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10/06/2022 | FRANCE | N°21NT01462

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 10 juin 2022, 21NT01462


Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 mai 2021, 7 décembre 2021, 13 janvier 2022 et 19 janvier 2022, la société Engie Green Trente Arpents, représentée par Me Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 26 mars 2021 par lequel le préfet de la Sarthe a refusé de faire droit à sa demande d'autorisation unique relative à un parc éolien composé de sept éoliennes et de trois postes de livraison sur le territoire des communes de Saint-Aignan et Jauzé ;

2°) à titre principal, d'accorder l'autorisation sollic

itée, en l'assortissant en tant que de besoin des prescriptions nécessaires à la préserv...

Vu la procédure suivante :

Par une requête et des mémoires, enregistrés les 26 mai 2021, 7 décembre 2021, 13 janvier 2022 et 19 janvier 2022, la société Engie Green Trente Arpents, représentée par Me Gelas, demande à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 26 mars 2021 par lequel le préfet de la Sarthe a refusé de faire droit à sa demande d'autorisation unique relative à un parc éolien composé de sept éoliennes et de trois postes de livraison sur le territoire des communes de Saint-Aignan et Jauzé ;

2°) à titre principal, d'accorder l'autorisation sollicitée, en l'assortissant en tant que de besoin des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement, ou, à défaut, en enjoignant au préfet de la Sarthe de fixer ces prescriptions techniques dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre au préfet de la Sarthe de délivrer l'autorisation unique sollicitée dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard, ou, à défaut, de réexaminer la demande dans un délai de deux mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 500 euros par jour de retard ;

4°) de déclarer irrecevables les interventions volontaires ;

5°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros et à la charge de chacun des intervenants une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les intervenants sont dépourvus d'intérêt à intervenir ;

- l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé ;

- le préfet s'est estimé en situation de compétence liée pour rejeter l'autorisation sollicitée ;

- la demande d'autorisation n'était pas incomplète s'agissant de l'étude paysagère ;

- le refus d'autorisation ne peut être légalement fondé sur des avis défavorables exprimés dans le cadre de la demande d'autorisation unique, ni sur des motifs liés à la croissance économique et à l'équité sociale ;

- le projet n'emportera pas d'atteinte au patrimoine et au paysage ni d'atteinte à la nature et à l'environnement justifiant le refus d'autorisation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 15 octobre 2021, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Par des interventions, enregistrées les 16 décembre 2021, 10 janvier 2022 et 4 février 2022, la commune de Courcival, la commune de Jauzé, la commune de Bonnétable, la commune de Nauvay, la commune de Peray, l'association de défense de l'environnement de Saint-Aignan et de ses alentours, Mme D... F..., M. et Mme A... L..., AB... L..., M. O... R..., M. H... W..., M. U... AA..., M. et Mme I... X..., M. V... S..., Mme B... T..., M. et Mme J... C..., M. Q... Y..., M. N... P..., M. et Mme G... E..., AC... Z... et M. J... K..., demandent que la cour rejette la requête de la société Engie Green Trente Arpents.

Ils soutiennent que les moyens soulevés par la société requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- l'ordonnance no 2014-355 du 20 mars 2014 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Bréchot,

- les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

- et les observations de Me Kerjean-Gauducheau substituant Me Gelas, représentant la société Engie Green trente arpents.

Considérant ce qui suit :

1. Le 22 décembre 2016, la société Engie Green Trente Arpents a déposé auprès de la préfecture de la Sarthe une demande d'autorisation unique en vue d'exploiter un parc éolien composé de sept éoliennes, d'une hauteur en bout de pale de 180 mètres, et trois postes de livraison sur le territoire des communes de Saint-Aignan et Jauzé. Cette demande a été complétée le 12 juin 2017. Le préfet de région, en qualité d'autorité environnementale, a rendu son avis le 7 août 2017. À l'issue de l'enquête publique qui s'est tenue du 20 septembre 2017 au 23 octobre 2017, le commissaire enquêteur a émis un avis défavorable. La procédure d'autorisation a ensuite été suspendue à la demande de la société pétitionnaire, qui a sollicité la saisine de la mission régionale d'autorité environnementale des Pays de la Loire (MRAe), laquelle a rendu son avis environnemental le 19 juillet 2019. Une enquête publique complémentaire s'est déroulée du 7 juillet au 21 juillet 2020. Le second commissaire enquêteur a rendu un avis défavorable au projet. Par l'arrêté attaqué du 26 mars 2021, dont la société Engie Green Trente Arpents demande l'annulation, le préfet de la Sarthe a rejeté la demande d'autorisation unique.

Sur l'intervention :

2. Est recevable à former une intervention toute personne qui justifie d'un intérêt suffisant eu égard à la nature et à l'objet du litige.

3. D'une part, il résulte de l'instruction que le projet litigieux est situé, pour partie, sur le territoire de la commune de Jauzé, et que, au regard notamment des photomontages figurant au dossier de demande d'autorisation, il est susceptible d'avoir des impacts paysagers sur le territoire des communes de Courcival, Peray et Bonnétable. Ces communes justifient donc d'un intérêt suffisant au maintien de l'arrêté en cause. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient la société requérante, les maires de ces communes ont été autorisés à intervenir au nom de celles-ci à la présente instance par une délibération de leur conseil municipal.

4. D'autre part, l'association de défense de l'environnement de Saint-Aignan et de ses alentours a pour objet, en vertu de l'article 2 de ses statuts, " de protéger les paysages, les espaces naturels, le patrimoine bâti et les conditions de vie des habitants de St Aignan, de Jauzé et des communes environnantes contre les nuisances dues aux installations industrielles (...) et notamment contre toute implantation d'éoliennes dans ledit secteur ". Elle justifie ainsi d'un intérêt à intervenir contre l'autorisation de construire un parc éolien composé de sept aérogénérateurs d'une hauteur en bout de pale de 180 mètres sur le territoire des communes de Saint-Aignan et Jauzé.

5. Dès lors, l'intervention présentée par la commune de Jauzé et autres à l'appui de la défense présentée par la ministre de la transition écologique est recevable, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la recevabilité de cette intervention en tant qu'elle émane de la commune de Nauvay et des personnes physiques intervenantes.

Sur la légalité du refus d'autorisation :

En ce qui concerne les règles de forme et de procédure :

6. En premier lieu, si la société Engie Green Trente Arpents soutient que l'arrêté attaqué est insuffisamment motivé, il ressort des pièces du dossier que celui-ci comporte l'énoncé des considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Ainsi, le moyen tiré du défaut de motivation de cet arrêté ne peut qu'être écarté.

7. En second lieu, si l'arrêté attaqué mentionne dans ses motifs, à titre d'éléments de contexte, les avis défavorables au projet émis par les conseils municipaux de plusieurs communes, le département de la Sarthe, l'architecte des bâtiments de France, les commissaires-enquêteurs de l'enquête publique initiale et de l'enquête publique complémentaire, ainsi que les avis des deux autorités environnementales consultées, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de la Sarthe, qui ne s'est pas abstenu de porter sa propre appréciation sur les caractéristiques du projet et ses impacts sur les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, se serait cru tenu de rejeter la demande de la société Engie Green Trente Arpents en raison du sens de ces avis.

En ce qui concerne les règles de fond :

8. Aux termes de l'article 3 de l'ordonnance du 20 mars 2014 relative à l'expérimentation d'une autorisation unique en matière d'installations classées pour la protection de l'environnement, applicable au refus d'autorisation litigieux : " L'autorisation unique ne peut être accordée que si les mesures que spécifie l'arrêté préfectoral permettent de prévenir les dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1 du code de l'environnement (...). " L'article L. 511-1 du code de l'environnement dispose que : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique ". Selon l'article L. 512-1 de ce code : " Sont soumises à autorisation préfectorale les installations qui présentent de graves dangers ou inconvénients pour les intérêts visés à l'article L. 511-1. / L'autorisation ne peut être accordée que si ces dangers ou inconvénients peuvent être prévenus par des mesures que spécifie l'arrêté préfectoral. / La délivrance de l'autorisation, pour ces installations, peut être subordonnée notamment à leur éloignement des habitations, immeubles habituellement occupés par des tiers, établissements recevant du public, cours d'eau, voies de communication, captages d'eau, ou des zones destinées à l'habitation par des documents d'urbanisme opposables aux tiers. Elle prend en compte les capacités techniques et financières dont dispose le demandeur, à même de lui permettre de conduire son projet dans le respect des intérêts visés à l'article L. 511-1 ".

9. Il résulte de l'instruction que le territoire du site d'implantation du projet litigieux comporte, outre 9 sites inscrits ou classés, 84 monuments classés ou inscrits au titre des monuments historiques dans un rayon de 20 km, dont 13 monuments sont situés dans l'aire intermédiaire (entre 4 et 11 km du projet) et 4 dans l'aire rapprochée (inférieure à 4 km), à savoir le manoir de Verdigné, le château de Courcival, l'église Saint-Jouin de Peray et le château de Saint-Aignan.

10. Le château de Saint-Aignan et les terrains compris à l'intérieur de ses douves ont été classés monuments historiques par un arrêté du 7 février 1994, tandis que le parc et ses annexes, notamment la cour d'honneur, sont inscrits à l'inventaire supplémentaire depuis un arrêté du 12 septembre 1988. Il résulte de l'instruction, notamment des photographies et photomontages versés au dossier, que le château, situé à 1,6 km de l'éolienne la plus proche du projet, s'inscrit dans un paysage bocager et arboré, qui a pour effet de limiter les situations de covisibilités avec le parc projeté. Si les éoliennes seront prégnantes dans le paysage depuis la route départementale no 121, il n'en résulte pas d'atteinte notable au château dès lors qu'il est depuis cette route à peine visible dans le couvert arboré. En revanche, depuis la route départementale no 25, principale route d'accès au monument, deux éoliennes et les pales de plusieurs autres seront perceptibles dans le champ de visibilité du château, dont l'une à proximité immédiate de celui-ci. Alors même que la vision des éoliennes sera filtrée par des linéaires boisés qui formeront un écran visuel naturel, accru en période estivale par la végétation, le mouvement des pales qui émergeront de ces éléments boisés sera de nature à attirer le regard des passants, notamment pour l'éolienne qui apparaîtra au plus près du château. La visibilité des éoliennes sera davantage notable depuis l'esplanade enherbée située au sud du château, avec de surcroît un léger effet de surplomb. Les pales des éoliennes seront également visibles au-dessus des éléments boisés depuis la cour d'honneur de l'entrée principale du château, au nord, tandis qu'elles seront masquées par la topographie et le couvert végétal depuis les douves au sud-est. Le parc éolien sera enfin très visible depuis le dôme du château et son lanternon ajouré, qui constitue un belvédère sur la plaine environnante. Si le pétitionnaire a proposé d'implanter sept arbres de haute tige pour supprimer toute visibilité depuis l'entrée principale du château, cette mesure de réduction sera en tout état de cause dépourvue d'effet pour les autres atteintes visuelles portées à ce monument et à son parc.

11. S'agissant du château de Courcival, situé à 1,6 km de l'éolienne la plus proche et inscrit à l'inventaire supplémentaire des monuments historiques par un arrêté du 24 août 2011 avec sa tour, ses pavillons et communs, ses douves, ses jardins et parvis et ses deux grandes allées, il résulte de l'instruction qu'il ne sera pas en situation de covisibilité avec le parc litigieux depuis les routes environnantes. En revanche, une partie des mâts et les pales d'au moins deux éoliennes émergeront de la végétation depuis le pont dormant qui donne accès au château, en covisibilité avec l'aile des communs et sa façade décorative implantée sur les douves. Deux éoliennes seront également visibles derrière la végétation depuis la cour d'honneur du château, au centre de la composition formée par sa tour, sa grille d'accès et ses communs. Les éoliennes seront encore visibles depuis les pièces de vie situées à l'intérieur du château, très partiellement au-dessus des communs depuis le rez-de-chaussée, mais en totalité par-delà la masse boisée et les communs depuis son premier et son second étage, avec un effet de surplomb, bien que sans effet d'écrasement du fait d'un rapport d'échelle cohérent. Le panorama offert depuis le second étage, ouvert sur des collines et une vallée de verdure, sera très affecté par la vision, à seulement 2 km environ, d'au moins six éoliennes dans la quasi-intégralité de leur hauteur. Il ne résulte pas de l'instruction que les mesures de réduction envisagées par le pétitionnaire seraient de nature à remédier à l'ensemble des atteintes ainsi portées au château de Courcival.

12. Il résulte des points 10 et 11 que les graves inconvénients pour les monuments historiques et les paysages que le projet litigieux présenterait, qui ne peuvent être prévenus par des prescriptions, justifient légalement le refus d'autorisation qui a été opposé à la société requérante.

13. Il résulte de l'instruction que le préfet de la Sarthe aurait pris la même décision s'il s'était uniquement fondé sur ce motif.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société Engie Green Trente Arpents n'est pas fondée à demander l'annulation de l'arrêté du 26 mars 2021 du préfet de la Sarthe.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

15. Le présent arrêt, qui rejette les conclusions à fin d'annulation présentées par la société Engie Green Trente Arpents, n'appelle aucune mesure d'exécution. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'État ni, en tout état de cause, des intervenants, qui ne sont pas, dans la présente instance, les parties perdantes, la somme que la société Engie Green Trente Arpents demande au titre des frais exposés par elle à l'occasion du litige soumis au juge.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la commune de Corcival et autres est admise.

Article 2 : La requête de la société Engie Green Trente Arpents est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Engie Green Trente Arpents, à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et à la commune de Courcival, désignée représentante unique des intervenants.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2022.

Le rapporteur,

F.-X. BréchotLe président,

A. Pérez

La greffière,

K. Bouron

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires en ce qui la concerne, ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01462


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01462
Date de la décision : 10/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : MONAMY

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-10;21nt01462 ?
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