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29/04/2022 | FRANCE | N°22NT00111

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 4ème chambre, 29 avril 2022, 22NT00111


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 mars 2021 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... a demandé au tribunal administratif de Caen d'annuler l'arrêté du 30 mars 2021 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

Par un jugement n° 2101421 du 15 décembre 2021, le tribunal administratif de Caen a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 janvier 2022, M. A... B..., représenté par Me Bodergat, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2101421 du tribunal administratif de Caen du 15 décembre 2021 ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 30 mars 2021 par lequel le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation, et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Orne à titre principal de lui délivrer une carte de séjour temporaire mention " vie privée et familiale " ou mention " travailleur temporaire " dans un délai de quinze jours ou à titre subsidiaire de réexaminer sa situation ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 200 euros à verser à son avocate au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat.

Il soutient que :

. en ce qui concerne le refus de séjour :

- il n'est pas établi que le directeur de cabinet de la préfète de l'Orne, signataire de l'acte, soit compétent et dispose d'une délégation régulière ;

- le préfet a commis une erreur en visant et estimant applicable la convention franco-congolaise signée à Brazzaville le 31 juillet 1993 alors qu'il est un ressortissant du Congo Kinshasa et non du Congo Brazzaville ;

- la décision est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnait les dispositions de l'article L. 313-14-1 et celles de l'article R. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision méconnait les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

. en ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français ;

- la décision est illégale pour les mêmes motifs que ceux invoqués à l'encontre du refus de séjour :

. en ce qui concerne la décision de refus d'un délai de départ volontaire :

- la décision est manifestement disproportionnée au regard de ses activités au sein de la communauté Emmaüs, de ses attaches personnelles et des perspectives sérieuses d'intégration ; elle méconnait les dispositions du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

. en ce qui concerne la décision portant interdiction de retour sur le territoire français :

- la décision est manifestement disproportionnée au regard de ses activités au sein de la communauté Emmaüs, de ses attaches personnelles et des perspectives sérieuses d'intégration ; elle méconnait les dispositions du III de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par un mémoire en défense, enregistré le 11 février 2022, le préfet de l'Orne conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par M. B... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en intervention, qui n'a pas été communiqué, enregistré le 31 mars 2022, le Groupe d'information et de soutien des immigré.es (GISTI) et l'association Emmaüs France demandent que la cour fasse droit aux conclusions de la requête de M. B....

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du 2 février 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'action sociale et des familles ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Béria-Guillaumie, première conseillère,

- et les observations de Me Crusoé, représentant le GISTI et l'association Emmaüs France.

Considérant ce qui suit :

1. M. A... B..., ressortissant congolais (République démocratique du Congo) né en avril 1970, est entré en France en janvier 2014. Il a déposé une demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) du 6 mars 2015. Son recours contre cette décision a été rejeté par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA) le 1er septembre 2015. Par des décisions du 16 décembre 2015, le préfet de l'Orne a refusé de l'admettre au séjour et a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours. M. B... a déposé une demande de réexamen de sa demande d'asile qui a été rejetée par une décision de l'OFPRA du 6 mai 2016, confirmée par une décision de la CNDA du 29 août 2016. En octobre 2020, M. B... a demandé son admission exceptionnelle au séjour. Par un arrêté du 30 mars 2021, le préfet de l'Orne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office à défaut de se conformer à cette obligation et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an. M. B... relève appel du jugement du 15 décembre 2021 par lequel le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 30 mars 2021.

Sur l'intervention du GISTI et de l'association Emmaüs France :

2. Eu égard à leurs objets statutaires, le GISTI et l'association Emmaüs France justifient d'un intérêt suffisant pour intervenir au soutien des conclusions de M. B.... Leur intervention doit, par suite, être admise.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3.. L'article L. 313-14-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction applicable, dispose que : " Sauf si sa présence constitue une menace à l'ordre public et à condition qu'il ne vive pas en état de polygamie, la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2, à l'étranger accueilli par les organismes mentionnés au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles qui justifie de trois années d'activité ininterrompue au sein de ce dernier, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration, dans des conditions fixées par décret en Conseil d'Etat ". L'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles dispose que : " Les organismes assurant l'accueil ainsi que l'hébergement ou le logement de personnes en difficultés et qui ne relèvent pas de l'article L. 312-1 peuvent faire participer ces personnes à des activités d'économie solidaire afin de favoriser leur insertion sociale et professionnelle. / Si elles se soumettent aux règles de vie communautaire qui définissent un cadre d'accueil comprenant la participation à un travail destiné à leur insertion sociale, elles ont un statut qui est exclusif de tout lien de subordination. / Les organismes visés au premier alinéa garantissent aux personnes accueillies : / - un hébergement ou un logement décent ; / - un soutien personnel et un accompagnement social adapté à leurs besoins ; / - un soutien financier leur assurant des conditions de vie dignes (...) ". Enfin, l'article R. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile alors applicable dispose que : " Pour l'application de l'article L. 313-14-1, l'étranger qui sollicite la délivrance de la carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 présente à l'appui de la demande, outre les pièces prévues aux articles R. 313-1 et R. 311-2-2 : / 1° Les pièces justifiant de trois années d'activité ininterrompue au sein de l'organisme, du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration ; / 2° Un rapport établi par le responsable de l'organisme d'accueil mentionné au premier alinéa de l'article L. 265-1 du code de l'action sociale et des familles précisant notamment la nature des missions effectuées et leur volume horaire, permettant de justifier de trois années d'activité ininterrompue exercée en son sein, ainsi que du caractère réel et sérieux de cette activité ; ce rapport précise également les perspectives d'intégration de l'intéressé au regard notamment du niveau de langue, des compétences acquises et le cas échéant, de son projet professionnel ainsi que des éléments tirés de la vie privée et familiale ; / 3° S'il est marié et ressortissant d'un Etat dont la loi autorise la polygamie, une déclaration sur l'honneur selon laquelle il ne vit pas en France en état de polygamie ".

4. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour présentée sur le fondement de ces dispositions, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger justifie de trois années d'activité ininterrompue dans un organisme de travail solidaire, qu'un rapport soit établi par le responsable de l'organisme d'accueil, qu'il ne vive pas en état de polygamie et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux de cette activité et de ses perspectives d'intégration. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

5. Il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté par la préfète de l'Orne que M. B... justifie de plus de trois années d'activité ininterrompue au sein de la communauté Emmaüs de l'Orne. L'intervenante sociale au sein de la communauté Emmaüs d'Alençon, qui a rédigé le rapport prévu par les dispositions de l'article R. 313-25 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, a ainsi souligné que M. B... travaillait au sein de la communauté depuis plus de trois ans 35 heures par semaine et qu'il avait fait preuve de polyvalence en occupant plusieurs emplois. L'intéressé a également acquis de nouvelles compétences en validant un certificat d'aptitude à la conduite en sécurité. Par ailleurs, M. B... justifie de perspectives d'embauche sérieuses puisqu'en raison du diplôme en agronomie acquis dans son pays d'origine en 1994, une attestation de l'association nationale pour l'emploi et la formation en Agriculture, certes postérieure à l'arrêté contesté mais relative à des faits contemporains de ceux-ci, témoigne de l'existence de plusieurs offres d'emploi dans le domaine de l'agriculture et de l'adéquation des compétences de l'intéressé avec les exigences de ces postes. Enfin, M. B... a certifié ne pas vivre en état de polygamie sur le territoire français et il n'est ni établi ni même allégué que sa présence constituerait une menace pour l'ordre public. Dans ces conditions, compte tenu notamment des perspectives d'intégration de M. B... et de ses activités ininterrompues au sein de la communauté Emmaüs d'Alençon, le préfet ne pouvait rejeter sa demande de titre de séjour fondée sur l'article L. 313 14-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sans erreur manifeste d'appréciation pour les seules circonstances que son épouse, dont il affirme être séparé depuis plusieurs années, et ses enfants résident en République démocratique du Congo et de ce qu'il n'a pas respecté la précédente mesure d'éloignement dont il a fait l'objet postérieurement au rejet de sa demande d'asile.

6. Il suit de là que M. B... est fondé, en raison de l'erreur manifeste d'appréciation commise par la préfète de l'Orne au regard des dispositions de l'article L. 313 14-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, à demander l'annulation de la décision de refus de séjour du 30 mars 2021. L'annulation du refus de séjour entraine par voie de conséquence celle des décisions, du même jour, portant à l'encontre de M. B... obligation de quitter le territoire français sans délai, fixation du pays d'éloignement et interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an.

7. Il résulte de ce qui précède et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. B... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Caen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté de la préfète de l'Orne du 30 mars 2021.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

8. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de l'Orne, dans un délai qu'il y a lieu de fixer à deux mois, de délivrer à M. B... une carte de séjour portant la mention " salarié ".

Sur les frais du litige :

9. M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle. Par suite, son avocate peut se prévaloir des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement de la somme de 1 500 euros à Me Bodergat dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

DECIDE :

Article 1er : L'intervention du Groupe d'information et de soutien des immigré.es (GISTI) et de l'association Emmaüs France est admise.

Article 2 : L'arrêté du 30 mars 2021 par lequel la préfète de l'Orne a refusé de délivrer à M. B... un titre de séjour, a assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays à destination duquel il pourrait être reconduit d'office et a prononcé à son encontre une interdiction de retour sur le territoire français d'une durée d'un an et le jugement n° 2101421 du tribunal administratif de Caen du 15 décembre 2021 sont annulés.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de l'Orne de délivrer à M. B... une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " dans un délai de deux mois à compter de la notification de l'arrêt.

Article 4: L'Etat versera à Me Bodergat la somme de 1 500 euros dans les conditions fixées à l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et à l'article 108 du décret du 19 décembre 1991.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., à Me Bodergat, au Groupe d'information et de soutien des immigré.es (GISTI), à l'association Emmaüs France et au ministre de l'intérieur.

Une copie sera adressée pour information au préfet de l'Orne.

Délibéré après l'audience du 5 avril 2022, à laquelle siégeaient :

- M. Lainé, président de chambre,

- M. Rivas, président-assesseur,

- Mme Béria-Guillaumie, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 29 avril 2022.

La rapporteure,

M. BÉRIA-GUILLAUMIELe président,

L. LAINÉ

La greffière,

S. LEVANT

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22NT00111


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22NT00111
Date de la décision : 29/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. LAINE
Rapporteur ?: Mme Marie BERIA-GUILLAUMIE
Rapporteur public ?: M. PONS
Avocat(s) : CRUSOE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-29;22nt00111 ?
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