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20/05/2022 | FRANCE | N°21NT01312

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 mai 2022, 21NT01312


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Assurances du Crédit Mutuel et la société Banque CIC Ouest ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à verser, d'une part, à la société Assurances du Crédit Mutuel la somme de 5 246, 53 euros en réparation des dommages subis lors de la manifestation du 28 avril 2016 à Nantes et des frais d'expertises, avec intérêts à compter du 20 juillet 2017 et capitalisation des intérêts, d'autre part, à la société Banque CIC Ouest la somme de 923, 70 euros avec intér

ts à compter du 20 juillet 2017 et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Assurances du Crédit Mutuel et la société Banque CIC Ouest ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à verser, d'une part, à la société Assurances du Crédit Mutuel la somme de 5 246, 53 euros en réparation des dommages subis lors de la manifestation du 28 avril 2016 à Nantes et des frais d'expertises, avec intérêts à compter du 20 juillet 2017 et capitalisation des intérêts, d'autre part, à la société Banque CIC Ouest la somme de 923, 70 euros avec intérêts à compter du 20 juillet 2017 et capitalisation des intérêts.

Par un jugement n° 1708842 du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser la somme de 5 246, 53 euros à la société Assurances du Crédit Mutuel Iard et la somme de 932, 70 euros à la société Banque CIC Ouest, avec intérêts à compter du 24 juillet 2017 et capitalisation des intérêts échus le 24 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle ultérieure.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 mai 2021 et le 3 janvier 2022, le préfet de la Loire-Atlantique demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1708842 du tribunal administratif de Nantes du 15 mars 2021 ;

2°) de rejeter les demandes de la société Assurances du Crédit Mutuel Iard et de la société Banque CIC Ouest présentées devant le tribunal administratif de Nantes.

Il soutient que :

- le tribunal administratif a insuffisamment motivé son jugement en méconnaissance de l'article L. 9 du code de justice administrative, en s'abstenant de déterminer si le groupe qui a commis les dégradations a agi dans des conditions organisées et préméditées et en ne s'interrogeant pas sur le fait de savoir si le délit avait un lien suffisant avec le rassemblement ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure ne peut être engagée dès lors que les dégradations ne peuvent être regardées comme ayant été commises par un attroupement ou un rassemblement au sens de ces dispositions ; les dégradations ont été causées par un groupe d'une centaine d'individus qui se sont détachés du reste des manifestants pour gagner la place de la République à proximité de laquelle le cortège de manifestants n'est jamais passé ; la préméditation des individus est établie par leur habillement et leur équipement ; ces groupes mènent une action violente parallèlement au rassemblement non violent même si les deux ont le même contexte rompant le lien entre la manifestation et les violences.

Par deux mémoires en défense, enregistrés le 24 décembre 2021 et le 7 janvier 2022, la société Assurances du Crédit Mutuel Iard et la société Banque CIC Ouest, représentées par Me d'Audiffret, concluent au rejet de la requête et demandent, en outre, qu'une somme de 2 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au bénéfice de la société Assurances du Crédit Mutuel IARD en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elles soutiennent que :

- les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure sont remplies ; l'agence CIC Nantes Champ de Mars se trouvait sur le tracé de la manifestation ; les délits ont été commis par des manifestants ; les participants manifestaient contre la loi Travail, le pouvoir en place et les symboles du capitalisme ;

- le caractère spontané de l'action n'est pas requis pour l'engagement de la responsabilité sans faute de l'Etat, pas plus que la nécessité que le groupe agisse dans un but protestataire ; la préméditation n'est pas établie non plus par le fait que les dégradations des vitrines ont été réalisées avec un matériel spécifique ;

- le préjudice de la société Assurances du Crédit Mutuel s'élève à 5 246, 53 euros, dont 420 euros correspondant aux honoraires de l'expert ; le préjudice de la société Banque CIC Ouest s'élève à 932, 70 euros, montant correspondant à la franchise demeurée à sa charge et prenant en compte la vétusté.

Par une ordonnance du 2 décembre 2021, la clôture de l'instruction a été fixée au 14 janvier 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des assurances ;

- le code pénal ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de M. A..., représentant le préfet de la Loire-Atlantique, et de Me Gaschard, représentant la société Assurances du Crédit Mutuel Iard et la société Banque CIC Ouest.

Une note en délibéré, présentée par le préfet de la Loire-Atlantique, a été enregistrée le 4 mai 2022.

Considérant ce qui suit :

1. Le 28 avril 2016, s'est tenue à Nantes (Loire-Atlantique) une manifestation contre le projet de loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite Loi Travail. A la suite de cette manifestation, la société Assurances du Crédit Mutuel, assureur de la société Banque CIC Ouest, a demandé à l'Etat, par un courrier du 20 juillet 2017, la réparation des dommages subis par l'agence CIC " Nantes Champ de Mars ", située place de la République, après avoir indemnisé son assurée à hauteur de 4 826, 53 euros, un reliquat de 932, 70 euros étant demeuré à la charge de la société Banque CIC Ouest au titre de sa franchise contractuelle. Après refus explicite du préfet de la Loire-Atlantique le 11 août 2017, la société Assurances du Crédit Mutuel et la société Banque CIC Ouest ont saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à verser, d'une part, à la société Assurances du Crédit Mutuel la somme de 5 246, 53 euros en réparation des dommages subis lors de la manifestation du 28 avril 2016 à Nantes et des frais d'expertise exposés et, d'autre part, à la société Banque CIC Ouest la somme de 923, 70 euros. Par un jugement du 15 mars 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser la somme de 5 246, 53 euros à la société Assurances du Crédit Mutuel Iard et la somme de 932, 70 euros à la société Banque CIC Ouest, avec intérêts à compter du 24 juillet 2017 et capitalisation des intérêts échus le 24 juillet 2018 puis à chaque échéance annuelle ultérieure. Le préfet de la Loire-Atlantique relève appel de ce jugement du 15 mars 2021.

2. L'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable, dispose que : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. / Il peut exercer une action récursoire contre la commune lorsque la responsabilité de celle-ci se trouve engagée. ". Par ailleurs, l'article 322-1 du code pénal dispose que : " La destruction, la dégradation ou la détérioration d'un bien appartenant à autrui est punie de deux ans d'emprisonnement et de 30 000 euros d'amende, sauf s'il n'en est résulté qu'un dommage léger. (...) ".

3. Il résulte de l'instruction que l'agence de la société Banque CIC Ouest dont il a été relevé le 29 avril 2016, lendemain de la manifestation contre la loi Travail, que la vitre avait été brisée, est située 4 place de la République sur l'île de Nantes. Il résulte notamment des comptes rendus journalistiques que la manifestation s'est achevée vers 14 heures 30 - 15 heures, près des Machines de l'Île sur l'Île de Nantes. Si le préfet de la Loire-Atlantique soutient, à juste titre, que la place de la République ne se trouvait pas sur le trajet de la manifestation, il résulte de l'instruction que pendant la dispersion de la manifestation et après celle-ci, des heurts ont éclaté à divers endroits du centre-ville entre les manifestants et les forces de l'ordre. Il résulte des écritures mêmes du représentant de l'Etat que vers 14 heures 40, un groupe d'une centaine de personnes s'est détaché de la manifestation qui s'achevait près des Machines de l'Ile et s'est dirigé vers la place de la République. Dans ces conditions, alors que cette place est éloignée d'environ dix minutes en marchant du point d'arrivée de la manifestation, le préfet de la Loire-Atlantique n'est pas fondé à soutenir, compte tenu de l'heure probable à laquelle les dégradations se sont produites et de son constat du fait qu'un groupe de manifestants s'en est alors détaché en direction de l'est de l'île de Nantes, que les dommages causés à l'agence de la société Banque CIC Ouest seraient imputables à un groupe qui se serait constitué et organisé à seule fin de commettre des délits. Par suite, les conséquences dommageables de cette manifestation doivent être regardées comme imputables à un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

4. Il résulte de ce qui précède que le préfet de la Loire-Atlantique n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, lequel, conformément aux dispositions de l'article L. 9 du code de justice administrative, est suffisamment motivé quant au lien entre le délit et la manifestation et quant à l'absence de caractère organisé et prémédité des dégradations, le tribunal administratif de Nantes a admis l'engagement de la responsabilité de l'Etat.

5. Enfin, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société Assurances du Crédit Mutuel Iard en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La requête du préfet de la Loire-Atlantique est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera à la société Assurances du Crédit Mutuel Iard la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Assurances Crédit Mutuel, à la Banque CIC Ouest et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera adressée pour information au préfet de la Loire-Atlantique, préfet de la région des Pays de la Loire.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- M. Guéguen, premier conseiller,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2022.

La rapporteure,

M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président de la formation de jugement,

C. RIVAS

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01312


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01312
Date de la décision : 20/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : ACTA JURIS

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-20;21nt01312 ?
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