude des dossiers de demande, dès lors que l'administration n'a pas invité les demandeurs à produire des documents supplémentaires ; la décision méconnaît l'article 114-5 du code des relations entre le public et l'administration ;

- la décision contestée méconnaît les dispositions de l'article L. 313-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; elle est entachée d'une erreur de droit en ce qu'elle se fonde sur l'existence d'un risque de détournement de l'objet du visa ;

- la décision contestée est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation s'agissant des conditions de leur séjour et s'agissant du risque de détournement de l'objet du visa ;

- leur présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public ;

- la demande de substitution de motif du ministre, tirée de ce que la demande peut être rejetée pour toute considération d'intérêt général, ne peut être accueillie.

Par un mémoire en défense enregistré le 6 juillet 2021, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. F... D... et Mme E... épouse F... D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. B... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un jugement du 10 mai 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté la demande de M. C... F... D... et Mme A... E... épouse F... D... tendant à l'annulation de la décision du 2 septembre 2020 par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a rejeté le recours formé contre la décision du 23 juin 2020 de l'ambassade de France à Téhéran (Iran), refusant de leur délivrer des visas de long séjour en qualité de visiteurs. M. F... D... et Mme E... épouse F... D... relèvent appel de ce jugement.

2. Il ressort des pièces du dossier et notamment des termes de la décision contestée du 2 septembre 2020, que pour refuser le visa sollicité, la commission de recours s'est fondée sur les motifs tirés, d'une part, de ce que l'objet particulier, les conditions et la durée du séjour des requérants en France n'étaient pas établis, et d'autre part de l'existence d'un risque de détournement de l'objet des visas à des fins d'installation pérenne dans l'espace Schengen.

3. En premier lieu, il résulte des dispositions des articles D. 211-5 et D. 211-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors en vigueur, que la saisine de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France constitue un recours administratif préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux et qu'ainsi la décision administrative que rend la commission se substitue à celle qui a été prise par les autorités diplomatiques ou consulaires. L'article L. 110-1 du code des relations entre le public et l'administration dispose : " Sont considérées comme des demandes au sens du présent code les demandes et les réclamations, y compris les recours gracieux ou hiérarchiques, adressés à l'administration ". Aux termes du premier alinéa de l'article L. 114-5 du même code : " Lorsqu'une demande adressée à l'administration est incomplète, celle-ci indique au demandeur les pièces et informations manquantes exigées par les textes législatifs et réglementaires en vigueur. Elle fixe un délai pour la réception de ces pièces et informations. ". Il résulte de ces dispositions que les recours administratifs préalables obligatoires formés, sur le fondement de l'article D. 211-5 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France constituent des demandes au sens des dispositions de l'article L.110-1 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, en l'absence de dispositions spéciales contraires, les dispositions de l'article L. 114-5 de ce code sont applicables à ces recours administratifs. La circonstance que les dispositions du chapitre 2 du titre Ier du quatrième livre du code des relations entre le public et l'administration, lequel chapitre porte sur les recours administratifs préalables obligatoires, ne renvoient pas à celles de l'article L. 114-5 ne saurait avoir pour effet, sous réserve de dispositions spéciales, d'écarter l'application à ces recours des garanties prévues par le livre Ier de ce code. En application des dispositions de l'article L. 114-5 du code des relations entre le public et l'administration, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France est tenue d'inviter les demandeurs à régulariser, soit les recours qui ne comporteraient pas les pièces et informations exigées, le cas échéant, par les textes relatifs au recours préalable obligatoire devant cette commission, soit ceux que la commission envisage de rejeter en se fondant sur l'incomplétude du dossier de la demande de visa alors que les autorités diplomatiques ou consulaires n'ont pas préalablement invité le demandeur de visa à compléter sa demande dans un délai déterminé.

4. En l'espèce, et ainsi qu'il a été dit au point 2, il ressort des pièces du dossier que la commission de recours n'a pas rejeté la demande de visa de M. F... D... et Mme E... épouse F... D... au motif qu'elle aurait été incomplète, mais en raison de ce que les conditions et la durée du séjour des requérants en France n'étaient pas établies, et de ce qu'il existait un risque de détournement de l'objet des visas à des fins migratoires. Par suite, le moyen tiré de ce que la décision est entachée d'un vice de procédure au regard des dispositions de l'article L.114-5 du code des relations entre le public et l'administration ne peut qu'être écarté.

5. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable ".

6. Les décisions de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France font suite à une demande des intéressés et sont prises à la suite d'une procédure qui échappe au champ d'application des dispositions précitées de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et les administrations. Par suite, les requérants ne peuvent utilement soutenir que la décision contestée serait irrégulière et prise en violation des droits de la défense au motif qu'elle n'aurait pas été rendue au terme d'une procédure contradictoire.

7. En troisième lieu, l'administration peut, indépendamment d'autres motifs de rejet tels que la menace pour l'ordre public, refuser la délivrance d'un visa, qu'il soit de court ou de long séjour, en cas de risque avéré de détournement de son objet, lorsqu'elle établit que le motif indiqué dans la demande ne correspond manifestement pas à la finalité réelle du séjour de l'étranger en France. Elle peut à ce titre opposer un refus à une demande de visa de court séjour en se fondant sur l'existence d'un risque avéré de détournement du visa à des fins migratoires. En revanche, un tel motif n'est pas de nature à justifier un refus de visa de long séjour en qualité de visiteur, qui permet de séjourner en France pendant une durée supérieure à trois mois et de solliciter, le cas échéant, avant l'expiration de la durée du visa, la délivrance d'un titre de séjour. Toutefois, dans l'hypothèse où le motif de la demande d'un visa de long séjour visiteur est de s'installer durablement en France, ce visa peut être refusé si l'administration établit que l'étranger n'est manifestement pas susceptible de remplir les conditions lui permettant d'obtenir le titre de séjour qui lui sera nécessaire après la période couverte par le visa.

8. Il ressort des pièces du dossier qu'à l'appui de leurs demandes de visas, les requérants ont indiqué vouloir s'installer durablement en France en qualité de visiteurs, notamment pour y passer une partie de leur retraite. Ils ont fait valoir qu'ils disposaient en France d'un logement dont ils sont locataires ainsi que d'une épargne personnelle disponible d'un montant total de 259 818 euros, issue de revenus immobiliers réguliers en Iran, et qu'ils justifiaient d'une assurance couvrant leurs éventuels frais de santé et d'hospitalisation. Dans ces conditions, et alors que le motif de la demande des intéressées devait donc être regardé comme étant de s'installer durablement en France et demander, le cas échéant, un titre de séjour, la commission de recours contre les refus de visa d'entrée en France ne pouvait, sans commettre d'erreur de droit, fonder sa décision sur le motif tiré de ce qu'il existait un risque de détournement du visa à des fins migratoires.

9. L'administration peut toutefois, en première instance comme en appel, faire valoir devant le juge de l'excès de pouvoir que la décision dont l'annulation est demandée est légalement justifiée par un motif, de droit ou de fait, autre que celui initialement indiqué, mais également fondé sur la situation existant à la date de cette décision. Il appartient alors au juge, après avoir mis à même l'auteur du recours de présenter ses observations sur la substitution ainsi sollicitée, de rechercher si un tel motif est de nature à fonder légalement la décision, puis d'apprécier s'il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision si elle s'était fondée initialement sur ce motif. Dans l'affirmative il peut procéder à la substitution demandée, sous réserve toutefois qu'elle ne prive pas le requérant d'une garantie procédurale liée au motif substitué.

10. Pour établir que les décisions contestées étaient légales, le ministre a invoqué, en première instance, dans son mémoire en défense du 16 mars 2020 communiqué à M. F... D... et Mme E... épouse F... D..., deux autres motifs tirés, d'une part, de ce que les intéressés ne justifient pas disposer de ressources personnelles suffisantes pour financer leur séjour en France, d'autre part, de ce qu'ils ne justifient pas de la nécessité de s'installer en France.

11. En l'absence de toute disposition conventionnelle, législative ou réglementaire déterminant les cas où le visa peut être refusé à un étranger désirant se rendre en France, et eu égard à la nature d'une telle décision, les autorités françaises disposent d'un large pouvoir d'appréciation à cet égard, et peuvent se fonder non seulement sur des motifs tenant à l'ordre public mais sur toute considération d'intérêt général. Il en va notamment ainsi des visas mention " établissement privé / visiteur " sollicités en vue d'un séjour d'une durée supérieure à un an. Dans l'hypothèse où le motif de la demande d'un visa de long séjour visiteur est de s'installer durablement en France, ce visa peut être refusé si l'administration établit que l'étranger n'est manifestement pas susceptible de remplir les conditions lui permettant d'obtenir le titre de séjour qui lui sera nécessaire après la période couverte par le visa.

12. Il ressort des pièces du dossier que, pour solliciter un visa de long séjour mention " visiteur ", M. F... D... et Mme E... épouse F... D... ont invoqué l'existence d'une relation privilégiée avec la France, pays dans lequel ils souhaitent résider en qualité de " couple inactif " à la retraite, et apprendre la langue française. Ils allèguent avoir séjourné en Allemagne, au Royaume-Uni et au Brésil entre 2007 et 2020. Il est toutefois constant qu'aucun membre de la famille du couple ne réside en France, et que les attaches de ceux-ci sur le territoire français se limitent à la location d'un appartement en Bretagne, dont le bail a été signé le 1er mars 2020. Il est également constant que les intéressés ne souhaitent pas poursuivre une activité professionnelle en France. Dans ces conditions, et eu égard aux intérêts dont ils se prévalent, M. F... D... et Mme E... épouse F... D... n'établissent pas la nécessité dans laquelle ils se trouveraient de résider en France de manière permanente, ou durable. Dès lors, eu égard au large pouvoir d'appréciation dont dispose l'administration, le motif invoqué par le ministre de l'intérieur en défense, tiré de l'absence de preuve de la nécessité d'un séjour de longue durée des intéressés en France, n'est entaché ni d'une erreur de droit, ni d'une erreur manifeste d'appréciation. Il résulte de l'instruction que l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif. Dans ces conditions, il y a lieu de procéder à la substitution de motif demandée par le ministre de l'intérieur, qui ne prive les requérants d'aucune garantie.

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... D... et Mme E... épouse F... D... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande. Par voie de conséquence, leurs conclusions à fin d'injonction sous astreinte et celles tendant à l'application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative doivent également être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. et Mme D... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... F... D..., Mme A... E... épouse F... D... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 20 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Francfort, président de chambre,

- Mme Buffet, présidente-assesseure,

- M. Frank, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 21 juin 2022.

Le rapporteur,

A. B...Le président,

J. FRANCFORT

Le greffier,

C. GOY

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur, en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01492


Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Références :

Publications
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Composition du Tribunal
Président : M. FRANCFORT
Rapporteur ?: M. Alexis FRANK
Rapporteur public ?: M. MAS
Avocat(s) : AH-FAH

Origine de la décision
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 5ème chambre
Date de la décision : 21/06/2022
Date de l'import : 28/06/2022

Fonds documentaire ?: Legifrance


Numérotation
Numéro d'arrêt : 21NT01492
Numéro NOR : CETATEXT000045959553 ?
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-21;21nt01492 ?
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