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10/06/2022 | FRANCE | N°21NT01461

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 10 juin 2022, 21NT01461


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France a rejeté le recours présenté le 4 mars 2020 contre la décision du 14 janvier 2020 par laquelle les autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo ont refusé de délivrer à Mme B... A... un visa d'entrée en France en qualité de membre de famille d'un citoyen de l'Union europé

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Par un jugement no 2008469 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... et M. E... C... ont demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision implicite par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visas d'entrée en France a rejeté le recours présenté le 4 mars 2020 contre la décision du 14 janvier 2020 par laquelle les autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo ont refusé de délivrer à Mme B... A... un visa d'entrée en France en qualité de membre de famille d'un citoyen de l'Union européenne.

Par un jugement no 2008469 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 31 mai 2021 et le 13 avril 2022, Mme A... et M. C..., représentés par Me Oudin, demandent à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande, dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État une somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- la décision contestée est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 février 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par Mme A... et M. C... ne sont pas fondés.

Les parties ont été informées, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de ce que " les dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans leur rédaction antérieure à sa recodification, n'étant pas applicables aux décisions de refus de visa d'entrée en France opposées à un ressortissant de pays tiers membre de famille d'un citoyen non français de l'Union européenne, le motif tiré de ce qu'il existe un risque que la demanderesse de visa devienne une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale ne peut légalement fonder une telle décision. "

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... A..., ressortissante de la République démocratique du Congo née le 8 avril 1974, a présenté, auprès des autorités consulaires françaises en République démocratique du Congo, une demande de visa d'entrée en France en qualité de membre de la famille de M. E... C..., ressortissant belge qui réside en France. Les autorités consulaires ont rejeté cette demande le 14 janvier 2020. Le recours, formé le 4 mars 2020, contre cette décision consulaire a été implicitement rejeté par le silence gardé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France. Mme A... et M. C... relèvent appel du jugement par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande tendant à l'annulation de cette décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

2. Il ressort du mémoire en défense produit par le ministre de l'intérieur en première instance que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée, pour rejeter le recours dont elle était saisie, sur deux motifs tirés, d'une part, de ce qu'il existe un risque que la demanderesse de visa devienne une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, et d'autre part, de ce que son identité et, partant, son lien matrimonial avec M. C... ne sont pas établis.

3. En premier lieu, il ressort de l'acte de mariage du 4 juillet 2018 dressé par l'officier d'état civil de Kinshasa / Limete que celui-ci a été dressé sur présentation d'un extrait d'acte de naissance de Mme A..., que cette dernière n'a produit ni devant l'administration ni dans la présente instance. Or Mme A... dispose également d'un acte de naissance établi le 7 février 2019 par l'officier d'état civil de Kinshasa / Kalamu, dressé en transcription d'un jugement supplétif rendu le 7 décembre 2018 par le tribunal de grande instance de Kinshasa / Kalamu. S'il s'en infère que Mme A... dispose de deux actes de naissance, il ressort de ses déclarations et de l'attestation de son conseil en République démocratique du Congo que c'est ce dernier qui lui a conseillé de faire établir un jugement supplétif d'acte de naissance préalablement à la demande de visa. Si le ministre de l'intérieur soutient que Mme A... ne pouvait pas solliciter un jugement supplétif d'acte de naissance, conformément à l'article 106 du code de la famille congolais, puisqu'elle disposait déjà d'un tel acte, cette circonstance n'est, à elle seule, pas de nature à faire regarder ce jugement supplétif comme présentant un caractère frauduleux, alors qu'il ressort des pièces du dossier que les mentions d'état civil figurant sur son acte de mariage, relatives à sa date de naissance et à l'identité de ses parents, sont identiques à celles qui figurent tant dans le jugement supplétif du 7 décembre 2018 que dans l'acte de naissance dressé en transcription de ce dernier. Enfin, Mme A... dispose d'un passeport dont les mentions concordent avec ces différents actes. Dans ces conditions, c'est par une inexacte appréciation des faits de l'espèce que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a estimé que l'identité de Mme A... et, partant, son lien matrimonial avec M. C... n'étaient pas établis.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article R. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, désormais recodifié aux articles R. 221-1 et suivant du même code : " Tout ressortissant mentionné au premier alinéa de l'article L. 121-1 muni d'une carte d'identité ou d'un passeport en cours de validité est admis sur le territoire français, à condition que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public. / Tout membre de sa famille mentionné à l'article L. 121-3, ressortissant d'un État tiers, est admis sur le territoire français à condition que sa présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public et qu'il soit muni, à défaut de titre de séjour délivré par un État membre de l'Union européenne portant la mention "Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union " en cours de validité, d'un passeport en cours de validité, d'un visa ou, s'il en est dispensé, d'un document établissant son lien familial. L'autorité consulaire lui délivre gratuitement, dans les meilleurs délais et dans le cadre d'une procédure accélérée, le visa requis sur justification de son lien familial. Toutes facilités lui sont accordées pour obtenir ce visa ".

5. Aux termes de l'article L. 121-4-1 du même code, désormais recodifié à l'article L. 232-1 : " Tant qu'ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, les citoyens de l'Union européenne, (...) ainsi que les membres de leur famille tels que définis aux 4° et 5° de l'article L. 121-1, ont le droit de séjourner en France pour une durée maximale de trois mois, sans autre condition ou formalité que celles prévues pour l'entrée sur le territoire français. ".

6. Enfin, aux termes de l'article L. 121-1 du même code, désormais recodifié à l'article L. 233-1 : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, tout citoyen de l'Union européenne, (...) a le droit de séjourner en France pour une durée supérieure à trois mois s'il satisfait à l'une des conditions suivantes : / (...) 2° S'il dispose pour lui et pour les membres de sa famille tels que visés au 4° de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d'assistance sociale, ainsi que d'une assurance maladie ; / (...) / 4° S'il est un descendant direct âgé de moins de vingt et un ans ou à charge, ascendant direct à charge, conjoint, ascendant ou descendant direct à charge du conjoint, accompagnant ou rejoignant un ressortissant qui satisfait aux conditions énoncées aux 1° ou 2° ; / (...) ".

7. Il résulte des dispositions précitées de l'article R. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, transposant la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, que les ressortissants d'un pays tiers membres de la famille d'un citoyen non français de l'Union européenne séjournant en France ont droit, lorsqu'ils ne disposent pas d'un titre de séjour délivré par un État membre de l'Union européenne portant la mention " Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union ", et sous réserve que leur présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, à la délivrance d'un visa d'entrée en France, aux seules conditions de disposer d'un passeport et de justifier de leur lien familial avec le citoyen de l'Union européenne qu'ils entendent accompagner ou rejoindre en France. Figure au nombre des motifs tenant à l'existence d'une menace pour l'ordre public l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits.

8. En revanche, les dispositions précitées des articles L. 121-1 et L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile étant seulement applicables au séjour du ressortissant de pays tiers membre de famille d'un citoyen non français de l'Union européenne, le motif tiré de ce qu'il existe un risque que le demandeur de visa devienne une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale ne peut légalement fonder une décision de refus de visa d'entrée en France opposée à un tel ressortissant.

9. Dès lors, en refusant le visa sollicité par Mme A... au motif qu'il existait un risque que la demanderesse de visa devienne une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France s'est fondée sur des dispositions qui n'étaient pas applicables à la situation de la requérante et a, partant, méconnu le champ d'application de la loi.

10. En dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

11. Si les requérants soutiennent qu'ils ont " maintenu le lien par le biais des réseaux sociaux " postérieurement à leur mariage à Kinshasa le 4 juillet 2018, et que la crise sanitaire n'a pas permis à M. C... de se rendre en République démocratique du Congo afin de retrouver son épouse avant décembre 2021, ils n'apportent pas davantage en appel qu'en première instance d'éléments suffisants pour établir qu'ils ont maintenu des relations constantes et régulières entre leur mariage et la date de la décision contestée. Dans ces conditions, cette décision n'a pas porté une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie familiale des requérants par rapport aux buts en vue desquels elle a été prise. Elle n'a, par suite, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme A... et M. C... sont fondés à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté leur demande.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

13. Le présent arrêt implique seulement, eu égard aux motifs qui le fondent, que le ministre de l'intérieur réexamine la demande de Mme A.... Par suite, il y a lieu d'enjoindre au ministre de l'intérieur de procéder à ce réexamen dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt. Il n'y a pas lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions présentées par Mme A... et M. C... au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 mars 2021 et la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au ministre de l'intérieur de réexaminer la demande de Mme A... tendant à se voir délivrer un visa d'entrée en France, dans un délai d'un mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : Le surplus des conclusions de Mme A... et M. C... est rejeté.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à M. E... C... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 24 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 10 juin 2022.

Le rapporteur,

F.-X. D...Le président,

A. Pérez

La greffière,

K. Bouron

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

No 21NT01461


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01461
Date de la décision : 10/06/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-005-01 ÉTRANGERS. - ENTRÉE EN FRANCE. - VISAS. - VISA - RESSORTISSANT DE PAYS TIERS MEMBRE DE FAMILLE D'UN CITOYEN NON FRANÇAIS DE L'UNION EUROPÉENNE (ART. R. 121-1 DU CESEDA) - MOTIF TIRÉ DE CE QU'IL EXISTE UN RISQUE QUE LE DEMANDEUR DE VISA DEVIENNE UNE CHARGE DÉRAISONNABLE POUR LE SYSTÈME D'ASSISTANCE SOCIALE - LÉGALITÉ DU REFUS DE VISA REPOSANT SUR CE MOTIF - ABSENCE.

335-005-01 1) Il résulte des dispositions de l'article R. 121-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, transposant la directive 2004/38 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leur famille de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres, que les ressortissants d'un pays tiers membres de la famille d'un citoyen non français de l'Union européenne séjournant en France ont droit, lorsqu'ils ne disposent pas d'un titre de séjour délivré par un État membre de l'Union européenne portant la mention « Carte de séjour de membre de la famille d'un citoyen de l'Union », et sous réserve que leur présence ne constitue pas une menace pour l'ordre public, à la délivrance d'un visa d'entrée en France, aux seules conditions de disposer d'un passeport et de justifier de leur lien familial avec le citoyen de l'Union européenne qu'ils entendent accompagner ou rejoindre en France. Figure au nombre des motifs tenant à l'existence d'une menace pour l'ordre public l'absence de caractère authentique des actes d'état civil produits....2) En revanche, les dispositions des articles L. 121-1 et L. 121-4-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile étant seulement applicables au séjour du ressortissant de pays tiers membre de famille d'un citoyen non français de l'Union européenne, le motif tiré de ce qu'il existe un risque que le demandeur de visa devienne une charge déraisonnable pour le système d'assistance sociale ne peut légalement fonder une décision de refus de visa d'entrée en France opposée à un tel ressortissant.


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: M. François-Xavier BRECHOT
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : OUDIN

Origine de la décision
Date de l'import : 21/06/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-06-10;21nt01461 ?
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