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15/04/2022 | FRANCE | N°21NT01905

France | France, Cour administrative d'appel de Nantes, 2ème chambre, 15 avril 2022, 21NT01905


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 février 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises en poste à Tunis ont rejeté sa demande de visa de long séjour présentée en qualité de conjoint d'une ressortissante française ainsi que la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision consulaire.

Par un jugement n° 2007054 du

15 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Nantes d'annuler la décision du 15 février 2019 par laquelle les autorités consulaires françaises en poste à Tunis ont rejeté sa demande de visa de long séjour présentée en qualité de conjoint d'une ressortissante française ainsi que la décision par laquelle la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision consulaire.

Par un jugement n° 2007054 du 15 février 2021, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 12 juillet 2021 et le 8 mars 2022, M. A..., représenté par Me Breuillot, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Nantes du 15 février 2021 ;

2°) d'annuler les décisions contestées ;

3°) d'enjoindre au ministre de l'intérieur de lui délivrer un visa de long séjour, dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil d'une somme de 2 000 euros sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la neutralisation de motif à laquelle a procédé le tribunal est irrégulière, faute d'avoir fait l'objet d'un débat contradictoire, dépourvue de motivation et entachée d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le tribunal n'a pas répondu au moyen tiré de ce que la condamnation prononcée à son encontre en 2017 l'avait été dans des conditions exceptionnelles et n'était pas de nature à démontrer sa dangerosité prétendue ;

- il n'est pas justifié de la délégation de compétence dont aurait bénéficié le signataire de la décision du 15 février 2019 dont il n'est, en outre, pas possible de connaître les nom, prénom et qualité, la signature étant, par ailleurs, illisible ;

- cette décision méconnaît les dispositions des articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration ;

- seule une décision expresse et motivée de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pu se substituer à celle des autorités consulaires ;

- la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas motivé sa décision ;

- alors qu'un simple doute sur la sincérité du mariage n'est pas au nombre des motifs qui, en vertu de l'article L. 211-2-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, sont de nature à légalement justifier un refus de visa opposé au conjoint d'un ressortissant français, son mariage n'est entaché d'aucune fraude ;

- le motif fondé sur la menace à l'ordre public est entaché d'erreur manifeste d'appréciation ;

- le refus de visa qui lui est opposé méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 28 février 2022, le ministre de l'intérieur conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens soulevés par le requérant ne sont pas fondés.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle (55 %) par une décision du 10 juin 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme Bougrine a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant tunisien, a épousé le 8 septembre 2018 à Mazan (Vaucluse), Mme B..., de nationalité française. Le 15 février 2019, les autorités consulaires françaises en poste à Tunis ont refusé de délivrer à M. A... le visa de long séjour qu'il sollicitait en sa qualité de conjoint d'une ressortissante française. La commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a implicitement rejeté le recours formé contre la décision consulaire et enregistré le 3 avril 2019. M. A... relève appel du jugement du 15 février 2021 par lequel le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision consulaire du 15 février 2019 et de la décision implicite de la commission.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. En premier lieu et d'une part, aux termes de l'article D. 211-5, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une commission placée auprès du ministre des affaires étrangères et du ministre chargé de l'immigration est chargée d'examiner les recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France prises par les autorités diplomatiques ou consulaires. La saisine de cette commission est un préalable obligatoire à l'exercice d'un recours contentieux, à peine d'irrecevabilité de ce dernier. ". En vertu de ces dispositions la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France se substitue à celle des autorités diplomatiques ou consulaires.

3. D'autre part, aux termes de l'article L. 231-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Par dérogation à l'article L. 231-1, le silence gardé par l'administration pendant deux mois vaut décision de rejet : / (...) / 2° Lorsque la demande (...) présente le caractère (...) d'un recours administratif ; / (...) ". Il s'ensuit que le silence conservé par la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France sur un recours formé devant elle contre un refus de visa de long séjour opposé par les autorités diplomatiques ou consulaires vaut décision implicite de rejet.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a, le 3 avril 2019, formé un recours devant la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France contre le refus de visa de long séjour que lui avaient opposé les autorités consulaires françaises en poste à Tunis le 15 février 2019. Le silence conservé par la commission sur ce recours a fait naître une décision implicite de rejet. Contrairement à ce que soutient le requérant, la circonstance que cette dernière décision ait été implicite et, ainsi, dépourvue de motivation formelle, ne fait pas obstacle à ce qu'elle se soit substituée à la décision consulaire.

5. Il suit de là que c'est à bon droit que le tribunal administratif a considéré que la demande de première instance devait être regardée comme exclusivement dirigée contre la décision implicite de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France.

6. En deuxième lieu, le juge qui, saisi d'un recours en excès de pouvoir dirigé contre une décision administrative fondée sur plusieurs motifs, estime que l'un de ces motifs, ayant fait l'objet d'un débat entre les parties, aurait conduit à lui seul l'administration à prendre la décision contestée, ne peut être regardé comme relevant d'office un moyen susceptible de fonder sa propre décision, au sens et pour l'application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative.

7. La décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France est fondée, d'une part, sur le caractère complaisant du mariage de M. A... et, d'autre part, sur la menace qu'il présente pour l'ordre public. En retenant que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision si elle ne s'était fondée que sur ce second motif, le tribunal n'a pas soulevé d'office un moyen mais a seulement estimé que l'un des motifs de la décision attaquée, qui a fait l'objet d'un débat entre les parties, pouvait, à lui seul, en constituer le fondement. Le moyen tiré de ce que le tribunal aurait méconnu le principe du contradictoire doit, dès lors, être écarté.

8. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 9 du code de justice administrative : " Les jugements sont motivés. ".

9. D'une part, il résulte des motifs du jugement attaqué que le tribunal, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments avancés par les parties, a expressément répondu au moyen soulevé par M. A... et tiré de ce que le motif de refus de visa fondé sur la menace à l'ordre public était entaché d'erreur d'appréciation. D'autre part, en estimant qu'il " résulte de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision en se fondant sur ce seul motif ", le tribunal administratif a suffisamment motivé sa décision.

10. Il suit de là que le jugement attaqué n'est pas entaché d'irrégularité.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la décision consulaire :

11. Il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 5 du présent arrêt que, d'une part, la demande doit être regardée comme exclusivement dirigée contre la décision implicite de rejet née du silence gardé par la commission et, d'autre part, les moyens dirigés contre la décision consulaire et tirés de l'incompétence de son signataire ainsi que de la méconnaissance des articles L. 212-1 et L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration doivent être écartés comme inopérants.

En ce qui concerne la décision de la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France :

12. En premier lieu, aux termes de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation. / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. (...) ". Il ne ressort pas des pièces du dossier que le requérant aurait demandé la communication des motifs de la décision implicite de rejet de la commission de recours. Il suit de là que le moyen tiré du défaut de motivation de cette décision est inopérant et doit être écarté.

13. En deuxième lieu, aux termes des dispositions de l'article L. 211-2-1, alors en vigueur, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " (...) / Le visa de long séjour ne peut être refusé à un conjoint de Français qu'en cas de fraude, d'annulation du mariage ou de menace à l'ordre public. Le visa de long séjour est délivré de plein droit au conjoint de Français qui remplit les conditions prévues au présent article. / (...) ".

14. D'une part, il résulte de ces dispositions qu'il appartient en principe aux autorités consulaires de délivrer au conjoint étranger d'un ressortissant français dont le mariage n'a pas été contesté par l'autorité judiciaire le visa nécessaire afin que les époux puissent mener une vie familiale normale. Pour y faire obstacle, il appartient à l'administration, si elle allègue une fraude, d'établir, par des éléments précis et concordants, que le mariage est entaché d'une telle fraude de nature à légalement justifier le refus de visa.

15. En se bornant à faire valoir une différence d'âge de neuf ans entre les époux, la circonstance que le mariage a été célébré environ deux mois après la sortie de M. A... du centre de rétention et, enfin, le caractère non établi de liens entre les époux avant le mariage, le ministre n'apporte pas la preuve qui lui incombe du caractère frauduleux de celui-ci.

16. Au surplus, il ressort des pièces du dossier que, après avoir diligenté une enquête, le procureur de la République a laissé procéder au mariage. En outre, plusieurs attestations, notamment celle émanant de la mère de Mme B..., témoignent de la sincérité de l'intention matrimoniale et de la réalité des liens entre les époux. Le requérant verse également aux débats diverses pièces médicales dont il ressort que son épouse et lui-même portent un projet parental. Si certaines des justifications sont postérieures à la décision contestée, elles sont de nature à confirmer que le mariage n'a pas été conclu dans un but étranger à l'union matrimoniale. Par suite, en se fondant, pour confirmer le refus de visa opposé à M. A..., sur le caractère complaisant du mariage, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France a fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce.

17. Toutefois et d'autre part, la commission s'est également fondée sur le motif tenant à ce que M. A... présente une menace à l'ordre public. Il ressort des pièces du dossier que le 18 février 2012, M. A... s'est introduit dans le domicile d'un tiers en passant par la fenêtre et a été condamné pour ces faits à une peine de deux mois de prison. Ces faits constituent, alors même qu'ils ne traduisent pas une atteinte à la personne et que le comportement de M. A... aurait été motivé par sa détresse et son état d'impécuniosité, un trouble à l'ordre public. En outre, le requérant a été reconnu coupable, par un jugement du tribunal correctionnel de Nice du 4 décembre 2017, de faits, commis le 2 décembre 2017, d'outrage à une personne dépositaire de l'autorité publique, de violence sur une personne détenant cette même qualité, rébellion, violence et menace de mort. Si le requérant soutient que ces faits, qui ont entraîné une peine de trois mois de prison, doivent être appréhendés dans le contexte d'une interpellation injustifiée et particulièrement brutale par les forces de police, consécutivement à un vol de scooter dont il n'est pas l'auteur et pour lequel il n'a d'ailleurs pas été poursuivi, il n'apporte aucun commencement de justification au soutien de cette affirmation. Compte tenu, en particulier, du caractère récent à la date de la décision contestée des faits commis en 2017, la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France n'a pas, en estimant que M. A... présentait des risques pour l'ordre public, fait une inexacte appréciation des circonstances de l'espèce.

18. Il résulte de l'instruction que la commission de recours contre les décisions de refus de visa d'entrée en France aurait pris la même décision de rejet en se fondant sur ce seul motif tenant à la menace à l'ordre public.

19. En dernier lieu, aux termes des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

20. Il ressort des pièces du dossier que, à la date de la décision contestée, M. A... était séparé de son épouse depuis moins d'un an. Cette dernière peut, en dépit de ses moyens modestes, lui rendre visite en Tunisie. Compte tenu de la menace à l'ordre public, évoquée au point 17, que présentait M. A... à la date de la décision en litige, l'atteinte portée par cette décision à son droit au respect de sa vie privée et familiale n'est pas disproportionnée au but en vue duquel elle a été prise. Le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit, par suite, être écarté.

21. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nantes a rejeté sa demande.

Sur le surplus des conclusions :

22. Doivent être rejetées, par voie de conséquence, les conclusions à fin d'injonction présentées par le requérant ainsi que celles tendant au bénéfice des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative.

D E C I D E :

Article 1er : La requête de M. A... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A... et au ministre de l'intérieur.

Délibéré après l'audience du 29 mars 2022, à laquelle siégeaient :

M. Pérez, président de chambre,

Mme Douet, présidente-assesseure,

Mme Bougrine, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 avril 2022.

La rapporteure,

K. BOUGRINE

Le président,

A. PEREZLa greffière,

A. LEMEE

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21NT01905


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nantes
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21NT01905
Date de la décision : 15/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. PEREZ
Rapporteur ?: Mme Karima BOUGRINE
Rapporteur public ?: M. GIRAUD
Avocat(s) : SCP BREUILLOT et VARO

Origine de la décision
Date de l'import : 26/04/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nantes;arret;2022-04-15;21nt01905 ?
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