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06/05/2022 | FRANCE | N°20NT01551

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 06 mai 2022, 20NT01551


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELARL Bruno Cambon, mandataire judiciaire de M. D... C..., a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune des Pieux à lui verser la somme de 34 180,30 euros avec intérêt au taux légal à compter du 11 mai 2018, en réparation des préjudices que M. C... estime avoir subis en raison de renseignements d'urbanisme erronés concernant la constructibilité d'une parcelle cadastrée section AW n° 275 au lieu-dit Epaville, sur le territoire de la commune des Pieux.

Par un jugement n°

1802215 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La SELARL Bruno Cambon, mandataire judiciaire de M. D... C..., a demandé au tribunal administratif de Caen de condamner la commune des Pieux à lui verser la somme de 34 180,30 euros avec intérêt au taux légal à compter du 11 mai 2018, en réparation des préjudices que M. C... estime avoir subis en raison de renseignements d'urbanisme erronés concernant la constructibilité d'une parcelle cadastrée section AW n° 275 au lieu-dit Epaville, sur le territoire de la commune des Pieux.

Par un jugement n° 1802215 du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune des Pieux à verser à la SELARL Bruno Cambon la somme de 33 992,10 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2018.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 28 mai 2020 et le 12 août 2021, la commune des Pieux, représentée par Me Bourrel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Caen du 2 avril 2020 ;

2°) de rejeter la demande de la SELARL Bruno Cambon devant le tribunal administratif de Caen ;

3°) de mettre à la charge de la SELARL Bruno Cambon la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- elle n'a commis aucune faute car le certificat d'urbanisme pré-opérationnel du 29 mars 2011 et le permis de construire, délivré le 4 juillet 2011, respectaient les dispositions applicables et la notion de hameau, de village et d'agglomération au sens de la loi Littoral a été peu à peu précisée par la jurisprudence ;

- la négligence de M. et Mme C... l'exonère de sa responsabilité dès lors qu'ils ont acquis le terrain sans attendre que leur permis de construire soit devenu définitif, n'ont pas assorti l'acte d'achat du terrain d'une clause suspensive et ont également laissé expirer la validité de leur permis de construire en s'abstenant de réaliser l'opération projetée ;

- le préjudice n'est pas certain dès lors qu'il n'est pas exclu que la parcelle redevienne constructible ;

- les choix de M. et Mme C... démontrent que la constructibilité de la parcelle n'était pas pour eux la condition de l'achat de celle-ci ; les frais bancaires et les frais d'actes sont donc sans lien avec la prétendue faute.

Par des mémoires en défense, enregistrés les 4 juin 2021 et 3 septembre 2021, la SELARL Bruno Cambon, liquidateur judiciaire de M. D... C..., représentée par Me Gaudré Cœur-uni, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la commune des Pieux la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que les moyens soulevés par la commune des Pieux ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'urbanisme ;

- la loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de M. Giraud, rapporteur public,

Considérant ce qui suit :

1. Par un acte notarié du 20 septembre 2011, M. D... C... et Mme B... C... ont acquis la parcelle cadastrée section AW n° 275, au lieu-dit Epaville, sur le territoire de la commune des Pieux où ils souhaitaient faire édifier une maison à usage d'habitation. Préalablement à la signature de cet acte, la commune des Pieux a délivré aux intéressés, le 24 avril 2011, un certificat d'urbanisme pré-opérationnel, attestant que la parcelle était constructible puis, le 4 juillet 2011, un permis de construire à fin d'édification d'une maison d'habitation. M. et Mme C... n'ont pas exécuté ce permis de construire et ont souhaité mettre en vente leur terrain. Ils ont alors demandé un nouveau certificat d'urbanisme le 7 juillet 2014. Le 9 février 2015, un certificat d'urbanisme opérationnel négatif leur a été délivré pour la construction d'une maison d'habitation au motif que le projet créait une extension de l'urbanisation qui n'était pas réalisée en continuité d'un village existant au sens de la loi Littoral. Un second certificat d'urbanisme négatif a été délivré, pour le même motif, le 1er juin 2017. Par ailleurs, par un jugement du 27 février 2017, le tribunal de commerce de Cherbourg a prononcé la liquidation judiciaire de M. D... C... et désigné la SELARL Bruno Cambon en qualité de mandataire judiciaire. Par un courrier reçu par la commune des Pieux le 11 mai 2018, la SELARL Bruno Cambon a demandé l'indemnisation du préjudice subi par M. C... à raison des fautes commises par la commune concernant la constructibilité du terrain, qui a été implicitement rejetée le 11 juillet 2018. Par un jugement du 2 avril 2020, le tribunal administratif de Caen a condamné la commune des Pieux à verser à la SELARL Bruno Cambon la somme de 33 992,10 euros avec intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2018. La commune relève appel de ce jugement.

Sur la responsabilité de la commune des Pieux :

En ce qui concerne la faute imputable à la commune :

2. L'illégalité d'une décision administrative est constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'administration à l'égard de son destinataire s'il en est résulté pour lui un préjudice direct et certain.

3. Aux termes du I de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme dans sa version applicable à la date du certificat d'urbanisme positif et du permis de construire délivrés à M. et Mme C... : " L'extension de l'urbanisation doit se réaliser soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que les constructions peuvent être autorisées dans les communes littorales en continuité avec les agglomérations et villages existants, c'est-à-dire avec les zones déjà urbanisées caractérisées par un nombre et une densité significatifs de constructions. En revanche, aucune construction ne peut être autorisée, même en continuité avec d'autres, dans les zones d'urbanisation diffuse éloignées de ces agglomérations et villages.

5. Il résulte de l'instruction, et notamment des plans et photographies produits par M. et Mme C..., que le lieu-dit Epaville comporte environ 25 constructions sur de vastes parcelles, et non une cinquantaine comme l'allègue la commune, implantées le long de la route départementale RD 523 et d'une voie secondaire, qu'il est situé à environ un kilomètre du centre-bourg de la commune des Pieux et est nettement séparé du bourg par de vastes parcelles agricoles dépourvues de toute construction. Ce lieu-dit est ainsi situé en dehors des espaces déjà urbanisés de la commune et ne présente pas une densité suffisante pour caractériser un espace urbanisé. Dans ces conditions, la commune des Pieux, qui ne peut utilement se prévaloir des dispositions dépourvues de caractère règlementaire de la circulaire du 14 mars 2006 relative à l'application de la loi littoral, n'est pas fondée à soutenir que cette parcelle se situe en continuité avec une agglomération ou un village existant. Par suite, c'est en méconnaissance des dispositions précitées du code de l'urbanisme que la commune des Pieux a délivré aux intéressés le 4 avril 2011 un certificat d'urbanisme pré-opérationnel déclarant réalisable le projet de construction de M. et Mme C... et un permis de construire le 4 juillet 2011. Cette illégalité constitue une faute de nature à engager la responsabilité de la commune des Pieux à l'égard de M. C.... La SELARL Bruno Cambon, liquidateur judiciaire de M. C..., peut, dès lors, prétendre à la réparation des conséquences dommageables de cette illégalité fautive, sous réserve de justifier d'un préjudice direct et certain.

En ce qui concerne la faute de la victime :

6. D'une part, il ne résulte pas de l'instruction que M. C... aurait commis une imprudence en achetant le 20 septembre 2011 la parcelle section AW n° 275 alors que le permis de construire délivré le 4 juillet 2011 n'était pas, selon la commune, définitif. En tout état de cause, une telle imprudence serait sans lien avec les préjudices subis, tirés de l'achat d'une parcelle inconstructible.

7. D'autre part, contrairement à ce que soutient la commune, en s'abstenant de réaliser le projet de construction autorisé en 2011, lequel aurait au demeurant méconnu les dispositions du I du L. 146-4 pour les raisons exposées aux points 4 et 5, M. C... n'a pas concouru à son préjudice, lequel ne trouve pas son origine dans l'absence de vente d'un terrain construit mais dans l'illégalité du certificat d'urbanisme et du permis de construire ayant conduit M. C... à acquérir une parcelle en réalité inconstructible. Enfin, la commune ne peut utilement, pour atténuer sa responsabilité, se prévaloir de ce que M. C... n'avait pas subordonné l'acquisition de la parcelle litigieuse à la "condition suspensive " de l'obtention d'un permis de construire dès lors qu'il résulte des faits rappelés au point 1 qu'il était, à la date de l'achat, bénéficiaire d'un permis de construire et d'un certificat d'urbanisme positif.

Sur le préjudice :

8. En premier lieu, il résulte de l'acte de vente que M. et Mme C... ont acquis le terrain pour un prix de 34 000 euros. La valeur vénale du bien non constructible a été expertisée à 4 000 euros le 10 novembre 2017. Si la commune soutient que le terrain pourrait à nouveau être classé en zone constructible et voir sa valeur augmenter dès lors que la révision du schéma de cohérence territoriale est susceptible de modifier les règles de constructibilité de la parcelle de M. et Mme C..., il ne résulte toutefois pas de l'instruction que le plan local d'urbanisme applicable ait délimité un secteur déjà urbanisé, englobant la parcelle cadastrée AW 175, qui autorise des constructions et installations répondant aux conditions du 2e alinéa de l'article L. 121-8 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l'aménagement et du numérique dite loi ELAN. Dans ces conditions, la SELARL Bruno Cambon est fondée à être indemnisée de l'écart de 30 000 euros existant entre ces deux prix, directement lié aux fautes de la commune qui ont conduit M. et Mme C... à acquérir le terrain au prix d'un terrain constructible.

9. En second lieu, il résulte de l'instruction que M. et Mme C... ont acquitté la somme de 3 992,10 euros, au titre des frais d'acquisition, lesquels incluent les honoraires du notaire, les frais d'enregistrement et les frais de dossier bancaire. Par suite, le préjudice financier subi par les intéressés en raison de ces frais peut être justement évalué à cette somme.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la commune des Pieux n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen l'a condamnée à verser à la SELARL Bruno Cambon la somme de 33 992,10 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2018 en réparation des préjudices subis par M. C...,

Sur les frais liés au litige :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit mis à la charge de la SELARL Bruno Cambon, laquelle n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, une somme au titre des frais exposés par la commune des Pieux et non compris dans les dépens.

12. Il y a lieu, en revanche, de mettre à la charge de la commune des Pieux le versement à la SELARL Bruno Cambon de la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune des Pieux est rejetée.

Article 2 : La commune des Pieux versera à la SELARL Bruno Cambon la somme de 1 500 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune des Pieux et à la SELARL Bruno Cambon, liquidateur judiciaire de Philippe C....

Délibéré après l'audience du 26 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Pérez, président de chambre,

- Mme Douet, présidente-assesseure,

- M. Bréchot, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 6 mai 2022.

La rapporteure,

H. A...

Le président,

A. PÉREZ

La greffière,

K. BOURON

La République mande et ordonne à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales en ce qui la concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20NT01551


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20NT01551
Date de la décision : 06/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

68-03-06 Urbanisme et aménagement du territoire. - Permis de construire. - Contentieux de la responsabilité (voir : Responsabilité de la puissance publique).


Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Hélène DOUET
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : BOURREL

Origine de la décision
Date de l'import : 17/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-05-06;20nt01551 ?
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