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20/05/2022 | FRANCE | N°21NT00773

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 20 mai 2022, 21NT00773


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SNCF Réseau et la société SNCF Mobilités ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser la somme de 169 442, 93 euros en indemnisation de leurs préjudices subis du fait de manifestations.

Par un jugement n° 1705056 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser aux société SNCF Réseau et SNCF Mobilités la somme de 1275, 85 euros en réparation des préjudices subis, et la somme de 1 500 euros en application

des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société SNCF Réseau et la société SNCF Mobilités ont demandé au tribunal administratif de Nantes de condamner l'Etat à leur verser la somme de 169 442, 93 euros en indemnisation de leurs préjudices subis du fait de manifestations.

Par un jugement n° 1705056 du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser aux société SNCF Réseau et SNCF Mobilités la somme de 1275, 85 euros en réparation des préjudices subis, et la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 mars 2021, le 26 novembre 2021 et le 7 janvier 2022, la société SNCF Voyageurs, venant aux droits de la société SNCF Mobilités, représentée par Me Viaud, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) de réformer le jugement n° 1705056 du tribunal administratif de Nantes du 14 janvier 2021 en tant qu'il a limité à 1 275, 85 euros la condamnation de l'Etat ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 62 855, 92 euros en réparation des préjudices subis ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- ses demandes formulées au titre des manifestations des 5 avril et 12 mai 2016 sont recevables et non tardives :

o contrairement à ce qu'a estimé le tribunal administratif, les deux courriers, informatifs, adressés au préfet pour l'aviser des manifestations de ces deux jours ne comportaient aucune réclamation et notamment aucun chiffrage définitif ; aucune liaison du contentieux n'est donc intervenue à ces dates en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative ; dès lors, aucun contentieux n'ayant été lié le 23 juin 2016, elle était bien recevable à présenter pour la première fois le 3 février 2017 une réclamation préalable concernant les événements des 5 avril et 12 mai 2016 ;

o elle est donc fondée à demander la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 20 683,24 euros au titre du préjudice subi le 5 avril 2016 et 8 906, 87 euros au titre du préjudice subi le 12 mai 2016 ;

- la responsabilité de l'Etat est engagée sur le fondement de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure :

o s'agissant des événements du 15 avril 2016 :

* le mouvement Nuit Debout ne peut être distingué de la manifestation contre la loi Travail, les deux mouvements étant perméables ;

* le fait que les dégradations seraient imputables au mouvement Nuit Debout n'exclut pas l'application du régime de responsabilité de l'Etat pour attroupements ;

* un crime ou un délit commis à force ouverte n'implique pas qu'il ait été fait usage de la force ; l'occupation des voies ferrées, même pacifique, constitue bien un tel délit ;

* le fait que les manifestants auraient eu pour intention préméditée d'occuper la gare et les rails ne permet pas d'exclure la responsabilité de l'Etat dès lors que l'occupation trouve son origine dans une manifestation sur la voie publique ; les manifestants ne se sont pas uniquement constitués dans le but d'occuper les voies de la gare de Nantes ;

* elle doit être indemnisée à hauteur de 1 956, 68 euros ;

o s'agissant des événements du 28 avril 2016 :

* c'est à tort que le tribunal administratif a considéré que l'intrusion sur les voies ferrées proches de la gare n'est pas liée à la manifestation qui avait lieu sur l'Ile de Nantes dès lors que la manifestation a eu aussi lieu à d'autres endroits dont la gare ; les dommages sont intervenus dans une manifestation désorganisée ; il n'est pas établi que les dégradations produites auraient été commises par des individus organisés à cette seule fin ;

* elle doit être indemnisée à hauteur de 651, 21 euros ;

o s'agissant des événements des 27 mai, 9 juin et 10 juin 2016 :

* la seule circonstance que des organisations syndicales avaient pour seule fin de bloquer le trafic ferroviaire ne suffit pas à exclure l'application du régime de responsabilité de l'Etat pour attroupements dès lors que ces agissements résultent de manifestations révélant la défense d'un intérêt collectif ; le caractère prémédité de l'occupation des voies n'est en tout état de cause pas établi et ne saurait suffire à écarter l'application du régime ; les groupes ayant commis les exactions à Donges, Saint-Nazaire et Savenay s'inscrivent bien dans le mouvement national de contestation de la loi Travail ; l'existence d'un certain degré d'organisation n'écarte pas l'application du régime de responsabilité de l'Etat ;

* elle doit être indemnisée à hauteur de 1 738, 91 euros au titre de l'événement du 27 mai 2016, de 3 925, 84 euros au titre de l'événement du 9 juin 2016 et de 7 178, 84 euros au titre de l'événement du 10 juin 2016 ;

- s'agissant des événements des 9 mars, 31 mars, 9 avril, 14 avril, 20 avril et 3 mai 2016, pour lesquels le tribunal administratif a retenu l'application du régime de responsabilité de l'Etat et a limité son préjudice indemnisable :

o son indemnisation ne pouvait être limitée aux seules dépenses exposées pour indemniser ses clients ou pour leur permettre de rejoindre leur destination par un autre moyen de transport ; elle a droit à être indemnisée des pertes d'exploitation liées aux perturbations connues par le trafic ferroviaire et à la désorganisation complète du service, lesquelles doivent être évaluées selon le protocole d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires, conclu le 1er juillet 2005 avec les représentants des compagnies d'assurance ; le principe d'indemnisation fondé sur le tarif forfaitaire à la minute est parfaitement applicable ;

o elle justifie de la réalité de ses préjudices, les temps de retard étant justifiés par les fiches d'incidents détaillés ;

o elle doit être indemnisée à hauteur de 17 399, 32 euros, soit 848, 99 euros pour l'événement du 9 mars 2016, 2779, 26 euros pour l'événement du 31 mars 2016, 3 583, 26 euros pour l'événement du 9 avril 2016, 2 069, 31 euros pour l'événement du 14 avril 2016, 5 569, 29 euros pour l'événement du 20 avril 2016 et 2 964, 22 euros pour l'événement du 3 mai 2016.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 20 octobre 2021 et le 3 janvier 2022, le préfet de la Loire-Atlantique conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- les conclusions de la société SNCF Voyageurs relatives aux événements du 5 avril 2016 et du 12 mai 2016 sont tardives puisque la société a bien entendu engagé la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des attroupements dans ses courriers des 12 et 23 mai 2016 ; ces courriers n'avaient pas un caractère purement informatif même si la société n'avait pas encore procédé à l'évaluation chiffrée de son préjudice ; il a rejeté explicitement ces demandes par un courrier du 23 juin 2016 qui comportait la mention des voies et délais de recours ;

- en ce qui concerne les événements des 15 avril, 28 avril, 27 mai, 9 juin et 10 juin 2016, ces événements n'ont pas de lien avec une manifestation et paraissent avoir été commis par des groupes constitués à cette seule fin ; certains des événements (27 mai, 9 juin, 10 juin) ne peuvent pas être rattachés à une quelconque manifestation ; les agissements du groupe Nuit Debout le 15 avril 2006 sans la moindre dégradation ne peuvent être qualifiés de dommages résultant d'actes commis à force ouverte ou par violence ;

- en ce qui concerne le préjudice lié aux dommages subis lors des événements des 9 mars, 31 mars, 9 avril, 14 avril, 20 avril et 3 mai 2016 :

o le caractère certain du préjudice subi par la société SNCF Voyageurs n'est pas établi ni dans son principe, ni dans son montant ;

o le protocole d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires n'est pas opposable à l'Etat ; en outre, il ne dispense pas la société SNCF Voyageurs de justifier de la réalité de son préjudice ;

o aucun des montants demandés n'est conforme au barème du protocole d'évaluation.

Vu le courrier du 10 janvier 2022 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les informant de la date ou de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et précisant la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

L'instruction a été close au 28 février 2022, date d'émission d'une ordonnance prise en application des dispositions combinées des articles R. 611-11-1 et R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code des transports ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- les conclusions de M. Pons, rapporteur public,

- et les observations de Me Viaud, représentant la société SNCF Voyageurs et de M. A..., représentant le préfet de la Loire-Atlantique.

Considérant ce qui suit :

1. La société SNCF Mobilités et la société SNCF Réseau ont saisi le tribunal administratif de Nantes d'une demande tendant à la condamnation de l'Etat à les indemniser des préjudices constitués par des dégâts matériels et de ceux résultant de retards de trains, à la suite d'incidents survenus les 9 mars, 31 mars, 5 avril, 9 avril, 14 avril, 15 avril, 20 avril, 28 avril, 3 mai, 12 mai, 27 mai, 9 juin et 10 juin 2016, parallèlement aux manifestations, au printemps 2016, d'opposition au projet de loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels, dite " loi Travail ". Par un jugement du 14 janvier 2021, le tribunal administratif de Nantes a condamné l'Etat à verser à ces deux sociétés la somme de 1 275, 85 euros. La seule société SNCF Voyageurs, venant aux droits de la société SNCF Mobilités, relève appel de ce jugement en tant qu'il a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 1 275, 85 euros.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. L'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée. (...) ". L'article R. 421-3 du même code précisait dans sa rédaction alors applicable : " Toutefois, l'intéressé n'est forclos qu'après un délai de deux mois à compter du jour de la notification d'une décision expresse de rejet : / 1° En matière de plein contentieux (...). ".

3. Un requérant peut se borner à demander à l'administration réparation d'un préjudice qu'il estime avoir subi pour ne chiffrer ses prétentions que devant le juge administratif.

4. Il résulte de l'instruction que par un courrier du 12 mai 2016, parvenu en préfecture le 17 mai suivant, la direction juridique du groupe SNCF a indiqué au préfet de la Loire-Atlantique que des manifestants avaient pénétré illégalement, en méconnaissance des dispositions du code des transports, sur les voies de la gare de Nantes et avaient causé du fait de dégradations matérielles et de perturbations de trafic un préjudice estimé supérieur à 15 000 euros. Par ce même courrier, la SNCF relevait que les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat sur le fondement de l'article L. 2216-3 du code général des collectivités territoriales, dispositions transférées depuis le 1er mai 2012 à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, étaient réunies et qu'elle communiquerait ultérieurement le chiffrage définitif du sinistre. Le courrier de la direction juridique de la SNCF du 23 mai 2016, parvenu en préfecture le 25 mai suivant, avait un objet similaire et désignait les dégradations intervenues en gare de Nantes le 12 mai 2016 et le régime de responsabilité de l'Etat prévu à l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure. Compte tenu de leur formulation claire, ces deux courriers ne sauraient, contrairement à ce que soutient la société SNCF Voyageurs, avoir un contenu purement informatif et constituaient des demandes indemnitaires préalables de nature à lier le contentieux concernant les deux faits générateurs intervenus les 5 avril et 12 mai 2016. Il résulte par ailleurs de l'instruction que par une décision explicite du 23 juin 2016 le préfet de la Loire-Atlantique a rejeté les deux demandes préalables de la direction juridique de la SNCF de mai 2016. Cette décision que la SNCF ne conteste pas avoir reçue en juin 2016 comportait l'indication des voies et délais de recours. Cette décision était donc devenue définitive lorsque par courrier du 3 février 2017, la direction juridique du groupe SNCF a présenté au préfet de la Loire-Atlantique une demande préalable comportant entre autres des demandes relatives aux faits survenus les 5 avril 2016 et 12 mai 2016. La décision du préfet du 13 juin 2017, qui rappelle en outre expressément à la SNCF le rejet intervenu le 23 juin 2016, présente donc, sur ce point, un caractère confirmatif.

5. Il résulte de ce qui précède que la société SNCF Voyageurs n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nantes a rejeté comme tardives ses demandes tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des dommages causés par les événements des 5 avril et 12 mai 2016 et à invoquer, pour ce motif, l'irrégularité du jugement attaqué.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute de l'Etat :

6. L'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction applicable au présent litige, dispose que : " L'Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens. (...) ".

7. Par ailleurs, aux termes de l'article L. 2242-4 du code des transports : " Est puni de six mois d'emprisonnement et de 3 750 € d'amende le fait pour toute personne : / 1° De modifier ou déplacer sans autorisation ou de dégrader ou déranger la voie ferrée, les talus, clôtures, barrières, bâtiments et ouvrages d'art, les installations de production, de transport et de distribution d'énergie ainsi que les appareils et le matériel de toute nature servant à l'exploitation ; / 2° De jeter ou déposer un matériau ou un objet quelconque sur les lignes de transport ou de distribution d'énergie ou dans les parties de la voie ferrée ou de ses dépendances qui ne sont pas affectées à la circulation publique ; / 3° D'empêcher le fonctionnement des signaux ou appareils quelconques ou de manœuvrer, sans en avoir mission, ceux qui ne sont pas à la disposition du public ; / 4° De troubler ou entraver, par des signaux faits en dehors du service ou de toute autre façon, la mise en marche ou la circulation des trains ; / 5° De pénétrer, circuler ou stationner sans autorisation régulière dans les parties de la voie ferrée ou de ses dépendances qui ne sont pas affectées à la circulation publique, d'y introduire des animaux ou d'y laisser introduire ceux dont elle est responsable, d'y faire circuler ou stationner un véhicule étranger au service, d'y jeter ou déposer un matériau ou un objet quelconque, d'entrer dans l'enceinte du chemin de fer ou d'en sortir par d'autres issues que celles affectées à cet usage ; / 6° De laisser stationner sur les parties d'une voie publique suivie ou traversée à niveau par une voie ferrée des voitures ou des animaux, d'y jeter ou déposer un matériau ou un objet quelconque, de faire suivre les rails de la voie ferrée par des véhicules étrangers au service ; (...) / 9° De pénétrer sans autorisation dans les espaces affectés à la conduite des trains ".

S'agissant des événements du 15 avril 2016 :

8. Il résulte de l'instruction, notamment du relevé d'incident établi par la SNCF, que le 15 avril 2016, vers 20 heures 45, un train a dû être arrêté à l'approche de la gare de Nantes après que le conducteur a aperçu plusieurs personnes sur les rails. Par ailleurs, vers 21 h 09, il a été signalé la présence dans la gare d'une petite centaine de personnes dont certaines se rendant sur les voies et s'agenouillant. Dès 21 heures 13, l'ensemble des personnes ont été évacuées des voies. S'il est constant que les intéressés se revendiquaient du mouvement " Nuit Debout ", il ne résulte aucunement de l'instruction qu'un rassemblement se soit tenu à proximité immédiate de la gare ou des voies. Par ailleurs, la méthode employée et la brièveté de l'action des intéressés révèlent une action préméditée organisée par un groupe structuré, constitué et organisé à seule fin d'occuper les voies de la gare de Nantes et d'interrompre ponctuellement le trafic. Dans ces conditions, le groupe ayant causé les événements du 15 avril 2016 ne peut pas être regardé comme un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

S'agissant des événements du 28 avril 2016 :

9. Il résulte de l'instruction, notamment du relevé d'incident établi le 28 avril 2016 par la SNCF, que vers 11 heures 52, des personnes ont été aperçues en train de ramasser du ballast sur les voies du chemin de fer au niveau du pont de la Rotonde et du Miroir d'eau à Nantes. Cette intrusion a entrainé un arrêt de la circulation des trains qui n'a pu reprendre normalement qu'à 12 heures 15. Il résulte par ailleurs de l'instruction, notamment des comptes rendus de la journée par les journalistes, que le point de rendez-vous de la manifestation de protestation contre la loi Travail avait été donné par les syndicats à 10 heures 30 aux Machines situées sur l'île de Nantes, de l'autre côté d'un bras de la Loire. Ultérieurement, ce cortège a quitté l'île de Nantes par le pont Anne de Bretagne et s'est dirigé le long du quai de la Fosse et de l'île Feydeau. Il résulte des comptes rendus journalistiques que l'avant de ce cortège est arrivé vers 11 heures 50 devant le Château des Ducs de Bretagne, lequel se trouve précisément en face du Miroir d'eau et des voies ferrées qui le longent. Dans ces conditions, compte tenu de la concomitance entre l'arrivée de l'avant de la manifestation à proximité du Miroir d'eau, la présence de personnes ramassant du ballast pouvant servir de projectile sur les voies ferroviaires latérales et l'existence d'échauffourées violentes avec les forces de l'ordre, la société SNCF Voyageurs est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que la responsabilité sans faute de l'Etat ne pouvait pas être engagée, à raison des dommages résultant de l'entrave à la circulation des trains causée par les personnes ayant ramassé du ballast sur les voies, sur le fondement des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

S'agissant des incidents du 27 mai 2016 :

10. Il résulte de l'instruction, notamment du compte rendu d'incident dressé par la SNCF, que le 27 mai 2016, à 7 heures 50, le conducteur d'un train circulant sur la ligne entre Nantes et Saint-Nazaire, a signalé, alors qu'il traversait la commune de Donges, la présence de plusieurs personnes sur la voie ferrée puis un choc contre le train, qui s'est avéré provenir de pétards déposés sur la voie. Cette présence a obligé à arrêter la circulation de plusieurs trains et a entrainé l'intervention de la gendarmerie. Le trafic n'a pu redémarrer qu'à compter de 11 heures 10 du matin. Néanmoins, à supposer même que les personnes ayant bloqué les voies le 27 mars 2016 au matin soient liées aux salariés ayant parallèlement occupé la raffinerie de Donges en protestation contre le projet de loi Travail, il ne résulte aucunement de l'instruction qu'un attroupement ou une manifestation se seraient déroulés à cette même date à proximité de la voie en cause. Par ailleurs, la méthode employée révèle une action préméditée organisée par un groupe de personnes, constitué et organisé à seule fin de perturber le trafic ferroviaire entre Nantes et Saint-Nazaire. Dans ces conditions, le groupe ayant causé les événements du 27 mai 2016 ne peut pas être regardé comme un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

S'agissant des événements des 9 et 10 juin 2016 :

11. Il résulte de l'instruction que le 9 juin 2016, à 5 heures 30, des personnes ont pénétré dans la gare de Saint-Nazaire et ont bloqué les voies, notamment en disposant des traverses de bois en travers des rails. En conséquence, la circulation des trains a été interrompue dans le secteur et perturbée plus largement, ne pouvant reprendre un cours normal que vers 10 heures 45. Par ailleurs, le lendemain, 10 juin 2016, une soixantaine de personnes ont pénétré dans la gare proche de Savenay à 6 heures 08 et ont bloqué la circulation des trains. Cette dernière n'a pu reprendre un cours normal que vers 11 heures 10. Si la société SNCF Voyageurs soutient que les personnes ayant bloqué les gares de Saint-Nazaire et de Savenay les 9 et 10 juin 2016 étaient des syndicalistes protestant contre la loi Travail, il ne résulte aucunement de l'instruction que ces incidents seraient survenus en prolongement d'un attroupement ou d'une manifestation. Il résulte en revanche des comptes rendus d'incidents dressés par la SNCF sur son logiciel de gestion des crises que le 9 juin 2016 ces personnes avaient pour but d'obtenir la mise à disposition d'un syndicat d'une rame de train pour se rendre à Paris le 14 juin suivant. Il résulte des constats figurant dans ce même logiciel que le 10 juin 2016, les occupants des voies ont accepté de les libérer pour 11 heures après discussion avec un responsable de la SNCF sans précision sur leurs motivations. La méthode employée et les buts clairement affichés révèlent donc une action préméditée organisée par un groupe structuré, constitué et organisé à seule fin d'occuper les voies des gares de Saint-Nazaire et de Savenay et d'interrompre ponctuellement le trafic. Dans ces conditions, les groupes ayant causé les événements des 9 et 10 juin 2016 ne peuvent pas être regardés comme un attroupement ou un rassemblement au sens des dispositions de l'article L. 211-10 du code de la sécurité intérieure.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice de la société SNCF Voyageurs :

12. En premier lieu, le préfet de la Loire-Atlantique ne conteste pas le montant de la condamnation prononcée par les premiers juges au titre des manifestations des 9 mars, 31 mars, 9 avril, 14 avril, 20 avril et 3 mai 2016, s'élevant à 848, 99 euros au titre de dégradations matérielles causées le 9 mars 2016 et à 426, 86 euros de frais de taxi pour le transport de passagers les 20 avril et 3 mai 2016.

13. En second lieu, la société SNCF Voyageurs justifie suffisamment des retards qu'ont subis les différents trains par la production des fiches d'incidents dressées à la suite des événements en cause, qui mentionnent précisément chaque train concerné à titre direct ou indirect, identifié par son numéro et son trajet, et le nombre de minutes perdues par chaque train. Il résulte ainsi de l'ensemble des relevés d'incidents produits que les événements du 31 mars 2016 ont concerné directement six circulations de trains pour un total de 421 minutes de retard. Les événements du 9 avril ont concerné directement huit circulations de trains et indirectement cinq circulations pour un total de 385 minutes de retard. Les événements du 14 avril 2016 ont concerné directement dix circulations de trains et indirectement quatre circulations, pour un total de 276 minutes perdues. Les événements du 20 avril ont concerné directement onze circulations et à titre indirect, vingt-deux circulations pour un total de 545 minutes de retard. La manifestation du 28 avril 2016 a eu un impact sur trois circulations à titre direct et une à titre indirect, pour un total de 47 minutes perdues. Enfin, les événements du 3 mai 2016 ont eu une incidence directe sur quatre circulations de train, et indirecte sur quatorze circulations pour un total de 521 minutes de retard. En revanche, s'il résulte du logiciel de gestion de crise de la SNCF que divers agents de l'entreprise ferroviaire ont été amenés à intervenir en conséquence de ces incidents, la société SNCF Voyageurs n'établit aucunement que le recours à ces salariés excède le fonctionnement normal de ses services en charge de la gestion des crises. Dans ces conditions, les dépenses de personnel supplémentaires ne sont pas établies dans leur principe même. En ce qui concerne le préjudice commercial et matériel subi par la société SNCF Voyageurs, venant aux droits de la société SNCF Mobilité, du fait des retards dans le trafic ferroviaire, le protocole soumis au contradictoire d'évaluation des dommages consécutifs à des accidents causés par des tiers aux biens ferroviaires conclu en 2005 entre la SNCF et l'ensemble des entreprises d'assurances membres de la Fédération française des sociétés d'assurances et des entreprises d'assurances membres du Groupement des entreprises mutuelles d'assurances, s'il n'est pas opposable en tant que tel à l'Etat qui n'en est pas membre, présente des éléments d'informations pertinents, et non sérieusement contredits, sur le montant du préjudice commercial subi du fait des retards par l'entreprise ferroviaire. Il en résulte, au terme d'une juste appréciation, que les préjudices subis par la société SNCF Voyageurs du fait des retards de trains occasionnés par les événements en cause peuvent être fixés à la somme de 2 450 euros pour le 31 mars 2016, 2 250 euros pour le 9 avril 2016, 1 650 euros pour le 14 avril 2016, 4 600 euros pour le 20 avril 2016, 490 euros pour le 28 avril 2016 et 2 650 euros pour le 3 mai 2016, soit un total de 14 090 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la société SNCF Voyageurs est fondée à soutenir que la condamnation de l'Etat prononcée par le jugement attaqué du tribunal administratif de Nantes doit être portée de 1 275, 85 euros à la somme de 15 365, 85 euros.

Sur les frais du litige :

15. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros à verser à la société SNCF Voyageurs en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DECIDE :

Article 1er : La somme de 1 275, 85 euros que l'Etat a été condamné à verser aux sociétés SNCF Réseau et SCNF Mobilités, au droit de laquelle vient la société SNCF Voyageurs, par le jugement n° 1705056 du tribunal administratif de Nantes du 14 janvier 2021 est portée à la somme de 15 365, 85 euros, dont 14 090 euros au profit de la seule société SNCF Voyageurs.

Article 2 : L'article 1er du jugement du tribunal administratif de Nantes du 14 janvier 2021 est réformé en ce qu'il a de contraire à l'article 1er de l'arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société SNCF Voyageurs la somme de 1 500 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société SNCF Voyageurs est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la société SNCF Voyageurs et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera adressée pour information au préfet de la Loire-Atlantique.

Délibéré après l'audience du 3 mai 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Rivas, président de la formation de jugement,

- M. Guéguen, premier conseiller,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 mai 2022.

La rapporteure,

M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président de la formation de jugement,

C. RIVAS

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT00773


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT00773
Date de la décision : 20/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. RIVAS
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : PARTHEMA 3

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-20;21nt00773 ?
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